Plan de la thèse

La thèse est donc organisée en deux parties. Au préalable, un premier chapitre met en évidence le double ancrage du travail dans la sociologie des classes moyennes d’une part, dans la sociologie de la gentrification d’autre part. Analyser les gentrifieurs sur un temps relativement long, c’est se placer à l’articulation du changement urbain et du changement social. A partir de différents héritages, et notamment des apports des premiers travaux français menés au début des années 1980 sur la gentrification (Bensoussan, 1982 ; Bidou, 1984 ; Chalvon-Demersay, 1984), nous construirons au fil de ce premier chapitre le questionnement de la thèse.

La première partie est consacrée à l’étude des générations de gentrifieurs des Pentes de la Croix-Rousse et du Bas Montreuil, de leurs profils sociologiques et des ressorts de leur choix résidentiel. Le chapitre 2 présente les deux quartiers et ausculte les dynamiques de gentrification qui les ont touchés à l’aide des données de recensement des trente dernières années. Il analyse également les caractéristiques des nouveaux habitants et des nouveaux propriétaires recensés à différentes dates dans les deux quartiers, afin de se donner une première image des gentrifieurs qui s’y sont installées. Le chapitre 3 précise et approfondit ce portrait à partir des deux corpus d’entretiens analysés plus spécifiquement à travers la notion de génération (Mannheim, 1990) : les différentes générations sont saisies à travers leurs professions et leurs trajectoires sociales, leurs rapports au travail et à l’emploi ainsi que leurs valeurs et leurs engagements. L’appartenance générationnelle et l’appartenance sociale sont ainsi croisées afin de cerner le profil des anciennes et des nouvelles « nouvelles classes moyennes ». Nous analysons enfin, dans le chapitre 4, les ressorts des choix résidentiels des gentrifieurs. Il s’agit de comprendre ce qui les conduit dans le Bas Montreuil ou à la Croix-Rousse, des années 1970 aux années 2000 : des ressources et des contraintes objectives liées aux positions occupées dans la structure sociale, des goûts et des préférences façonnés à la fois par les trajectoires et par les contextes idéologiques, des rapports à l’avenir et au présent liés à l’âge et à la génération. Il s’agit donc en même temps de saisir les effets des changements sociaux et urbains des années 1980 et 1990 sur les conditions matérielles et symboliques des choix résidentiels des classes moyennes-supérieures.

La deuxième partie de la thèse est dédiée à l’analyse du « travail de gentrification » (Bidou, Poltorak, 2008) réalisé par les gentrifieurs des différentes générations dans le Bas Montreuil. Nous montrerons d’abord dans le chapitre 5 dans quelle mesure, par qui et de quelles façons ce quartier était « gentrifiable », c'est-à-dire en quoi il se présentait comme relativement accessible (financièrement, socialement, matériellement) et accueillant (politiquement, symboliquement) pour certaines fractions des classes moyennes. Il s’agit de retracer l’histoire récente du quartier, de ses occupations et de ses assignations politiques. Le cas montreuillois reflète en même temps des tendances plus générales des politiques urbaines des vingt dernières années. Le chapitre 6 est consacré à l’analyse du travail de conversion des anciens locaux industriels en logements valorisés et valorisants : ce travail ne se comprend qu’à la lumière des trajectoires de ceux qui l’entreprennent, et suppose la mobilisation d’importantes ressources autres que financières, inégalement distribuées entre les gentrifieurs eux-mêmes. Ces entreprises individuelles sont placées sous le sceau de l’incertitude ; nous recourrons à l’ « économie des singularités » (Karpik, 2007) pour expliciter leurs conditions de possibilité et mettre en évidence le rôle des gentrifieurs dans l’émergence d’un marché immobilier « gentrifié ». Le chapitre 7 étudie, pour finir, les multiples formes du travail de gentrification « au quotidien » : travail de production symbolique, d’abord, qui passe par l’appropriation des lieux, la construction de nouvelles images et la formation d’un goût nouveau ; travail social, ensuite, à travers les mobilisations dans l’espace public. A nouveau, appartenance générationnelle et trajectoires individuelles sont largement mobilisées pour expliquer l’ampleur et les formes variables de ces investissements dans la localité.