Jean-Pierre Brard, alors premier adjoint délégué à l’urbanisme, rappelait en 1983 par ces mots les objectifs du Programme prioritaire de revitalisation du Bas Montreuil :
‘« Les deux piliers de notre politique du logement sur le Bas Montreuil sont la réhabilitation et la rénovation avec pour objectif le maintien sur place de la population âgée, l’arrivée de nouvelles populations permettant le rajeunissement du quartier, la diminution sensible du nombre de travailleurs immigrés. » (Jean-Pierre Brard, 1983, cité in Toubon, 1990)’En effet, la mise en valeur du quartier ne consiste pas seulement dans la valorisation économique d’un territoire dont la localisation aux portes de Paris était devenue stratégique, d’une réserve foncière où détruire et reconstruire pour accueillir des activités (ce qui sera également fait malgré tout). A côté de constructions neuves, on cherche à mettre en valeur le tissu ancien, bien qu’il soit de piètre qualité et plutôt délabré. Les rues, les bâtiments et les commerces vieillis n’ont pas la valeur historique d’un centre ancien de province, mais cela n’annule pas leur valeur symbolique : divers et antérieur aux années 1960, ce bâti semble être un précieux contre-modèle aux grands ensembles, qui éloigne à lui seul le spectre des problèmes désormais rattachés aux quartiers de barres et de tours dans l’imaginaire collectif. Cela se traduit par un changement d’optique en ce qui concerne le traitement du bâti existant : « à la logique de la construction, qui négligeait le quartier, succède […] une conception basée sur l’utilisation du parc existant » (Lévy, 1999, p. 25) et sur la préservation de la mixité du tissu urbain. On a vu comment les friches industrielles sont réutilisées, transformées parfois en immeubles de logements sociaux, plus souvent en locaux d’activités ; dans le parc de logements anciens, les propriétaires privés sont encouragés à la réhabilitation via les OPAH, avec succès (700 réhabilitations étaient prévues en dix ans, mais au bout de trois ans 900 logements ont déjà été réhabilités). Dans la construction de nouveaux logements sociaux enfin, l’accent est mis sur l’aspect qualitatif des opérations, qui sont beaucoup plus ponctuelles que dans le Haut Montreuil291. La politique mise en place se présente ainsi comme relevant à la fois de problématiques et de réponses locales d’un côté (CAP), de tendances et d’outils existant à l’échelle nationale de l’autre (OPAH).
Le deuxième objectif de la politique du logement présentée par Jean-Piere Brard est en effet la réalisation d’une certaine « mixité sociale »292, qui passe par la réhabilitation mais aussi par la production de nouveaux logements. Cette formule, avec toutes ses ambiguïtés et les représentations qui la sous-tendent293, est utilisée au même moment dans plusieurs communes de la petite couronne, notamment celles gouvernées par des équipes communistes ou apparentées. En effet « les actions se réclamant d’un objectif de « mixité sociale » s’exercent fréquemment dans des villes directement touchées par les transformations de la société post-industrielle », c'est-à-dire les communes de tradition industrielle et ouvrière où les mutations économiques conduisent à la paupérisation de la population traditionnelle (Bacqué, Fol, Lévy, 1998). Les politiques dites de « mixité sociale » dans ces villes sont prises entre deux objectifs : à la fois répondre aux problèmes de logement des ménages les plus défavorisés sans constituer des poches de pauvreté (crainte de la ségrégation) et attirer des couches moyennes qui contribueront à faire évoluer l’image du quartier294. Ce double objectif caractérise sans conteste la politique de l’habitat menée dans le Bas Montreuil au cours des années 1980 et 1990. La réhabilitation du parc ancien et la construction de logement social intermédiaire sont les principaux moyens de rééquilibrer le peuplement en faveur des couches intermédiaires sans exclure radicalement les populations plus modestes et sans rendre cet objectif explicite. Si, dans le cas lyonnais évoqué au chapitre 2, la mise en place d’OPAH semblait largement guidée par une préoccupation immobilière (encourager la réhabilitation des logements, dynamiser le marché immobilier) dans les Pentes comme à Saint-Georges (Authier, 1993), les objectifs en termes de peuplement semblent davantage présents dans le cas montreuillois, comme le manifeste l’articulation de la réhabilitation et de la construction neuve dans un même dessein. Celui-ci n’en apparaît pas moins en partie dévié par rapport à la logique de maintien des anciens résidents dans les lieux qui légitimait initialement le dispositif d’OPAH.
