2.2.1 Un quartier « central, historique, convivial »

Alors que les parcours des « pionniers » et les raisons pour lesquelles ils s’installent dans les Pentes sont finalement assez variés, les discours des gentrifieurs arrivés à partir de 1990 sont extrêmement semblables. Non seulement les enquêtés partagent la même image du quartier – un quartier historique, central et convivial, ces caractéristiques étant toutes connotées très positivement –, mais ils émettent aussi les mêmes jugements de goût sur les autres quartiers de la ville et emploient le même vocabulaire pour décrire et juger ces espaces : la présence ou l’absence d’une « vie de quartier » ou « vie locale », de « mixité sociale », d’une « richesse culturelle », l’impression d’être « dans un village », le caractère « mélangé », « vivant », si le quartier est « chargé d’histoire », avec « des vieilles pierres », ou s’il n’a « pas d’âme »… Le sixième arrondissement est unanimement jugé bourgeois et familial, trop résidentiel, pas assez vivant (« c’est un quartier à familles et à jeunes cadres, et puis surtout il n’y a pas de vie le soir, tout est fermé, c’est chiant »). Villeurbanne rime avec « moderne », « tout béton », « moche » ; c’est un repoussoir pour beaucoup d’enquêtés. Le Vieux Lyon est jugé « trop touristique », il « manque d’authenticité ». Ils sont plus divisés sur la Presqu’île : l’architecture leur plait, mais ce sont les activités « trop commerciales » et la fréquentation qui leur posent problème – des « gens qui viennent du périurbain, de la banlieue pour se divertir dans le centre-ville » (Antoine), des supporters de l’OL ou des étudiants en bizutage (Marianne). Quant au plateau, ils l’apprécient en général mais ne souhaitent pas y vivre tant qu’ils n’ont pas d’enfants, le jugeant trop loin du centre. Certains agents immobiliers les ont incités à investir dans le futur quartier Confluence, derrière Perrache, mais c’est à leurs yeux « un quartier de projet d’architecte », pas un quartier de « gens » - contrairement à Vaise, autre quartier en transformation, qui paraît davantage « co-produit » par les habitants240.

Dans l’espace lyonnais, la Guillotière est l’autre quartier qui leur est le plus sympathique. Plusieurs d’entre eux disent qu’ils auraient pu y vivre, ou qu’ils chercheraient à s’y loger s’ils arrivaient de nouveau à Lyon. Le quartier est jugé « assez sympa, assez vivant », avec « des boutiques qui sortent un peu de l’ordinaire, des boutiques chinoises, des boutiques africaines ». Un système d’équivalence se dessine entre Vaise, la Guillotière et les Pentes de la Croix-Rousse et s’étend, pour les anciens parisiens, à d’autres quartiers qu’ils ont fréquentés comme Belleville, les Buttes Chaumont ou Gambetta (Ménilmontant) : des quartiers « mélangés », « commerçants », « animés ».

Ce goût pour les quartiers anciens de faubourg (la Croix-Rousse, Vaise et la Guillotière furent rattachés à Lyon simultanément) illustre parfaitement les analyses de Jean Remy concernant le « retour aux quartiers anciens » (Remy, 1983). Si ces quartiers leur plaisent – et les Pentes plus que les autres – c’est parce qu’ils satisfont aux trois « valeurs nouvelles » que les « pionniers » ont portées et dont ils héritent : la centralité, la convivialité, l’historicité (Remy, 1983). La centralité est une exigence forte de tous nos enquêtés ; quelques-uns ont envisagé de s’installer à la campagne (et souvent très vite renoncé lorsqu’ils réalisaient la rupture que cela impliquait à l’égard de la ville-centre), mais « l’entre-deux », c'est-à-dire non seulement la banlieue mais aussi les arrondissements périphériques, est catégoriquement rejeté. L’historicité du quartier et l’ancienneté des bâtiments sont ensuite très importants à leurs yeux, et plus généralement, le pittoresque, l’artisanal, l’autochtone, tout ce qui porte la trace d’autres usages. On retrouve comme chez les « pionniers » un rejet de l’architecture moderniste et de la rationalité, du fonctionnalisme et de la standardisation qu’elle prône. Les quartiers modernes « n’ont pas d’âme » et pas de « richesse culturelle », au contraire des Pentes qui sont « chargées d’histoire ». Par ce plébiscite de l’« ancien » et de l’« authentique », c’est la valeur symbolique du quartier ancien contre sa valeur utilitaire qui est affirmée ; la logique de la signification se voit réaffirmée contre celle de l’utilité (Remy, 1983). Enfin, la « convivialité », l’existence d’une « vie locale » ou d’une « vie de quartier » est une demande forte ; mais il s’agit là aussi surtout d’un élément de décor (beaucoup parlent d’« ambiance ») aux vertus plus symboliques que pratiques.

