2.1.2 Précarité de l’emploi et modestie des revenus

La hausse du poids des cadres et professions intellectuelles supérieures et celle des plus diplômés ont été telles au cours des dernières années que le premier arrondissement est aujourd'hui très proche du sixième, traditionnellement le plus bourgeois, sur ces deux indices. La part des individus titulaires d’un diplôme de deuxième ou troisième cycle (parmi les plus de 15 ans non étudiants) est aujourd'hui de 37 % dans le premier, de 38 % dans le sixième (la moyenne lyonnaise étant de 26 %) ; les cadres et professions intellectuelles supérieures représentent 36 % des actifs du premier, 38 % de ceux du sixième (la moyenne lyonnaise s’élevant à 26 %). Pourtant les deux arrondissements présentent des profils très contrastés selon d’autres indicateurs, comme le niveau moyen des revenus, le taux de chômage ou encore le taux de précarité. Le revenu moyen imposable en 2006 est d’environ 24 000 euros dans le premier arrondissement, contre 38 400 euros dans le sixième (Authier et al., 2010, p. 68). Selon ce critère, le premier arrondissement passe au sixième rang des arrondissements lyonnais, alors qu’il est au deuxième rang en termes de poids des diplômés du supérieur et des cadres et professions intellectuelles supérieures. Ce contraste s’explique sans doute en partie par la jeunesse de ses habitants, mais en partie seulement. Au cours des années 1990, en effet, la gentrification s’est en effet mêlée à d’autres tendances : l’arrondissement a connu la plus sévère hausse du taux de chômage (de 11,5 à 15,8 % des actifs entre 1990 et 1999) et la croissance la plus marquée de la part des actifs occupés en emploi précaire (tableau 2-6).

Tableau 2-6 : Part des salariés précaires (contrat d’apprentissage, stages, emplois aidés, CDD, intérim) parmi les actifs occupés, Lyon 1er et ensemble de Lyon, 1990, 1999, 2006 (en %) et évolution 1990-2006 (en points)
  1990 1999 2006 Evol. 1990-2006
Lyon 1er 12,8 20,7 20,8 + 8,0
Moyenne Lyon 9,6 14,5 16,2 + 6,5

Source : Insee, Recensement général de la population 1990, 1999 et 2006, exploitation complémentaire

Si, depuis 1990, le quartier est le premier arrondissement de Lyon pour la croissance des cadres et des diplômés, il est ainsi le dernier – et de loin – pour la stabilité de l’emploi : c’est celui où le taux de chômage est maximal (13,7 % des actifs en 2006, le taux moyen à Lyon étant de 11,2 %), de même que le taux de précarité133. Y a-t-il ainsi coprésence, dans cet arrondissement, de populations peu qualifiées, fragiles sur le marché du travail, et de populations très qualifiées et très bien insérées ? Ou bien ces cadres sont-ils en partie concernés par la précarité de l’emploi ? Nous n’avons pas pu croiser ces deux variables, mais nous avons pu observer la composition socioprofessionnelle détaillée des actifs occupés en 1999 (cf. graphique 2-4 page suivante). D’un côté, on peut noter parmi les actifs les moins qualifiés (employés et ouvriers) une nette sous-représentation des catégories les plus stables (employés de la fonction publique et employés administratifs des entreprises). De l’autre, parmi les actifs les plus qualifiés, on note une forte sur-représentation à la fois de travailleurs stables, comme les instituteurs et assimilés et la majeure partie des professeurs et professions scientifiques, et de travailleurs à l’emploi plus fragile, comme les professions de l’information, des arts et des spectacles et une partie des professionnels de la santé et du travail social. Toutes CS confondues, c’est la catégorie 35 (professions de l’information, des arts et des spectacles) qui présente la plus nette sur-représentation dans les Pentes : les actifs occupés de cette catégorie y sont proportionnellement trois fois plus nombreux que dans l’ensemble de la ville. Alors que les actifs occupés résidant dans les Pentes constituent seulement 5 % des actifs occupés lyonnais, 17 % des professionnels de l’information, des arts et des spectacles de Lyon résident dans les Pentes.

Etant donné le poids des jeunes dans l’arrondissement, la croissance concomitante de la part des cadres et de celle des emplois précaires pendant les années 1990 pourrait aussi refléter – en partie tout du moins – une certaine « latence sociale » de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur en début de vie active (Beaud, Cartier, 2007)134. Les deux cartes qui suivent (cf. cartes 2-8 et 2-9) montrent en tous cas que qualification et stabilité de l’emploi ne vont pas nécessairement de pair dans la géographie sociale lyonnaise, et encore moins sur les Pentes qu’ailleurs ; nous verrons qu’il en va de même à Montreuil.

