Le projet de quartier élaboré en 1983 reconnaît la mixité comme une « donnée héritée » du quartier et la promeut comme principe de restructuration du quartier : il s’agit désormais de concilier spatialement habitat et activités, choix perçus jusqu’alors comme antagoniques. Le POS est révisé de façon à reconnaître la mixité au niveau de l’îlot ainsi que la typologie d’imbrication propre au Bas Montreuil. Traduit en termes de stratégies de développement, cela suppose en fait de remettre en cause une autre frontière, celle qui sépare traditionnellement industrie et activités tertiaires. La « vocation industrielle » du quartier est à nouveau affirmée, mais la municipalité essaie d’attirer de nouvelles filières de production combinant activités secondaires et tertiaires, comme la bureautique ou l’informatique289. La partie Sud du Bas Montreuil, restée jusque-là à vocation seulement industrielle et considérée comme une « zone-tampon » destinée à protéger le marché immobilier montreuillois des influences de Vincennes, Saint-Mandé et Paris, est emblématique de cette nouvelle politique de mixité : elle peut désormais accueillir des activités industrielles, des bureaux, des parkings et des logements sociaux (malgré un COS industriel encore relevé, ce sont bien des entreprises du tertiaire qui s’installeront). La mairie reste préoccupée par les effets induits sur les valeurs foncières, mais les activités tertiaires sont désormais acceptées.
Le deuxième axe de cette politique de développement est de donner une seconde vie aux bâtiments industriels désaffectés et d’y attirer des PME : la priorité de la mairie reste en effet de défendre l’activité et d’éviter que le quartier ne devienne purement résidentiel. La fermeture d’une usine de papier peint, convoitée par le privé et à forte visibilité (bâtiment haut situé place de la République, au cœur du quartier), relance le débat sur la concurrence entre logements et activités. L’usine Dumas se transforme en symbole d’une volonté de défendre l’emploi et devient le premier Centre d’Activités de Pointe (CAP) : le bâtiment (16 000 m2 de plancher) est intégralement transformé en hôtel d’activités. Inauguré en 1986, CAP 1 est un succès (tous les lots sont attribués en huit mois en grande partie à des entreprises de graphisme et d’images de synthèse, notamment les studios Disney) qui confirme l’existence d’une demande de locaux de la part de petites unités de production travaillant dans les technologies nouvelles, soit nouvellement créées soit venant de l’Est de Paris. La ville poursuit donc cette politique d’acquisition-réhabilitation de bâtiments industriels délaissés et « CAP » devient un label. Fin 1989, 50 000 mètres carrés de locaux d’activité sont réaménagés, et 200 000 mètres carrés encore projetés. On passe ainsi d’une logique d’aménagement des conditions de fonctionnement des entreprises industrielles locales (qui continuent à céder du terrain) à une logique de requalification du tissu industriel par l’apport exogène d’entreprises à forte valeur ajoutée faiblement consommatrices d’espace. En accueillant des PME « de pointe », les CAP permettent de maintenir l’emploi et la taxe professionnelle mais aussi d’amorcer une conversion en termes de spécialisation économique : un effet réseau, encouragé par une sélection lors de la commercialisation, transforme le site en pôle centré sur les métiers de l’image et de l’animation. Cette spécialisation, appuyée par l’activation d’une « tradition locale » redécouverte à l’occasion (Pathé et Méliès avaient au début du siècle leurs studios dans le Bas Montreuil)290, va produire un important effet de réputation. L’aménagement des CAP permet aussi d’éviter que les bâtiments en friche ne soient squattés. « Le détournement des espaces est ainsi lancé mais reste totalement contrôlé, cadré par la puissance municipale » (Hatzfeld et al., 1998, p. 28).
Enfin, la volonté de conserver une mixité activités / habitat se traduit par la règle dite des 80/20 qui interdit le changement d’affectation d’un local d’activité en logement et indique qu’un maximum de 20 % de la surface peuvent être affectés au logement, 80 % étant dédiés à l’activité. Cette règle doit empêcher des acquéreurs de racheter un local d’activité pour y vivre et vise à sauvegarder l’artisanat autrefois important dans le quartier. Inscrite dans le POS de 1998 et rédigée de façon volontairement complexe, elle offre en fait à la mairie un droit de regard et un pouvoir de négociation sur les permis déposés afin de contrôler les changements d’affectation.
Cette vigilance en ce qui concerne les bâtiments existants, dont la mairie cherche à maîtriser les transformations d’usage ainsi que la valeur sur le marché immobilier, vaut aussi dans le cas du logement ; s’y ajoute une volonté de contrôle du peuplement.
L’objectif d’attirer des entreprises performantes et de compenser la chute des emplois industriels est d’autant plus important que les lois de décentralisation de 1983 et 1985 ont transféré aux communes de nouvelles compétences (notamment en matière d’urbanisme et d’action économique) sans que la dotation globale de fonctionnement allouée par l’Etat suive la courbe des dépenses. Les revenus de la taxe professionnelle deviennent donc cruciaux, pour Montreuil comme pour les autres communes.
Nous revenons plus longuement sur ce point dans la deuxième partie de la section.