‘Je trouve ça facile d’arriver dans ce quartier, parce que c’est… il y a effectivement une vie de quartier – moi pour l’instant je suis même pas dedans – mais qu’on sent courir tout autour, et rien que ça c’est agréable. (Marianne, chargée de programme secteur associatif, arrivée en 2005 comme locataire)’

Quels symboles, quelles significations sont recherchés dans la contemplation de ces sociabilités ? L’insistance sur la convivialité peut se lire, comme le suggère Jean Remy (1983), comme la manifestation d’une rupture entre la vie socio-économique (activités professionnelles, contraintes, gestion des rapports sociaux à petite échelle) et la vie socio-affective qui est revalorisée (sociabilités, exaltation des émotions, rapport affectif au bâti)241 ; ou, selon les termes de Catherine Bidou (1984), comme une dénégation des rapports sociaux de domination. Ainsi, Antoine et Stéphanie voient leur « utopie d’un quartier où les gens se parlent » se réaliser quotidiennement

‘T’as beau être pressé, tu rencontres toujours du monde, tout le temps ! Et les gens se parlent ! Ils se parlent ! Les gens n’ont pas peur de t’accoster dans la rue pour te demander l’heure ou te demander des trucs, quoi ! (Stéphanie, acheteuse en clinique associative, arrivée dans les Pentes en 2004 comme propriétaire )’

Mais surtout, les conversations sont (elles aussi) empreintes d’ « authenticité », c'est-à-dire qu’elles ne semblent pas le produit de convenances sociales et ne visent pas – du moins c’est l’impression qu’elles donnent – à réactiver les classements socio-économiques. Les rapports sociaux contraints semblent comme magiquement effacés, grâce aux qualités humaines propres aux Croix-Roussiens :

‘C’est de l’ordre de « où est-ce que tu en es de ci, de ça » ; si tu leur as parlé d’un sujet avant, ils s’intéressent. Et nous c’est pareil, on s’intéresse à leurs trucs. On te dit un truc, tu le retiens, tu t’en fous pas, c’est pas histoire de faire la conversation ! (Stéphanie)
Les gens ils commencent à parler avec toi, leur première question c’est pas de te demander ce que tu fais dans la vie ! Moi ça m’a vraiment marqué ! Des gens qui peuvent se satisfaire de la relation avec toi sans te demander ce que tu fais dans la vie ! Non, ça te paraît pas étonnant ? […] Ca m’a fait plaisir, c’est tout. Parce que tu sens que quand on te demande pas ça, c’est qu’on te pose pas des questions sur toi pour te juger, tu sais qu’il y a pas de place au jugement finalement. Enfin, pas un jugement… de pedigree ! T’as pas de jugement de pedigree, on ne cherche pas à te mettre dans une case ! (Antoine, chargé de communication secteur associatif, arrivé dans les Pentes en 2004 comme propriétaire)’

Toutefois, Antoine et Stéphanie perçoivent bien que ces interactions ne sont pas dénuées de jugement social, malgré les apparences :

Et est-ce qu’il n’y a pas des jugements sur d’autres choses, c'est-à-dire, est-ce qu’on ne vous attend pas au tournant, justement ?
Si, on nous attendait au tournant. On nous attendait gravement au tournant, parce qu’on voulait pas qu’on pète l’ambiance du quartier.
Et alors sur quoi, il y a eu des trucs concrets où vous avez mesuré que…
C'est-à-dire qu’on est arrivés, c’était le raz de marée bobo, hein. C'est-à-dire qu’on avait cette étiquette. Ils nous l’ont dit ! Ils nous ont vu arriver… enfin quand ils ont vu que c’était en vente, déjà, leur première angoisse c’est : qui ils vont nous mettre. Et je sais pas, ils voulaient pas que ce soit des gens d’un esprit classique comme on imagine, des gens qui sont cloîtrés chez eux, qui ont peur de l’autre… Ils voulaient pas que ça plombe l’ambiance, d’une certaine façon. Et d’une certaine façon, ils ont vachement apprécié qu’on retape nous-mêmes, ils ont été très admiratifs de ce qu’on faisait… (Antoine)’

