1.2 Les années 1980-1990 : un nouvel interventionnisme municipal dans le Bas Montreuil

Les impasses de la politique de conservation industrielle et la paupérisation du Bas Montreuil conduisent à une véritable « rupture dans l’histoire de l’urbanisme local » (Pellegrini, 1992) : les années 1980 sont marquées par un redéploiement de l’interventionnisme municipal dans la plaine, destiné à répondre à la chute de l’emploi industriel et au délabrement du quartier et à faire face à la pression croissante de la spéculation immobilière dans le cœur de l’agglomération parisienne. L’arrivée de Jean-Pierre Brard à la mairie, d’abord comme premier adjoint chargé de l’urbanisme puis comme maire en 1984, est concomitante d’un véritable tournant dans la stratégie de développement et d’image de la ville. L’équipe municipale élue en 1984 souhaite reprendre la main sur les voies que prennent de facto les transformations du bâti et du peuplement du Bas Montreuil : l’objectif est de « préserver l’identité de la commune, en surveillant les transformations morphologiques et fonctionnelles du tissu urbain », c'est-à-dire « de gérer la substitution de nouvelles populations aux anciennes, afin de préserver l’avenir politique d’une équipe communiste « dissidente » dirigée par M. Jean-Pierre Brard » (Vite, 1993, p. 130). Celle-ci va donc réaliser un compromis entre les mesures traditionnelles de maîtrise de l’occupation des sols et des opérations d’aménagement d’envergure destinées à accompagner les transformations spontanées.

Ce nouvel interventionnisme municipal dans le Bas Montreuil s’inscrit également à partir des années 1990 dans le contexte de la « réforme urbaine » décrite par Sylvie Tissot, à laquelle Jean-Pierre Brard participe à la fois au niveau national (comme député) et au niveau local (comme maire) (Tissot, 2007). L’équipe municipale adopte à partir des années 1990 les représentations qui se sont solidifiées dans le monde scientifique et politique (territorialisation des problèmes sociaux, identification de l’état social dans les quartiers à l’état du bâti, abandon de la représentation classiste de la société, ethnicisation des catégories de perception), représentations qui conduisent à la stigmatisation des grands ensembles et à la promotion de la mixité sociale vue comme caractéristique des quartiers anciens. Dans sa thèse, Sylvie Tissot met en évidence le renversement du regard porté sur les différents quartiers à partir de l’analyse des récits et images que la ville de Montreuil produit sur elle-même280 : autrefois emblèmes de la municipalité communiste, les quartiers d’habitat social deviennent un « problème », tandis que le quartier ancien du Bas Montreuil, « naguère considéré comme le résidu d’une réalité vouée à disparaître », devient la vitrine de la ville et incarne sa modernité et son futur. Ce tournant se traduit aussi par l’adoption de nouveaux partis pris urbanistiques : abandon des principes modernistes et fonctionnalistes qui avaient guidé l’aménagement du plateau, reconnaissance de la valeur du tissu ancien, promotion de la mixité fonctionnelle et sociale (Tissot, 2007).

Il faut donc appréhender cette nouvelle politique de développement du Bas Montreuil à travers ces deux prismes, liés entre eux : celui de la crise du communisme municipal dans le contexte de la désindustrialisation et celui de la diffusion des catégories et des dispositifs de la réforme urbaine281. Les orientations de cette politique et les outils mis en place pour la mettre en œuvre vont structurer assez fortement le contexte résidentiel dans lequel les gentrifieurs apparaissent. Nous allons donc les présenter dans les grandes lignes afin de saisir si, et comment, ils ont pu favoriser l’arrivée d’un certain type de gentrifieurs.

Notes
280.

Deux supports de communication élaborés ou commandités par la ville à vingt ans d’écart témoignent de ce renversement des représentations : d’une part, un livre d’histoire, Montreuil-sous-Bois, des origines à nos jours commandé par la ville et publié en 1982 ; d’autre part, les textes et les images de « Coeur expo », exposition organisée en 2000 sur la place de la mairie afin de présenter aux habitants les projets urbanistiques en cours. Entre les deux, l’évolution des représentations et l’adoption progressive de nouveaux cadres d’interprétation se lit aussi dans les colonnes de Montreuil-Dépêche (Tissot, 2007).

281.

Diffusion favorisée par le contexte de décentralisation, qui impose aux communes de se saisir des opportunités financières de la politique de la ville quelle que soit leur adhésion à sa philosophie.