Conclusion

Un des principaux résultats de ces analyses est à nos yeux que les quartiers en gentrification ou gentrifiés forment aujourd'hui un système d’espaces de référence pour les « classes moyennes cultivées ». Dès la fin des années 1980, Jean-Yves Authier avait remarqué l’importance des circulations entre Saint-Georges et la Croix-Rousse à Lyon (Authier, 1993). Il semble que ces circulations et réseaux existent désormais à l’échelle nationale (ou du moins des grandes agglomérations du pays), comme l’indiquent les espaces pratiqués ou évoqués par nos enquêtés : le Marais, la Bastille, Belleville, Ménilmontant, les Batignolles, la Croix-Rousse, la Guillotière, le Bas Montreuil… Bien sûr, ces espaces ne sont pas les seuls fréquentés ni même les seuls appréciés par tous les gentrifieurs, mais ils semblent former, pour une partie d’entre eux au moins, un ensemble homogène de quartiers au sein duquel ils se déplacent comme en terrain connu et qui leur servent de points de référence.

Cet ensemble géographique apparaît sinon hiérarchisé, du moins différencié, certains de ces quartiers correspondant davantage à certaines fractions des « classes moyennes cultivées », à certains moments de leurs trajectoires (jeunes dans les Pentes ; familles dans le Bas Montreuil), à des déclinaisons de leur système de goûts (la Croix-Rousse étant aujourd'hui plus intéressante pour son « paysage urbain », la Guillotière pour son « paysage social », pour reprendre les termes d’une de nos enquêtées), à leurs sensibilités politiques (mouvance libertaire dans les Pentes, ancienne banlieue rouge dans le Bas Montreuil ), etc. L’émergence des formes architecturales valorisées que sont le « canut » et le « loft » apparaît de ce point de vue comme un révélateur des systèmes de valeurs légèrement différents qui prédominent dans les Pentes et dans le Bas Montreuil – tout en étant directement liée à l’offre immobilière différente de ces deux quartiers.

Comment se forment les images qui sont aujourd'hui associés à ces différents quartiers ? Comment intègrent-ils ce système d’espaces de référence ? Comment des propriétés urbaines et des formes architecturales deviennent valorisées aux yeux des « classes moyennes cultivées » ? Il s’agit là, selon nous, du résultat d’un travail de (re)classement à la fois social et spatial effectué, de façon consciente ou non, par les gentrifieurs. C’est ce travail que nous allons analyser dans le cas du Bas Montreuil dans la deuxième partie de cette thèse. Avant cela, résumons les principaux résultats dégagés au cours de cette première partie.