2.2. Du désir au délire de justice : le rôle du scandale

Bien qu’il n’y ait guère de « commune mesure » à laquelle on puisse évaluer le mérite des personnes (Kellerhals et al., 1997), nous avons eu l’occasion de voir tout au long de ce travail que l’illusion du mérite et de la justice méritocratique fonctionne à plein dans le cadre de la controverse publique sur la rémunération des dirigeants. En effet, si les acteurs se disputent pour imposer leurs « vues » sur le sujet, c’est qu’ils ont en partage une même croyance : il doit être possible de fonder une « juste rémunération des dirigeants » dans le cadre libéral – et cela même si les faits laissent plutôt accroire le contraire. C’est ainsi que leur désir de justice s’apparente progressivement à un véritable « délire » de justice, tout se passant comme si l’on assistait à un processus de déréalisation et/ou de refus de cette réalité contradictoire à laquelle ils se voient confrontés en matière de rémunération des dirigeants (2.2.1). In fine, l’impression qu’ils courent après une chimère de justice se voit du même coup renforcée, et cela d’autant plus que la multiplication des scandales sur le sujet manifeste avec éclat leur incapacité à s’entendre positivement sur le juste – ce qui est cohérent avec la logique girardienne (2.2.2).