2.1 La lutte contre l’évitement scolaire : un véritable « travail »

Le premier exemple de travail mené par les « pionniers » sur leur quartier concerne la lutte contre l’évitement scolaire menée par un groupe de parents du Bas Montreuil dans la seconde moitié des années 1990. Nous allons l’analyser à travers la trajectoire de Marc, qui fut le principal animateur de cette mobilisation. Marc a suivi des études de cinéma. Il travaillait comme réalisateur et chef-opérateur sur des films documentaires lorsqu’il s’est installé à Montreuil en 1987. Quelques années après la naissance de ses deux enfants, il décide d’arrêter ce travail pour se consacrer à ses enfants et aider sa femme journaliste dans son travail d’écriture :

‘On gagnait mieux notre vie en travaillant ensemble à ce que faisait Agnès, donc moi j’étais très content de contribuer, un peu, comme ça à lui simplifier la vie, et à faire tourner la maison, […] J’ai continué les premières années, je travaillais et tout, mais qu’est-ce que c’était compliqué !… […] J’aime pas, en plus, fourrer mes enfants à droite à gauche et chercher des trucs et des machins tout le temps, toutes les heures, parce qu’on peut avoir des tournages n’importe quand, et tout. ’

Il passe dès lors beaucoup de temps chez lui. Il contribue à la rédaction des articles de presse et ouvrages de sa femme et vit de ce fait une seconde socialisation professionnelle. Très vite, via ses enfants, il s’intéresse au quartier et notamment au problème d’évitement scolaire qui s’y manifeste depuis que des « gens un peu comme [lui] » s’y sont installés. Il présente les choses de la façon suivante : dans les écoles maternelle et primaire que fréquentent ses enfants, la « mixité sociale […] enrichit la vie des établissements, facilite énormément le travail des instituteurs et apprend beaucoup aux enfants ». Mais le collège n’en « profite » pas, il « n’accueille que les enfants en difficulté » ; les « gens dans [son] genre, les bonnes petites familles un peu bourgeoises, fauchées parce que sinon elles ne seraient pas à Montreuil, mais bourgeoises quand même » préfèrent scolariser leurs enfants hors du quartier, à Vincennes ou à Paris. Il formule alors avec d’autres parents l’objectif de transposer le « bon fonctionnement » de la mixité sociale dans le quartier à l’intérieur des établissements scolaires et notamment du collège, vu comme « une citadelle imprenable » :

‘Et on se dit : « Ben voilà. Alors nous, on a un quartier qui fonctionne, et qui est assez merveilleux au plan de sa mixité sociale ; mais ces écoles vivent le contraire, et ça ne va pas. Ca ne va pas. »’

Il compare ce problème à une « bombe à retardement » :

‘Si un collège ne marche pas, si un collège est une bombe à retardement, c’est tout le quartier qui prend la bombe dans la gueule. C’est tous les jours, à midi, le soir, des gamins, des hordes de gamins excédés, sans contrôle, dans le besoin, dans l’urgence, dans la merde, dans le défi de soi, dans l’échec scolaire… qui vont poser des problèmes à tout le monde ! Alors je ne travaille pas dans un esprit de sécurité, ni sécuritaire ; simplement, je veux que mon quartier vive bien, parce que j’y habite, tout simplement. Et j’aimerais bien qu’on vive bien, qu’on soit heureux d’être là, tous. Alors c’est un peu con, je le reconnais, c’est complètement con. Mais c’est ça l’état d’esprit.’

Elu président de la FCPE dans l’école primaire de sa fille, il devient l’animateur principal de ce qu’il appelle lui-même un « travail » pour « mettre fin à l’évitement scolaire ». Il s’agit de rendre les établissements plus attrayants pour les parents des classes moyennes et supérieures. L’action de la FCPE dans le Bas Montreuil prend trois directions. Il s’agit tout d’abord de travailler sur l’offre scolaire « visible » : qualité des bâtiments, filières existantes, taux d’encadrement, etc. Il s’agit en même temps de travailler sur les perceptions subjectives des parents, sur la réputation des établissements, les informations qui circulent etc ; bref, de « contrôler la communication » comme le dit Marc. Il s’agit enfin de travailler sur une partie moins visible du problème : les conditions de vie des élèves défavorisés, qui contribuent d’un côté à leurs difficultés scolaires, de l’autre au sentiment de distance sociale qu’éprouvent à leur égard les « familles bourgeoises ». Dans ces trois types de démarche, comme nous allons le voir, Marc et les autres parents mettent en œuvre toutes leurs ressources sociales.