Structure de la thèse

Dans le premier chapitre, nous présentons successivement l’épistémologie et la méthodologie de notre recherche, afin de préciser ce que nous estimons être les ressorts d’une « bonne interprétation » d’un dossier marqué une grande complexité. Pour l’essentiel, nous montrons que cela passe par la mise en place d’un « cahier des charges » qui permette de respecter le dire des acteurs de la controverse comme fournissant les repères objectifs du dossier.

Dans les trois chapitres suivants, nous émettons alors une série d’hypothèses de travail pour organiser la confrontation entre le modèle économique libéral et le discours des acteurs, cela afin d’apprécier les correspondances entre les deux niveaux.

Notre point de départ est le suivant : il existe un modèle de justification (i.e. le « modèle économique libéral ») qui domine la littérature théorique sur la rémunération des dirigeants contemporains et duquel il ressort que la controverse publique sur le sujet n’a pas lieu d’être. Dans cette perspective, la première hypothèse que nous posons est que la controverse publique sur la rémunération des dirigeants pourrait donc traduire l’ignorance et/ou l’inculture économique des acteurs quant aux « mécanismes économiques » (tels que les supposent les théoriciens libéraux). En somme, la controverse serait due à une coupure entre les deux niveaux, celui des experts qui « savent » et celui de la « société civile » qui ignore et polémique inutilement. Cette première hypothèse sera « rejetée » sur la base des observations empiriques qui montrent que les acteurs n’ont, au contraire, de cesse de se référer dans leurs discours à l’épure du modèle économique libéral et aux espérances de justice qu’il fait naître. Nous conclurons que ce n’est donc pas par un « défaut » de connaissance que se formule la controverse, mais peut-être, au contraire, du fait même de cette connaissance (chapitre 2).

Dès lors, nous avançons une seconde hypothèse, celle des contradictions internes du modèle, qui permettraient d’expliquer l’existence de la controverse publique comme le produit de problèmes relatifs à la « solution libérale » elle-même. De ce point de vue, la controverse publique jouerait comme un « écho » du savoir théorique, qui réfléchirait à la fois ses forces mais aussi ses limites et faiblesses. Cette hypothèse sera « validée » après avoir montré que l’on retrouve, dans les discours des acteurs, un ensemble de contradictions déjà repérées au niveau théorique et qui sont inhérentes au modèle libéral lui-même, incapable d’assurer la justification de la rémunération par le seul jeu du marché (chapitre 3).

Nous pourrons alors avancer une troisième hypothèse pour tenter d’expliquer pourquoi les acteurs continuent de se référer à un modèle de justification de la rémunération des dirigeants qui est beaucoup plus problématique qu’il ne paraît en première analyse. Pour cela, nous chercherons plus précisément à savoir si la raison essentielle n’est pas le fait qu’ils soient pénétrés du sentiment que les contradictions libérales puissent être un jour résolues grâce à leur engagement et, partant, grâce à la controverse elle-même (chapitre 4). Cette dernière pourrait en ce cas être interprétée comme le reflet des espoirs de justice que les acteurs de la controverse entretiennent en dépit des « béances » de la pensée libérale. Là encore, c’est une hypothèse qui sera validée après étude de leurs discours, qui nous permettra de mettre en évidence combien ceux-ci sont remplis de la dimension « eschatologique » qui se dessine en creux de la pensée libérale : si la situation est injuste aujourd’hui, les conditions sont remplies pour qu’elle puisse ne plus l’être demain. Il suffirait pour cela d’être vraiment libéral (chapitre 4).

À partir de ce constat nous poserons, dans le cinquième chapitre, une dernière hypothèse pour savoir si les acteurs ne courent pas, par là-même, après un idéal de justice qui serait parfaitement inatteignable. In fine, la controverse publique pourrait alors être interprétée comme un produit de ce que René Girard estime être le moteur de toute dynamique sociale : le désir pour un objet et/ou un idéal se fait d’autant plus fort qu’il résiste à sa « capture ». Ici, un désir d’égalité et de justice entre les individus qui exacerbe et contredit à la fois le désir de posséder les rémunérations de dirigeants (pour cela) honnis. Nous montrerons, en revenant une dernière fois sur le discours des acteurs, que la répétition des scandales en matière de rémunération des dirigeants va dans le sens de cette interprétation ; notamment parce que cela se traduit par un phénomène de « bouc-émissarisation » régulière de certains dirigeants qui crée les conditions d’une controverse infinie : l’inégalité perdure, mais la tension sociale est régulièrement atténuée par le sacrifice public d’un « patron voyou » (chapitre 5).

Dès lors, nous pourrons montrer, dans la conclusion générale de ce travail, que la manière dont se structure la controverse publique sur la rémunération des dirigeants permet de mettre en évidence une caractéristique peu visible de l’idéologie libérale : sa dimension archaïque, au sens girardien du terme. C’est là, en effet, l’apport principal de ce travail qui défend l’idée selon laquelle les sociétés libérales sont moins « modernes » qu’elles le prétendent, comme cela est perceptible à travers le décalage entre la violence symbolique faite au « dirigeant-bouc-émissaire » et l’impression que la justice a été dite dans le dossier. 

Le schéma général de la thèse est résumé dans le schéma ci-après.

Schéma 1 - Schéma général de la thèse
Schéma 1 - Schéma général de la thèse