Cette convivialité particulière, cette « ambiance » est donc une construction sociale fragile à laquelle tous doivent participer en montrant qu’ils en comprennent les codes. Savamment entretenue, elle qualifie le quartier : les Lyonnais et les nouveaux venus, après quelques années passées à Lyon, savent qu’ils peuvent trouver à la Croix-Rousse cette « ambiance de petit village » qu’ils affectionnent :

‘Je cherchais la Croix-Rousse plus particulièrement, parce que j’habitais dans la région parisienne une petite ville entre Orléans et Paris et j’avais envie de retrouver l’ambiance de petit village que j’avais beaucoup appréciée dans cette ville-là : donc des petits commerces de proximité, la possibilité de côtoyer les voisins et je savais, étant lyonnaise, qu’à la Croix-Rousse j’allais retrouver ça. (Brigitte, enseignante de technologie, arrivée dans les Pentes en 1990 comme propriétaire)’

L’image du village permet la synthèse de trois éléments : le village est un centre, il est une survivance du passé et il est un lieu d’échanges et de sociabilités. Deux places des Pentes incarnent cette image : dotées de terrasses de cafés, d’arbres et de joueurs de pétanques, la place Colbert (qui « fait hyper vie locale » pour Marianne) et la place Sathonay sont particulièrement appréciées des gentrifieurs.

L’ « utopie » d’un quartier où les gens se connaissent ou font facilement connaissance et la référence au village traduisent le même projet de résistance à l’égard d’un agresseur, le capitalisme moderne, vecteur d’éclatement des rôles sociaux et des solidarités traditionnelles242. Mais comme l’indique Jean-Yves Authier, le quartier-village est plus qu’une image, c’est une « construction qui produit en retour certains effets sur la réalité de ce quartier » (Authier, 1993, p. 95)243. Les gentrifieurs ne sont pas uniquement dans un « rapport de contemplation » (Bidou, 1984) avec les sociabilités locales ; ils s’efforcent d’y participer. Venus dans le quartier sans y connaître personne, peu impliqués dans des réseaux associatifs locaux, ils essaient au moins de reproduire dans leurs relations de voisinage immédiat cet « esprit croix-roussien » qu’ils observent autour d’eux. Cela commence en général (mais s’arrête aussi parfois) lors des déménagements : aidés par leurs nouveaux voisins lors de leur emménagement, ils aideront les suivants à s’installer. Le voisinage immédiat, de façon générale, est vite rencontré, et des efforts sont faits pour faire vivre une petite collectivité à l’échelle de l’immeuble.

On perçoit bien dans tous ces discours les valeurs de leurs prédécesseur, qui se sont diffusées à la fois par contiguïté dans l’espace social, par transmission familiale dans le cas des enfants d’ « aventuriers du quotidien », mais aussi par le biais des politiques qu’ils ont contribué à mettre en œuvre à mesure qu’ils « investissaient des lieux de pouvoir », comme l’indiquait Francine Dansereau dès 1985. En témoigne l’importance croissante, dans les jugements portés par nos enquêtés, de l’architecture et des critères esthétiques des différents quartiers pour qualifier la vie sociale qu’ils abritent : cet écologisme s’enracine dans les politiques urbaines que les « nouvelles classes moyennes » ont contribué à façonner. Alain Bourdin (1984) et Sylvie Tissot (2007) ont montré, chacun de leur côté et à partir de deux ensembles de politiques urbaines a priori étanches, comment leurs membres ont contribué à la valorisation des quartiers anciens d’un côté, à la stigmatisation de l’architecture moderne de l’autre, et plus largement à la diffusion de catégories de jugement des espaces et de leurs habitants fondées sur des propriétés architecturales. D’une part, « l’invention du patrimoine » et la mise en place des politiques de protection et de réhabilitation des bâtiments et quartiers jugés anciens a contribué à la valorisation de ces espaces bâtis (Bourdin, 1984). Un peu plus tard, la mise en place de la politique de la ville a en partie reposé sur une exaltation des quartiers anciens garants de « mixité sociale » et a conduit à la dépréciation de l’architecture « de barres et de tours », déjà condamnée dans les années 1980 par rejet du modernisme (Tissot, 2007). Les jugements esthétiques (beau/laid) portés par nos enquêtés sont, pour partie, le reflet de la valorisation ou la dévalorisation du bâti que ces politiques ont entraînées ; ils recoupent exactement l’opposition ancien/moderne. Ainsi le quartier des Etats-Unis, dans le 8e arrondissement fait à Nathalie l’effet d’un puissant repoussoir244 : hébergée, le temps de trouver un appartement, au Centre International de Séjour de Lyon, avenue des Etats-Unis, elle souffre d’un environnement marqué par les symboles du « problème des banlieues » que sont l’architecture de « barres » ou simplement les noms (celui des Minguettes, terminus du bus qu’elle prend tous les jours, jusqu’où elle ne va jamais) ainsi que de l’absence de « convivialité » du quartier (on retrouve bien dans ses propos la dimension socio-affective dont parle Jean Remy, selon lui constitutive des classes moyennes245, ici redoublée par une situation de rupture amoureuse) :

