Conclusion

Les gentrifieurs arrivés dans les Pentes au début des années 1980 sont aujourd'hui âgés de cinquante ou soixante ans. Certains ont quitté le quartier, d’autres y sont restés. Depuis, de nombreuses « vagues » de gentrifieurs se sont succédées dans un espace en perpétuelle évolution. Jeunes adultes qualifiés, ils représentent autant de générations de classes moyennes-supérieures, dont le gonflement numérique laisse présager la diversité interne. Dans le Bas Montreuil, même si la gentrification fut initialement plus lente, elle est palpable dès les années 1980. Là aussi, s’intéresser aux gentrifieurs arrivés depuis cette période permet d’explorer les fractions sociales auxquelles ils appartiennent. Les transformations des classes moyennes et supérieures observées au premier chapitre se retrouvent pour partie dans ces deux espaces : tassement de la croissance des cadres du public et des enseignants, croissance des professions de l’information, des arts et des spectacles dans les années 1990, des cadres techniques tout au long de la période et des cadres administratifs et commerciaux au cours des dernières années, précarité croissante de l’emploi… Ils constituent donc de bons points d’observation pour approfondir la connaissance de ces différentes composantes des nouvelles « nouvelles classes moyennes ». En même temps, comme les statistiques des recensements l’ont montré, les Pentes et le Bas Montreuil ont offert des visages très contrastés au fil des vingt-cinq dernières années, que ce soit en termes de bâti ou de peuplement. Il apparaît clairement que, dans chacun des quartiers, les gentrifieurs des années 1980 et des années 2000 n’ont pas fait le même choix résidentiel.

A cette différenciation temporelle des profils de gentrifieurs et des motifs de leurs choix résidentiels, s’ajoute la différence géographique : situés dans deux agglomérations qui diffèrent par leur taille et leur histoire mais aussi par la structure des emplois, les niveaux de revenus ou encore l’état du marché immobilier (ces deux derniers éléments suggérant que des niveaux de qualification ou de revenus identiques n’offrent pas la même place dans la structure sociale locale à Lyon et à Paris), les Pentes et le Bas Montreuil présentent des caractéristiques contrastées, notamment en termes localisation et de parc de logement. Il ont aussi des images différentes. D’un côté, les Pentes se présentent comme un quartier de gentrification ancienne toujours en cours de valorisation – le processus étant étayé par des politiques publiques –, devenu le quartier en gentrification par excellence dans son agglomération. De l’autre côté, le Bas Montreuil constitue un quartier de gentrification plus récente, aux références symboliques et esthétiques moins établies, qui prend place parmi beaucoup d’autres dans une agglomération offrant toute une palette de lieux de résidence aux jeunes classes moyennes-supérieures diplômées. Là aussi, nous retrouvons certaines des évolutions de la gentrification présentées au précédent chapitre – valorisation immobilière des centres, participation sous diverses formes des pouvoirs publics, diffusion de la gentrification à des espaces moins clairement anciens et centraux et à un bâti non originellement bourgeois, apparition de nouvelles normes esthétiques – à l’égard desquelles les deux quartiers présentent des configurations différentes. En particulier, on peut se demander comment les choix résidentiels « spontanés » des ménages s’articulent à des politiques urbaines a priori aussi différentes que celles de la mairie de Lyon et de la mairie de Montreuil. Devant des quartiers aussi différents, se pose aussi la question plus large de ce qui motive les choix résidentiels des gentrifieurs et de ce qui fait que l’on peut parler de gentrification à propos des rapports qu’ils établissent avec leur environnement. Comment le nouveau contexte immobilier redéfinit-il les choix résidentiels des gentrifieurs ? Ces derniers sont-ils toujours en quête de centralité et d’ancienneté ? Y a-t-il en définitive des points communs entre gentrifieurs montreuillois et croix-roussiens ? Les propos de cette pionnière de la gentrification des Pentes de la Croix-Rousse incitent à répondre par l’affirmative :

‘Ah ! j’adore Montreuil ! J’y étais dimanche dernier, […] j’adore cet endroit ! […] j’adore la vie de quartier, ce côté mélange, ce côté tout est pas cher, t’as le marché en permanence… […] il y a toutes les nationalités, et je trouve que c’est… et en plus, enfin j’idéalise pas, hein, j’y vis pas donc je peux pas dire, mais j’ai l’impression que ça se passe relativement bien entre les gens. […] Et puis j’aime bien parce que c’est ce côté village comme la Croix-Rousse, en fait. Moi ce qui me fait marrer, c’est qu’à Montreuil, j’y vais, je vais boire un café au Bar du marché, une fois sur deux je rencontre quelqu'un que je connais, quoi ! Et puis, ce qui est sympa, c’est que les gens sont investis dans leur quartier… (Valérie, peintre décoratrice, arrivée dans les Pentes en 1986)’

Nous allons donc dans les deux prochains chapitres observer de plus près les points communs et les différences entre gentrifieurs croix-roussiens et montreuillois des différentes époques, et analyser les ressorts de leurs choix résidentiels.