Chapitre V – Discussion Générale

Synthèse

L’objectif de cette thèse était à la fois d’apporter des arguments expérimentaux et théoriques à l’approche du fonctionnement mnésique décrite par Versace et collaborateurs (2002 ; 2009). Le modèle ACT-IN (Activation Intégration) est la formalisation proposée par Vallet et collaborateurs (Vallet et al., en préparation) de cette approche. Il s’agit d’un modèle hybride entre des approches basées sur un appariement global (avec de multiples instances, Logan, 1988 ; Hintzman, 1986 ; 1988 ; Nososfky, 1986 ; 1991 ; Whittlesea, 1987) et des approches connexionnistes (McClelland & Rumelhart, 1985 ; Rumelhart & Zimmer, 1985). Les deux principales caractéristiques de ce modèle sont : 1) que le système stocke des traces qui sont de nature épisodique, multimodale et distribuée sur un ensemble de structures cérébrales ; 2) que les connaissances émergent au cours du traitement suivant une dynamique d’activation et d’intégration à partir de ces traces.

Au cours des deux premiers chapitres, nous avons discuté de l’aspect non-absractionniste67 du modèle. Dans ce cadre, les connaissances émergent lors de l’activité du sujet en fonction de l’adéquation entre la manière d’acquérir et de restituer les informations. Cela suppose qu’une différence intrinsèque entre les connaissances de nature sensorielle ou abstractive est erronée.

Nous avons surtout traité de l’aspect sensoriel des connaissances lors du premier chapitre. Nous avons mis en évidence, au niveau de la trace mnésique, un certain nombre de caractéristiques : 1) Formation lors d’un épisode perceptif grâce à un processus d’intégration mnésique (i.e. épisodique) ; 2) Conservation des propriétés de l’expérience perceptive, elle est donc de nature sensori-motrice (i.e. multimodale) ; 3) La distribution n’a pas été examinée dans ce chapitre, cependant un nombre important d’études en imagerie supporte l’idée que les structures qui codent les propriétés des traces sont distribuées sur l’ensemble du cerveau (pour une revue voir Versace et al., 2009). De plus, les traitements censés faire appel à une unité amodale (i.e. le concept) semblent être associés à une réactivation de propriétés issues de l’expérience perceptive (i.e. une simulation).

Nous avons traité de la question de l’existence de la nécessité d’unité abstraite pour réaliser certaines activités mnésiques lors du deuxième chapitre autour de la notion de catégorie. Alors qu’il est souvent admis que l’efficacité du traitement catégoriel (e.g. la catégorisation) fait appel à une unité abstraite (e.g. le prototype) de plus « haut niveau » que l’épisode, nous avons souligné le fait que la catégorie est une unité fonctionnelle dans les activités perceptives ou mnésiques et puisse émerger de l’activité du sujet selon un processus d’appariement global.

Au cours du chapitre 3, nous avons traité de la question de la conscience associée à la récupération d’une information. Ce point nous semblait crucial pour deux raisons : 1) l’existence d’une différence qualitative entre les niveaux de conscience associée à la récupération est souvent utilisée pour justifier l’existence de sous-systèmes ou de processus de récupération distincts ; 2) Ce point n’avait jamais été directement traité dans le modèle. A l’issue du chapitre, nous avons proposé que les connaissances émergent à la conscience selon un continuum d’intégration contraint à la fois par la tâche (i.e. nature de l’indice) et par l’état de la trace en mémoire (i.e. force et distinctivité, voir aussi Cleeremans, 2008). Dans ce cas, la conscience associée à la récupération n’est ni une caractéristique d’une tâche, d’un sous-système ou d’un processus mais un produit de la récupération.

Lors du dernier chapitre, nous avons discuté de l’efficacité mnésique dans les tâches discriminantes. Plus particulièrement, nous avons proposé le modèle ACT-IN2 qui est une version révisée de ACT-IN. A partir de ce modèle, nous avons mis l’accent sur l’impact d’un mécanisme d’activation interactif au cours de la récupération (ETUDE 1) et illustré le poids d’un processus d’intégration à l’encodage (ETUDE 2).

L’activation interactive est une formalisation plus fine du mécanisme d’activation précédemment décrit dans le modèle. Lors de la récupération, un indice donné (de nature variable, voir chapitre 3) active à la fois les traces qui partagent les mêmes propriétés que l’indice (i.e. diffusion inter-traces) et, en parallèle, cette activation se propage au sein des traces (i.e. diffusion intra-trace). Le contenu de la récupération est alors déterminé par une intégration continue de ces deux types de diffusion. Une caractéristique importante de la diffusion interactive est que les diffusions inter-traces et intra-trace se font en parallèle et sont en compétition pour déterminer le contenu de la récupération. Nous avons vu que ces deux types de diffusion d’activation sont dissociables en fonction du type d’activité mnésique (i.e. catégorielle ou discriminante).

Le processus d’intégration à l’encodage est alors un facteur qui oriente directement cette compétition. Lors de l’encodage, il est primordial pour déterminer le liage entre les propriétés au sein d’une trace et, par là même, la distribution entre ces dernières au sein de la mémoire. Lors de la récupération, en fonction du degré d’intégration des éléments au sein des traces, il va limiter le fait que l’indice active un grand nombre d’entre elles (i..e. limitation de la diffusion inter-traces) et, en même temps, favoriser le fait que l’activation se diffuse à l’ensemble des propriétés au sein des traces activées par l’indice (i.e. facilitation de la diffusion intra-trace).

Avant de clore cette thèse, il me semble primordial de : 1) proposer une description des caractéristiques du processus d’intégration à l’encodage ; 2) décrire de façon plus fine l’activation interactive en faisant le lien entre les activités catégorielles et discriminantes.

Notes
67.

Pour les modèles abstractionnistes, les connaissances conceptuelles sont des abstractions amodales.