2.1.2 Le travail sur l’image du collège

Le deuxième travail important qui est mené concerne l’image du collège ainsi que celle de l’association de parents d’élèves : il s’agit d’infirmer des a priori sur le collège et de montrer que l’association est présente dans l’établissement.

‘Deuxièmement, [on constate qu’] il y a une mauvaise information ; il y a tout un tas d’informations qui circulent à propos de ce collège, qui sont complètement… pas maîtrisées, le moindre petit incident court en rumeur et devient un drame national, colporté, il y a quelques – comme ça, on repère un certain nombre de colporteurs de mauvaises nouvelles dans le quartier, qu’on commence à contrôler, mais on contrôle surtout la communication en écrivant et en faisant des journaux de parents, et en racontant les choses qui se passent, ouvertement, et en disant ce à quoi on s’attaque, qu’est-ce qu’on fait, etc. Comme ça, on évite que le petit incident qui est survenu en cours de gym devienne une attaque à main armée dans la conscience collective.
D’accord ; donc en rendant publique l’information.
En rendant publique l’information, en parlant objectivement de ce qu’on fait, de ce qu’on sait faire, de ce qui s’est passé, et surtout de ce qu’on a fait quand ça s’est passé pour ne pas que ça se reproduise si jamais il y a un incident. Les gens ont besoin, pas de savoir qu’il ne se passe rien et que tout va bien dans le meilleur des mondes, mais que quand il y a un problème, on s’en occupe. ça c’est notre philosophie.’

Il faut pour cela pénétrer la « citadelle imprenable », collecter des informations, les traduire et les rediffuser auprès des parents des collégiens et des écoliers du primaire. Marc est particulièrement bien placé pour faire ce travail, puisque de 1998 à 2005 ses enfants y sont scolarisés et il est élu des parents d’élèves. Il met en place encore d’autres façons de « bien connaître la vie du collège », de constater qu’il y a « une amplification » des problèmes et de faire circuler des versions concurrentes et plus légitimes de ces problèmes :

‘Ben, on est membres du conseil d‘administration du collège, moi je suis membre du conseil de discipline, je participe aux commissions hygiène et sécurité, les professeurs nous parlent, moi j’allais boire le café dans la salle des profs, et puis j’ai des rapports – je considère que les principaux de collège, les principaux adjoints, les CPE, etc., sont vraiment des gens avec qui on doit travailler, discuter – si vous voulez, c’est pas des amis – il y en a, encore, qui pourraient le devenir, hein – c’est pas des amis, mais c’est vraiment des gens avec qui on travaille quotidiennement ! On est là. On est là.

Les informations récoltées sont traduites et diffusées auprès des parents : journaux « Info-parents » à l’école primaire, journal du collège, journal du Réseau d’Education Prioritaire « où on écrit à tous les parents de tout le quartier en même temps ; et on raconte ce qui se passe dans la maternelle – on donne des nouvelles un peu de tout le monde : la maternelle, l’école machin, l’école truc… tout le monde parle de tout le monde et on s’envoie des nouvelles » ; discussions sur le trottoir, dans les rayons du supermarché ; réunions dès qu’un événement se produit, etc. Chaque année en mars, « quand les gens sont susceptibles d’aller s’inscrire ailleurs », Marc rencontre les parents des trois écoles primaires du quartier : il donne des nouvelles de la construction du nouveau collège, répond aux questions, etc.

Auprès de ces parents, Marc déploie trois types d’arguments : un argument instrumental, en insistant sur l’« effet public », c'est-à-dire la présence bénéfique d’un groupe important de parents des classes moyennes ; il met ensuite en avant « les gains « expressifs » liés au choix du l’école de quartier », « faisant du lien école-quartier un des socles d’une socialisation enfantine orientée vers une forte continuité entre la socialisation primaire et secondaire et entre l’intégration sur le plan local et national » (Van Zanten, 2009, p. 175) ; sur un plan moral enfin, il fait du choix du collège du quartier « non seulement un choix raisonnable, mais une question de loyauté au modèle culturel et politique de la « gentrification » et un « devoir citoyen » à l’égard d’un certain modèle de société intégratrice et égalitaire » (ibid., p. 176). Il déploie également ces trois types d’arguments pour convaincre les parents de s’impliquer dans le collège : arguments instrumentaux – aider les enfants des autres, c’est remonter le niveau général de l’école et donc aider ses propres enfants –, expressifs – le plaisir associé au fait de faire des choses ensemble – et moraux – le devoir d’œuvrer contre la ségrégation, l’exclusion et les inégalités sociales ». Agnès Van Zanten cite Marc pour ajouter à cette liste des arguments comme « le sentiment individuel de maîtrise de la scolarité de leurs enfants et le pouvoir local accru qui découle d’un fort investissement collectif » (ibid., p. 176).

Dans ces démarches, il met à profit toutes ses ressources, son temps libre mais aussi sa capacité à écrire vite et bien, à dessiner, son aisance dans la communication avec les parents mais aussi avec les élèves et le personnel enseignant :

‘Je suis un ancien timide qui a appris à polémiquer. Donc je suis un grand communiquant. Je fais les journaux de parents, et tout, alors là, les journaux, je suis imbattable, hein. Je peux vous en écrire des tartines.’

Une anecdote est symptomatique de la méthode adoptée : alors que Marc se trouve à la sortie du collège, sa fille lui indique un « grand » étranger à l’établissement qui vient de voler son blouson à un élève. Marc réussit à récupérer le blouson, mais se fait frapper à la tête par le jeune homme, devant les élèves et quelques parents qui assistent à la scène. Il est absolument ravi : « un coup formidable ! ça a permis de faire une pédagogie agression et racket, sur un exemple vivant et encore saignant, en live devant tout le monde ! ». Marc se saisit en effet de l’incident pour montrer l’exemple aux élèves et aux parents. Il écrit un texte et « tient conférence » à la demande du proviseur pour rendre public l’incident, « couper court » aux rumeurs et expliquer comment réagir dans ce type de situation (ne pas avoir peur, prévenir un adulte, qui doit réagir et porter plainte, « enfin tout ce qui [lui] paraît parfaitement naturel dans une affaire comme celle-là, et qui ne l’est absolument pas pour un certain nombre d’enfants »). La méthode est systématiquement appliquée par les parents de l’association : réguler, par leur présence, les pratiques ayant lieu dans et autour du collège, contrôler les informations qui circulent, diffuser leurs normes de comportement auprès des collégiens et de leurs parents.