Graphique 2-4 : Actifs occupés selon les catégories socioprofessionnelles détaillées,
Graphique 2-4 : Actifs occupés selon les catégories socioprofessionnelles détaillées, Pentes de la Croix-Rousse et ensemble de Lyon, 1999

Source : Insee, recensement général de la population 1999 (exploitation complémentaire)

Carte 2-8 : Part des cadres et professions intellectuelles supérieures parmi les actifs occupés,
Carte 2-8 : Part des cadres et professions intellectuelles supérieures parmi les actifs occupés, Lyon, 2006

Source : Insee, Recensement général de la population 2006, exploitation complémentaire

Carte 2-9 : Part des salariés en emploi précaire parmi les actifs occupés, Lyon, 2006
Carte 2-9 : Part des salariés en emploi précaire parmi les actifs occupés, Lyon, 2006

Source : Insee, Recensement général de la population 2006, exploitation complémentaire

Alors que les deux cartes présentent un net contraste dans la plus grande partie de la ville, le cœur des Pentes, ainsi que le Vieux Lyon, et quelques Iris du deuxième et du septième (aux abords de la Guillotière) font exception par la concomitance d’une part élevée de cadres et professions intellectuelles supérieures et d’une part élevée de salariés précaires. Le premier arrondissement présente, par ailleurs, une part élevée de non-salariés (12,2 %, soit presque 3 points de plus que la moyenne lyonnaise). Cette catégorie de l’Insee est délicate à manier dans la mesure où elle regroupe aussi bien des professions libérales que des indépendants nettement moins stables, comme les professionnels free lance qui forment une part non négligeable des professionals évoqués au premier chapitre. Salariés précaires et non salariés représentent en tout un quart des actifs occupés de 1990 et un tiers de ceux de 1999 et de 2006, qui sont dans une situation de relative incertitude quant à leurs revenus.

De fait, les revenus sont assez inégaux entre, d’une part, les Iris du cœur des Pentes (ceux où la part de précaires est maximale), où le revenu médian en 2005 (revenu déclaré, avant impôts et prestations sociales) est équivalent ou inférieur à la moyenne française (entre 14 300 € et 17 400 € selon les Iris, la moyenne française étant de 16 910 € en 2006) ; et, d’autre part, les secteurs latéraux ainsi que les alentours de la place Sathonay, où il est nettement plus élevé (de 19 200 € à 21 500 €). Les revenus sont également inégaux au sein même de chaque Iris, puisque les rapports interdéciles sont égaux ou supérieurs à 8 dans six des neuf Iris, et même supérieurs à 10 dans deux d’entre eux (à titre de comparaison, le rapport interdécile moyen en France en 2006 s’établit à 5,4). La part de ménages non imposés est, dans tous les Iris du quartier, supérieure à la moyenne lyonnaise (de 32 à 40 %, la moyenne à Lyon étant de 32 %)

En définitive, si les Pentes apparaissent aujourd'hui comme l’un des secteurs de Lyon où les profils socioprofessionnels des habitants sont les plus élevés, il présente également des spécificités, comme la prépondérance des jeunes et des « solos », les revenus modérés ou encore la part importante d’emplois précaires. En outre, à côté d’une population qualifiées à la présence de plus en plus massive, subsistent des ménages pauvres, notamment dans la moitié Est du quartier. La croissance des emplois précaires a toutefois ralenti entre 1999 et 2006 dans toute la ville, et plus nettement encore à la Croix-Rousse : alors que le premier arrondissement était celui où la hausse était la plus forte au cours des années 1990, il est, avec le quatrième, celui où elle est la plus modérée entre 1999 et 2006. C’est aussi celui où la baisse du taux de chômage a été la plus vive depuis 1999. Enfin, c’est l’arrondissement ayant connu la plus forte hausse du revenu moyen entre 2000 et 2005, et les disparités entre Iris ont plutôt diminué. La gentrification semble s’être accélérée ces dernières années en même temps que les prix de l’immobilier s’envolaient ; le peuplement des Pentes semble ainsi de plus en plus homogène.

Notes
133.

Le sixième arrondissement se trouve à l’autre bout du classement de ce point de vue : il présente le taux de précaires le plus faible et le deuxième taux de chômage le plus faible après le quatrième arrondissement.

134.

On peut rappeler qu’en 2002, un jeune sur trois étant entré dans la vie active au cours des cinq années précédentes est employé avec un contrat temporaire (Givord, 2005).