‘J’y ai beaucoup séjourné, c’était dans le 8ème ; et donc pour aller au boulot je prenais le 36, donc les Minguettes, enfin c’était… c’était affreux, j’ai vécu ces deux mois, vraiment… Habiter là-bas, je trouvais que c’était vraiment horrible, c’était vide à partir de 7 heures… Donc c’était vraiment, pour moi une transition très difficile, sachant que, en plus, mon départ pour Lyon était lié à une rupture, etc. donc le psychologique, enfin le cœur, l’affectif, plus arriver comme ça dans ce quartier-là de barres, justement, enfin, un boulevard où il y avait un truc à quatre voies et puis des immeubles et basta quoi, c’était vraiment terrible. Donc j’ai tout de suite su que je n’habiterais pas là. Ca a été ma première décision [rire]. […] Je voyais les voitures arriver au feu rouge, freiner, s’arrêter et redémarrer, mais y a jamais âme qui vive ! Tu vois, donc la solitude personnelle, elle était comme redoublée par cette solitude… spatiale. Enfin, c’était vraiment, j’en ai pleuré, des soirs, c’est vraiment fort, quoi… l’antipathie de ce quartier. (Nathalie, ingénieur à direction régionale de l’environnement, arrivée en 2003 comme propriétaire)’

Toutefois l’opposition ancien/moderne est également une construction sociale, comme en atteste l’exemple du quartier des Gratte-Ciel à Villeurbanne, qui montre bien l’importance du travail symbolique de patrimoinialisation. Bâti à la même époque que le quartier des Etats-Unis et composé de tours de béton, il est unanimement critiqué par nos enquêtés qui l’évoquent (il est jugé « laid », « tout béton », « moderne », « pas du tout mélangé »), sauf par une enquêtée ayant suivi des études d’histoire, Marianne, qui a été réceptive à la patrimonialisation dont il fait l’objet depuis plusieurs années. Des livres et une exposition auxquels des historiens ont contribué ont en effet réussi à mettre en valeur la spécificité de son architecture des années trente, qui le distingue des opérations de logement social d’après-guerre. Egalement valorisé par une mise en lumière et (surtout) par la proximité d’un grand établissement culturel (le Théâtre National Populaire), il est alors jugé « beau » et « vivant » :

‘Et après, juste en y passant, donc vraiment c’est des sensations comme ça, j’ai bien aimé le quartier des Gratte-ciel à Villeurbanne : pareil, l’architecture, et puis ça a l’air vivant, ça fourmille un peu… au niveau économique, au niveau culturel, il y a le théâtre, ça a l’air bien ! Mais bon j’ai dû y passer une soirée ! Mais c’est beau, quoi, il est vraiment chouette cet ensemble. (Marianne, chargée de programme secteur associatif, arrivée dans les Pentes en 2005 comme locataire)’

Le quartier des Etats-Unis, qui date pourtant de la même époque et a été dessiné par l’architecte Tony Garnier, bien connu des Lyonnais, a pourtant également fait l’objet d’une mise en valeur historique et d’une patrimonialisation, mais Nathalie est moins sensibilisée à l’histoire urbaine que Marianne et ne connaît pas du tout Lyon lorsqu’elle y arrive. Elle ne voit donc « que » l’architecture de ce quartier, et trouve a contrario refuge dans l’ancien « labellisé » des Pentes, décor vivant contenant tous les éléments symboliques associés à une « urbanité » positive, réussie.

