1.3.3 Le tournant des années 2000 : essor et « normalisation » du marché immobilier montreuillois

Alors que les prix de l’immobilier à Montreuil étaient restés insensibles à la première « crise » immobilière de 1987-1995, ils suivent à partir du tournant des années 2000 les tendances de la capitale (cf. graphique 5-2). A partir de 1999, les prix moyens dans la commune commencent à croître à un rythme d’abord moins soutenu que dans la capitale, puis à un rythme comparable, la hausse s’accélérant brusquement en 2002. Les prix moyens au mètre carré passent de 1500 euros pour les appartements et 1800 euros pour les maisons à plus de 2500 euros en seulement trois ans (2002- 2005), soit une hausse de + 65 % pour les appartements et de + 40 % pour les maisons.

Graphique 5-2 : Prix moyen des logements au mètre carré, Paris 20
Graphique 5-2 : Prix moyen des logements au mètre carré, Paris 20ème et Montreuil, 1990-2008 (en euros courants)

Source : Chambre des Notaires d’Ile-de-France et Mairie de Montreuil
Données disponibles seulement jusqu’en 2005 pour les maisons.

La fin des années 1990 est donc une période de transition pour Montreuil, non pas tant parce que les prix commencent à y augmenter que parce que cette hausse révèle une intégration nouvelle du marché montreuillois aux tendances immobilières qui affectent la capitale. Le nombre de transactions a crû d’un tiers entre 1998 et 2007 et la part de parisiens parmi les acquéreurs a crû de 5 points. Dans le Bas Montreuil, l’évolution est encore plus frappante : en 1998, le prix moyen des appartements y est identique à celui de l’ensemble de la commune (1 270 euros / m2) ; en 2007, il est de 12 % plus élevé (3 780 euros contre 3 370 euros / m2). Quelques transactions y ont été enregistrées en 2007 à près de 6000 € le mètre carré ou plus de 600 000 € au total308 et la part des parisiens parmi les acquéreurs y a crû de 7 points (de 32 % en 1998 à 39 % en 2007).

Le marché immobilier connaît en même temps une « normalisation » progressive avec la raréfaction des biens immobiliers « atypiques » comme les friches industrielles, la fin des préemptions systématiques et des grandes opérations municipales de contrôle de la destination des sols, et la multiplication des intermédiaires professionnels (agences immobilières, promoteurs…). Les conditions d’entrée sur le marché se font ainsi plus classiques pour les particuliers.

Montreuil et le Bas Montreuil en particulier gagnent en même temps en visibilité sur le marché immobilier francilien. Les agences immobilières situées dans Paris commencent à prendre en charge des biens situés à Montreuil. La ville apparaît de plus en plus dans les dossiers « immobilier », qui se multiplient à mesure que les prix augmentent309 : après quelques articles isolés où elle est présentée comme un « bon plan », la première ville vers laquelle se diriger lorsque Paris devient trop cher (un article en 1998 dans Le Particulier Immobilier, un dans L’Express puis un dans Capital en 2001, à nouveau deux articles dans L’Express en 2002), quasiment tous les magazines consultés se penchent sur l’immobilier montreuillois à partir de 2004. Après l’envolée des prix enregistrée dans la ville en 2003 (+ 31 % en un an, un record en petite couronne), Montreuil apparaît en effet comme une ville « symbole de la hausse » dans l’agglomération parisienne, pour reprendre le titre d’un article publié dans Le Monde Argent en 2004. On annonce alors la saturation du marché dans le Bas Montreuil, la raréfaction des maisons individuelles et globalement la fin des « bonnes affaires » :

« Classée parmi les marchés immobiliers les plus dynamiques de France, Montreuil a vu ses prix augmenter de 31 % en 2003, une tendance qui s'est prolongée en 2004. Mais le plafond semble atteint. A plus de 3500 euros le mètre carré, les acheteurs font demi-tour. » (« Les quatre villes symboles de la hausse », Le Monde Argent, 2004)

Mais ce discours annonçant la fin de l’attractivité de Montreuil et de la hausse de ses prix est sans cesse répété et sans cesse démenti par les faits jusqu’à la crise immobilière de la fin de l’année 2008. Néanmoins cela va jusqu’au point où les professionnels et les experts du secteur disent leur étonnement de voir un quartier et surtout un bâti qu’ils continuent à considérer comme médiocres se valoriser autant ; si un certain rattrapage des prix était normal, ceux-ci semblent désormais totalement déconnectés de la qualité des biens.

