2.2.3. Un travail collaboratif

Respectant la règle selon laquelle c’est dans leur architecture d’ensemble que les textes du corpus donnent à voir ce qu’ils mettent en jeu (et, de fait, ce qu’ils fournissent comme matière à l’interprétation), cela permet d’insister sur le fait que tout ce travail de conceptualisation ou de traduction des textes dans un langage de description ne constitue donc pas une fin en soi, mais un « préalable » indispensable pour mener des requêtes informatiques qui accroissent le potentiel réflexif et critique de l’interprète. Car rappelons que c’est toujours à partir de l’idée que nous nous faisions initialement du problème (i.e. les interprétations que nous avons tirées de la lecture des textes de notre corpus, résumées par la relation R0 dans le schéma) que nous pouvons justifier, in fine, les relations de traduction et de formalisation (R1, R2) comme une série de transformations nécessaires pour être capable de confronter des structures textuelles à des propositions conceptuelles (R3).

En d’autres termes, si nous avons fait ce travail, dont nous rendrons progressivement compte à mesure que nous avancerons dans notre enquête, c’est uniquement pour mieux assurer la communication avec notre corpus ; l’intuition et la connaissance du dossier pouvant alors se combiner dans une dynamique faisant écho au travail du détective : on tenait telle hypothèse pour une évidence mais l’analyse du corpus prouve le contraire, contribuant à relancer les opérations cognitives qui visent à fournir de nouvelles « prises » sur le dossier… qui seront àleur tout évaluées dans leur prétention à la véracité. Pour ce faire, nous avons privilégié, à partir des opérations de comptage que le logiciel engendre automatiquement – et dont on ne voit pas comment on pourrait s’en passer sans rater des éléments significatifs quant à la manière dont les acteurs « font prise » avec la rémunération des dirigeants23 –, un type d’opération permettant d’apprécier la façon dont se structurent les listes d’objets dans deux sous-corpus formés à partir d’un critère déterminé et choisi par nous : la comparaison de sous-corpus.

Cet outil permet de repérer les grandes tendances du dossier en montrant comment des textes et/ou un ensemble de textes s’éclairent les uns les autres dans le jeu de leurs « correspondances ». Ainsi, peut-on, par exemple, comparer ce que les textes mettent en jeu dans un « avant » et un « après » en utilisant une date-pivot pour apprécier d’éventuelles reconfigurations discursives. De même peut-on apprécier ce que les textes dans lesquels une catégorie d’entités est dite « dominante » (i.e. centrale) ont de spécifiques par rapport aux textes dans lesquels cette même catégorie (ou un autre) est « absente », etc. – les calculs étant relatifs à la taille des sous-corpus comparés et exprimés en pourcentage. L’utilité d’une telle procédure dépend des vérifications que nous cherchons à faire, l’objectif étant simplement de coller au plus près des exigences d’une bonne interprétation à partir du recueil le plus objectif possible de récurrences, d’occurrences et de recoupements dans les textes des acteurs de la controverse.

Parallèlement, ce sont d’ailleurs ces mêmes exigences qui recommandent que le retour aux textes soit possible. En effet, comme c’est toujours à partir des textes, et uniquement à partir d’eux, que l’on peut retrouver des arguments représentatifs de la façon dont les acteurs « font prise » avec le dossier, nous retiendrons le plus possible de verbatim de manière à mettre le lecteur devant le « fait brut ». Même si ce dernier a été recoupé et éclairé par ce recoupement avec d’autres textes, ce qui a permis l’interprétation, donner à lire le texte initial nous semblait être le meilleur moyen de rester « en contact » avec la controverse publique elle-même. Les « verbatim » qui jalonnent les parties empiriques des chapitres qui vont suivre, ont donc pour fonction de permettre un retour sur le « contenu » des arguments, ce qui est essentiel dans une optique de compréhension. En cela, on peut même dire que ces derniers fournissent comme la partie visible de « l’esprit » qui sous-tend notre travail, à savoir que c’est de la pertinence du recoupement d’indices puisés tantôt dans l’ensemble du corpus tantôt dans les plis d’un discours que dépend, in fine, la qualité d’une analyse qui revendique explicitement sa nature interprétativiste.

Notes
23.

Le dénombrement permet d’apprécier quel est le degré de présence d’un terme et/ou d’un thème à l’intérieur du corpus, ce qui fournit des indications précieuses, par exemple, quant à la nature des principaux repères collectifs qui sont utilisés par les auteurs-acteurs.