2.1.4 Une « coopération » avec la mairie

[Une « coopération »417 avec la mairie]

Dans ce travail mené sur le quartier, nous avons vu l’importance de certaines ressources sociales – temps, capital culturel – particulièrement concentrées dans les mains des gentrifieurs. Cependant, tous n’ont pas le même degré de mobilisation que Marc. Le goût et l’aisance dans les relations avec le monde politique apparaissent comme des éléments déterminants à la fois de la mobilisation et de sa réussite. Selon Marc, c’est même cela qui différencie les gentrifieurs mobilisés dans l’espace public de ceux qui ne le sont pas, plus que des sensibilités différentes aux questions sociales :

‘Au fond, leur problème, c’est comment : c’est le comment. Comment faire bouger les choses. Alors là, ils se heurtent tout de suite, ils sont tout de suite bloqués, ils n’ont pas le sens de, il n’ont pas d’expérience dans la relation avec le monde politique, par exemple. Je crois que ça, c’est peut-être le truc. ’

Non seulement Marc se sent à l’aise avec les élus ; mais il semble en outre que sa conception de la mixité sociale, sa façon de désigner et de traiter les « problèmes » et le rôle qu’il s’est lui-même forgé aient tout à fait correspondu aux attentes de l’équipe municipale en cette deuxième moitié des années 1990. Marc se considère comme un « partenaire à part entière » des élus plutôt qu’un opposant, un « porte-voix », un « avocat du quartier parlant sans étiquette […] et remontant ces problèmes ». Ce rôle de citoyen mobilisé à l’échelle du quartier rencontre parfaitement le type de rapports politiques mis en place par Jean-Pierre Brard à cette époque dans la ville :

‘Et c’est où je trouve que c’est assez merveilleux Montreuil, parce que ça a été complètement admis par la mairie, par les responsables de la mairie, avec qui on est devenus, pour qui on est devenus des partenaires à part entière.
Donc moi, j’ai dans l’ensemble rencontré des gens merveilleux, à cet échelon-là. Jusqu’à Brard, hein. Pour moi, Brard, c’est quelqu'un de – c’est un homme politique rusé et tout, mais franchement, je ne dois pas me plaindre, parce que je lui ai dit peu de choses, mais le peu de choses que je lui ai dites, il en a tenu compte – c’est peut-être que je ne disais pas n’importe quoi, non plus, je choisissais mes thèmes, mes sujets et mes suggestions, mais il en a tenu compte. J’ai dû tomber d’accord avec lui, quelque part. Donc ça, je trouve que c’est vraiment faire de la politique comme il faut, quoi. Etre à l’écoute…’

Si Marc ou Francine (particulièrement mobilisée contre le mal-logement) s’opposent régulièrement à Jean-Pierre Brard, il existe un accord tacite entre ces réformistes et le pouvoir en place : il s’agit de préserver la possibilité d’un dialogue et de « se rendre service » mutuellement418. Retenir les « bons » élèves, s’attaquer aux marchands de sommeil sont des objectifs que le maire ne renierait pas, mais qui sont difficiles à porter politiquement ; la ville est en outre peu apte à intervenir à cette échelle. On comprend donc que le maire soit « à l’écoute » de ces parents qui, en outre, savent particulièrement bien lui parler. Marc connaît le travail des élus, leurs responsabilités et leurs marges de manœuvre et montre qu’il les respecte ; le travail de sa femme419 lui permet, de plus, de bien connaître les rouages de la politique du logement :

‘Du coup, voilà, je ne saute pas, je n’agresse pas un élu au logement d’une ville comme Montreuil, parce que je sais à quel point sa tâche est difficile lorsque l’Etat consacre l’argent des HLM à financer l’amortissement de l’école. Voilà, du coup, c’est ça, la grande différence. ’

C’est sa façon même de travailler et de s’adresser à eux qui a convaincu les élus, qu’il dit avoir séduits, « attirés », « convaincus » : « on a su se rendre un peu intéressants ». On retrouve ainsi du côté des gentrifieurs l’idée d’affinités, intellectuelles peut-être plus encore que politiques, recherchées par Jean-Pierre Brard après sa rupture avec le parti communiste. La contribution de Marc à la nouvelle politique municipale, liée à la fois au virage politique du maire et à la mise en place de la politique de la ville (Tissot, 2007) ne fait guère de doute ; elle est confirmée par le rôle d’administrateur et de conseiller que le maire lui demande de tenir dans la création de la maison de quartier Lounès Matoub voulue par l’animateur du Développement Social des Quartiers.

Notes
417.

Le terme est de Jean-Pierre Brard, dans l’entretien réalisé par Kenny Abbey (Abbey, 2010), étudiant à l’IEP de Grenoble (cf. chapitre 5).

418.

C’est ce qui peut expliquer leur soutien électoral à Jean-Pierre Brard, alors même qu’ils sont en désaccord avec lui sur un certain nombre de questions politiques « de fond » (sur la question du foulard par exemple) en plus des reproches qu’ils lui adressent quotidiennement sur les questions d’attribution de logements sociaux ou d’amélioration des écoles.

419.

Agnès est journaliste, spécialiste des questionsde logement et d’immobilier.