Le marché immobilier local est souvent présenté à travers deux quartiers-types, le Bas Montreuil d’une part, qui est le quartier le plus recherché en raison de sa desserte en métro et de ses maisons individuelles ; la Boissière d’autre part, où les prix sont beaucoup « plus doux » mais les transports beaucoup moins pratiques, et qui incarne l’Est de la ville. Voici le type de description que l’on peut lire dès 2001 :

« Une commune bon marché qui est en train de décoller. Grâce à ses trois stations de métro et au dynamisme de l’est parisien, Montreuil commence à séduire. On y trouve des lofts pour artistes, des appartements familiaux, et des deux et trois-pièces pour jeunes couples. La demande est aujourd'hui supérieure à l’offre et les prix montent (+10 % depuis le début de l’année). Toutefois, ils restent attractifs, car le marché est en phase de décollage. […] Ce secteur branché, bourré de cafés et de galeries, foisonne de maisons, d’appartements et d’espaces industriels à retaper. Dans le bas Montreuil, où l’ambiance est plus village, de petites habitations, souvent défraîchies mais avec jardinet, s’échangent à partir de 1 million de francs. Dans le reste de la commune, l’ancien stagne autour de 7000 F le mètre carré, mais cela ne devrait pas durer longtemps. » (Capital, 2001, p. 149)

L’effet de la présence des premiers gentrifieurs, amplifié par un bouche à oreille certain, se fait clairement sentir dans cet article qui contribue à diffuser une image de la ville « artiste » et « branchée » assez exagérée (le Bas Montreuil est très loin d’être « bourré de cafés branchés et de galeries » en 2001 : quand nous y enquêtons entre 2005-2006, on peut identifier peut-être trois ou quatre cafés ou restaurants « branchés » en incluant le quartier de la mairie et le quartier Carnot, ainsi qu’un supermarché bio ; on voit apparaître en 2008 davantage de commerces « branchés », notamment autour de la place de la République : un café/librairie/chocolat-bar spécialisé en BD et un restaurant décoré dans un style industriel notamment).

La politique de maintien de la vocation industrielle du quartier et la régulation du marché immobilier par les préemptions ont finalement contribué à la formation d’une « offre immobilière » très particulière au cours des années 1990 : des friches industrielles et des logements décrépis, dont l’acquisition supposait l’accord de la mairie et la possession de ressources autres que financières (que ce soit pour obtenir cet accord ou s’en passer, ainsi que pour entreprendre des travaux de conversion). La crise industrielle, qui sévit encore dans les années 1990, a ainsi laissé un patrimoine immobilier peu valorisé, « appropriable » par ceux qui disposaient de ces ressources. Leur travail sur le quartier, combiné aux orientations nouvelles de la politique municipale (tertiarisation, mixité fonctionnelle, mixité sociale et mise en valeur de l’ancien) et à la pression immobilière dans le centre de l’agglomération, contribue à l’attraction de nouveaux habitants moins habitués au contournement des règles institutionnelles du jeu immobilier mais plus de plus en plus aisés. D’autres facteurs de nature idéologique et politique et dépassant l’échelle locale ont contribué à faire venir à Montreuil les gentrifieurs.

Figure 5-1 : une friche le long de la rue de Paris (mai 2008)
Figure 5-1 : une friche le long de la rue de Paris (mai 2008)
Figure 5-2 : une friche squattée rue Navoiseau (août 2009)
Figure 5-2 : une friche squattée rue Navoiseau (août 2009)
Figure 5-3 : Le CAP Kleber et son panneau signalétique (août 2009)
Figure 5-3 : Le CAP Kleber et son panneau signalétique (août 2009)
Figure 5-4 : L’ancienne usine Dumas, devenue CAP 1, en travaux pour accueillir le siège de Groupama (mai 2008)
Figure 5-4 : L’ancienne usine Dumas, devenue CAP 1, en travaux pour accueillir le siège de Groupama (mai 2008)
Figure 5-5 : Un ancien bâtiment industriel converti en habitations (août 2009)
Figure 5-5 : Un ancien bâtiment industriel converti en habitations (août 2009)
Notes
308.

Source : bases BIEN 1998 et 2007.

309.

Nous avons relevé les articles qui font plus que donner un ou des prix moyens à Montreuil, c'est-à-dire où plusieurs lignes sont consacrées à la ville. La revue de presse a porté sur les grands titres de la presse écrite quotidienne et hebdomadaire à partir du milieu des années 1990 (cf. section 2.3).