Le quartier des Pentes est bien, pour ces jeunes gentrifieurs, un « support de projections […] et réservoir de sens » (Bidou, 1984, p. 89). La description que fait un enquêté de l’itinéraire qui le mène du centre-ville à chez lui montre comment chaque élément de décor est investi d’une signification : écologie, connotation négative de la police, rejet de la clôture de l’espace urbain…

‘« Quand on vient de l’hôtel de ville, on enchaîne : place Sathonay, qui est super sympa, où t’as les gens qui jouent aux boules, les petits commerces, enfin tu vois c’est une place… c’est la place où il y a le plus de vélos de Lyon, donc nous comme on est un peu écolos, ça nous plait. Et puis elle est super agréable, cette place. T’as toujours des joueurs de boules, t’as… un commissariat, qui ne casse pas l’ambiance, paradoxalement. Et puis après il y a des escaliers. Tu tombes sur le jardin des plantes donc t’entres dans un espace vert qui est ouvert, tout le temps, c'est-à-dire qui ne ferme pas [la nuit]. Ensuite montée des Carmélites et on arrive ici. » (Damien)’

Ce décor recèle aussi quelques figures, « personnages » qui incarnent les valeurs que l’on apprécie à la Croix-Rousse. Dans l’immeuble d’Antoine et Stéphanie, les voisins incarnent ainsi différentes facettes du quartier. La Croix Rousse immigrée, ce sont les quatre familles du clan Attilio, des immigrés italiens « là depuis toujours » : « eux c’est vraiment l’esprit Croix Rousse d’origine […], les vrais habitants de la Croix Rousse d’il y a vingt ans ». La Croix Rousse anticapitaliste, c’est l’ancien locataire du logement qu’ils ont acheté, qu’ils ont quelques remords à avoir délogé : un quadragénaire « plutôt artiste », qui travaille dans un centre culturel à Vaulx-en-Velin, « donc à petits revenus » ; « c’était l’exemple type de l’esprit Croix Rousse, super cultivé, mais très décroissant dans l’âme – des décroissants qui n’ont pas attendu la théorie pour l’être ; […] pas société de consommation du tout, la richesse culturelle avant tout ». Et puis la Croix Rousse marginale, c’est ce menuisier de soixante-quinze ans, « un mec super, un baroudeur » marié à une Algérienne : « mixtes, à l’époque – tu vois moi de cette époque, j’en connais pas. Et puis c’était un personnage. Nous on l’a connu trop peu parce qu’il est décédé très vite, mais il était très attachant » (Stéphanie). Toutefois, les militants associatifs rencontrés par Bernard Benoussan et Jacques Bonniel (1979a, 1979b) vingt ans plus tôt sont plutôt absents de ces représentations : ne sont-il pas également un facteur d’attraction pour les jeunes gentrifieurs ?

Notes
240.

On peut lire dans ce jugement une filiation directe avec le « syndicalisme de la vie quotidienne » décrit par Bensoussan et Bonniel où la prise de position repose sur la dévalorisation de la maîtrise de compétences techniques et la revalorisation des usages (Bensoussan, Bonniel, 1979, p. 103).

241.

On peut y voir une autre dimension du rejet du mouvement moderniste, qui valorisait l’efficacité et une intelligence analytique.

242.

« L’image du quartier-village permet également de « (fixer) une sorte de « solidarité résiduelle » qui (s’affiche) face aux « dangers extérieurs » » (Authier, 1993, p. 95).

243.

C’est donc un mythe au sens où les mythes sont « nécessaires à la mise en forme des produits de [l'activité intellectuelle] et à l'organisation des relations entre les individus. […] servent à constituer les catégories dans lesquelles s'enracinent les cultures […] jettent à la fois les bases de la signification et celles de la communication »,selon l’Encyclopedia Universalis citée par Bidou (1984, p. 89).

244.

Les enquêtés n’évoquent aucun des quartiers d’habitat social construit après la Seconde guerre mondial ; ils ne font absolument pas partie de leurs références.

245.

« En effet, la classe moyenne peut être définie comme une position sociale de transition qui cherche à dissocier son groupe de référence de son groupe d’appartenance et à se construire un passé et une identité enracinée. Dans la poursuite de cet effort, elle tend à donner priorité à un certain nombre de problèmes affectifs et notamment à s’assurer un réseau de relations pour sortir d’un isolement ; elle est ainsi très séduite par tout ce qui lui semble favoriser la convivialité, alors qu’est réduite sa volonté d’acquisition d’un certain capital social. » (Remy, 1998, p. 347)