La construction de logements sociaux est confiée à la SEMIMO, société d’économie mixte créée à cette occasion ; sa mission est de réaliser des logements destinés aux jeunes ménages et aux salariés des entreprises locales, qui ne portent pas l’étiquette de l’OPHLM. Comme l’explique l’un de nos enquêtés, ancien gestionnaire de cette SEM, l’objectif est d’attirer des classes moyennes sans pour autant céder le terrain à des promoteurs privés :
‘Par rapport à cette libération d’espaces due à la délocalisation ou à la disparition des entreprises et de l’artisanat, la mairie a eu une action de construction de logements… je mets des guillemets : « sociaux », de qualité, pour de la classe moyenne susceptible d’être fidélisée par la mairie. Ca a été le travail de la SEMIMO devenue depuis Montreuilloise. C'est-à-dire du logement pour cadres moyens.Les données des recensements de 1990 et 1999 confirment comme on l’a vu que l’effort de construction s’est massivement déplacé du plateau vers le Bas Montreuil suite au virage du début des années 1980. Les logements sociaux représentent une part importante de ces nouvelles constructions (44 % entre 1982 et 1990 et 65 % entre 1990 et 1999), et ce malgré la diminution des aides à la pierre. A la fin des années 1990, le quartier compte 35 ensembles HLM dont 28 sont postérieurs à 1983295 et dont la taille moyenne est d’une quarantaine de logements (seules quatre opérations dépassent les 100 logements, la plus grosse abritant 161 logements). La part du logement social parmi les résidences principales est donc bien plus importante dans le quartier en 1999 qu’en 1982 mais bien moins visible que dans d’autres quartiers : l’habitat social dans le Bas Montreuil doit à sa construction tardive le fait d’être disséminé en opérations de taille modeste, intégrées à une trame ancienne dont elles respectent les parcelles, le découpage en îlots et l’alignement sur la rue.
On comprend mieux alors une partie des évolutions constatées au chapitre 2 : recul sensible de l’inconfort des logements, fort renouvellement dans le peuplement296, rajeunissement297 et élévation du niveau socio-économique des habitants. Les réhabilitations semblent avoir permis l’accueil de familles, par regroupement de petits logements sans confort en un seul grand appartement (Tartarin, 2003). Du côté du logement social, le peuplement du nouveau parc semble relativement équilibré, entre ménages des catégories populaires et intermédiaires, mais avec une prépondérance de ménages jeunes travaillant dans le tertiaire : Bacqué, Fol et Lévy (1998) indiquent que la composition sociale des 116 logements sociaux livrés en 1991 dans le Bas Montreuil présente une nette sous-représentation des chômeurs et des inactifs et une surreprésentation des professions intermédiaires et des employés. Les logements construits relèvent du financement de type PLA (Prêt Locatif Aidé)298. L’ancien gestionnaire de la SEMIMO que nous avons interrogé relève avec une certaine amertume :
‘C’est un prof de philo qui est le président de l’amicale des locataires de l’office HLM, pour vous dire, dans le Bas Montreuil. Et il ne s’en cache pas. Je veux dire qu’aujourd'hui, on ne joue pas l’ouvriériste. (un ancien gestionnaire de la SEMIMO)’L’émergence de la gentrification dans les années 1980 ne peut donc s’interpréter unilatéralement comme « spontanée » ou au contraire comme « déclenchée » par les politiques publiques ; celles-ci ne sont pas entièrement tournées vers l’attraction de classes moyennes et supérieures, mais elles leur accordent une large place. Les années 1980 et une bonne partie des années 1990 se caractérisent en tous cas par la forte présence de la municipalité sur le marché immobilier du Bas Montreuil : non seulement elle oriente et régule les transformations du parc, mais elle intervient aussi directement (construction sociale, CAP) et, plus encore, elle encadre les transactions des acteurs privés (particuliers ou entreprises), essayant de se substituer à la « loi du marché » pour la régulation des prix via les préemptions. De ce fait, pendant un temps, de nombreux critères autres que le pouvoir économique doivent être satisfaits pour intervenir sur ce « marché » local, critères qui portent entre autres sur le montant de la transaction, sa localisation et la nature des usages auxquels le bien est voué. Cependant la transformation du Bas Montreuil échappe progressivement au contrôle de la mairie à mesure que la pression immobilière s’accroît dans le cœur de l’agglomération parisienne.
« La faillite déclarée du modèle d’aménagement centralisé et planifié et la condamnation de sa réalisation la plus frappante – les grands ensembles – laissent place, à Montreuil, à une action axée sur la réparation. […] La métaphores de la chirurgie et de la couture, toutes deux évoquant un travail minutieux, à petite échelle et consensuel, loin de toute opération brutale et de grande ampleur, illustrent la nouvelle manière d’opérer sur le territoire » qui sera par la suite importée dans les quartiers de la politique de la ville (Tissot, 2007, p. 170-171).
C’est selon Sylvie Tissot « le mot d’ordre de la politique de revalorisation du Bas-Montreuil » (2002, p. 283).
Voir notamment Bacqué, Fol, Lévy, 1998 et Tissot, 2005.
L’habitat doit ainsi participer au projet de développement économique et urbain du quartier, « d’une part parce qu’il doit permettre de loger les futurs cadres et employés des entreprises que l’on espère attirer, d’autre part parce qu’il est un élément essentiel à la constitution de l’image urbaine » (Lévy, 1992).
Ce sont toutes des opérations de la SEMIMO, qui intervient jusqu’en 1995 dans le quartier.
En 1990, 53 % des logements sont occupés par des ménages installés depuis moins de 8 ans ; entre 1990 et 1999, 58 % des logements voient à nouveau leurs occupants changer.
Quatre classes de maternelles supplémentaires sont ainsi ouvertes entre 1983 et 1990.
« Issu de la réforme Barre de 1977, prévu pour allier l'aide à la pierre à l'aide à la personne, [le logement social financé par PLA] peut accueillir 80 % des ménages grâce à un plafond de ressources supérieur de 50 % aux anciens plafonds HLM.O (HLM ordinaires) » (source : site Internet Vie-Publique.fr).