2. Choisir les Pentes

S’installer dans les Pentes en 1970 ou en 2003, c’est s’installer dans deux quartiers complètement différents. La composition sociale, le confort des logements, les activités et normes d’usages des espaces, mais aussi l’image, la réputation du lieu se sont complètement transformés entre les deux dates. De fait, les Pentes sont choisies pour des raisons à première vue opposées par les « pionniers » et les « nouveaux » croix-roussiens : alors que les premiers le choisissent car il est peu valorisé, à contre-courant, marginal, c’est au début des années 2000 dans un quartier « central », cher, demandé, que veulent s’installer nos enquêtés. Pourtant, des plus anciens aux plus récents, les propos des enquêtés montrent une étonnante continuité dans les représentations associées au quartier. Ce paradoxe apparent traduit en fait le mouvement de diffusion et de normalisation des goûts et des valeurs portés par les premiers gentrifieurs ; l’« invention du patrimoine » (Bourdin, 1984) se lit ici particulièrement bien, l’historicité du bâti devenant peu à peu une sorte de label, de garantie d’un certain nombre de propriétés sociales attendues du quartier, dans un rapport métonymique. Cependant, si les images mobilisées se retrouvent d’une génération à l’autre – un quartier convivial, un quartier central mais « pas prétentieux », un quartier rebelle aux normes sociales dominantes –, elles ne recouvrent pas les mêmes attentes et les mêmes rapports pratiques à l’espace local. La participation des premiers à ce qui fait des Pentes un quartier populaire, convivial, rebelle cède peu à peu le pas à un rapport plus « contemplatif », pour reprendre le terme employé par Catherine Bidou à propos des gentrifieurs d’Aligre (Bidou, 1984).