3.2 Etre enfant d’« aventuriers du quotidien » : rapports au travail et militantisme

Parmi les « jeunes croix-roussiens » rencontrés, un couple a particulièrement retenu notre attention sur cette question des métamorphoses des « nouvelles classes moyennes » et du profil sociologique de leurs successeurs. Antoine et Stéphanie, arrivés sur les Pentes en 2005, sont en effet emblématiques de plusieurs des caractéristiques relevées parmi les « nouveaux » croix-roussiens : un rapport distancié au travail et à la carrière ; un rapport expert et individualisé aux engagements associatifs ; une absence de discours politique ou idéologique accompagnant les choix professionnels ou militants. Ce qui nous intéresse ici est qu’Antoine a été élevé par des parents typiques de la « classe d’alternative », un chercheur et une documentaliste-traductrice au CNRS, qui ont quitté Paris dans les années 1970 dans le mouvement de « retour à la terre » et ont par la suite été engagés dans les mouvements d’opposition au nucléaire. Antoine est né et a été élevé dans la ferme qu’ils ont rénovée dans le Bugey. Stéphanie vient d’un milieu plus populaire : son père était viticulteur, sa mère aide maternelle en école maternelle, ils se sont séparés quand elle était enfant. Tous deux diplômés d’un Master de gestion, Antoine et Stéphanie ont donc des trajectoires sociales et des socialisations familiales différentes. En nous concentrant sur le cas d’Antoine, et à l’aide des légères différences que nous avons décelées dans les propos de sa compagne, nous pouvons dans cette section aborder cette question des générations de gentrifieurs non plus seulement sous l’angle des générations socio-démographiques, mais aussi sous l’angle des générations familiales : c’est la filiation directe à ces « nouvelles classes moyennes » qui est explorée ici, en montrant les effets de la socialisation familiale et leurs recompositions liées aux socialisations ultérieures et à l’appartenance à une autre génération sociale.

Antoine et Stéphanie ont été interrogés ensemble au cours d’une longue soirée à leur domicile (plus de cinq heures de discussions enregistrées). Nous allons commencer par analyser leur rapport au travail et à la carrière, puis nous étudierons l’engagement associatif d’Antoine sur un projet qui avait mobilisé la « classe d’alternative » : la possibilité d’un « habitat différent » (Bacqué, Vermeersch, 2007).