Monique est dentiste dans un centre social. Arrivée en 1986 dans le Bas Montreuil avec son compagnon comédien, elle s’investit à la fin des années 1980 dans l’association Montreuil en Eveil, qui lutte contre les projets de ZAC dans le Bas Montreuil en proposant à la fois des propositions d’aménagement alternatives et en fédérant les habitants du quartier autour d’événements festifs. Cette mobilisation prend fin au début des années 1990 avec l’abandon par la mairie de son projet de ZAC. A cette période, Monique envisage une reconversion professionnelle : elle a toujours voulu travailler dans la botanique. Elle réalise par correspondance une formation en « Gestion et Protection des espaces naturels ». Elle décide à la suite de cette formation, plutôt que de changer de métier, de « travailler à mi-temps dans une association et à côté de continuer à travailler pour les revenus » : elle opère dans son langage comme dans son esprit une dissociation entre, d’un côté, le travail associatif pour l’intérêt et, de l’autre, le travail professionnel pour les revenus :
‘Alors quand on était dans le Bas Montreuil, […] on m’avait déjà parlé des MAP et je ne savais pas du tout où c’était, ni ce que c’était etc. Ca c’est une chose. Et une autre chose aussi c’est qu’entre-temps – moi je travaille dans le domaine de la santé, mais j’ai fait aussi une formation par correspondance, un BTS de « Gestion et Protection des espaces naturels » ; parce que justement, c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup et je m’étais posé la question de changer d’orientation professionnelle. […] Et donc je m’étais posé la question à l’époque de changer de métier, et puis après je me suis dit : non, je vais travailler à mi-temps et puis je ferai à côté ce qui m’intéresse. Et donc à un moment donné j’ai adhéré à l’association MAP parce que c’était un espace naturel en ville. Voilà, c’est un peu comme ça que ça s’est passé.’Elle devient alors l’un des membres les plus actifs de l’association Murs à Pêches (MAP) qui milite pour la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine historique et écologique de l’ancien site de culture des pêches. Les compétences qu’elle a acquises par sa formation sont valorisées :
‘Ca m’a beaucoup servi, par exemple pour le classement du site. Hein, parce que dès le début je me suis posé la question de voir si on ne pouvait pas classer le site. C’était pas forcément la meilleure protection et tout, mais à la fin, vu les projets municipaux, en fait, c’était la seule chose qui était possible. Peut-être pas la meilleure procédure, mais il fallait arrêter les projets… ’A la fin des années 1990, en effet, la mairie élabore un projet d’aménagement du site des murs à pêches à partir des recommandations de Michel Corajoud (cf. chapitre 5) et de la DRAC (dont le rôle est étudié ci-dessous, dans le cas Josette) ; en 2000, elle demande la révision du POS sans concertation avec les habitants423. Dès lors, Monique, avec d’autres militants des MAP, des personnes issues du conseil de quartier Paul Signac-Murs à Pêches et des membres du Comité de quartier des Murs à Pêches, décident de monter une deuxième structure, l’Atelier Populaire d’Urbanisme de Montreuil (APUM), afin de proposer un projet alternatif au projet municipal. Monique n’a pas de connaissances en urbanisme, mais elle a rencontré au cours de la mobilisation contre la ZAC du Bas Montreuil un ingénieur spécialisé sur les questions environnementales (également membre de l’habitat groupé autogéré de Marc) qui la met en contact avec un architecte. Elle obtient pour l’association une petite formation à la concertation par l’architecte Raoul Pastrana, qui avait animé les ateliers d’urbanisme d’Alma-Gare à Roubaix (une des premières démarches participatives en matière d’urbanisme, souvent citée comme exemplaire).
Finalement, une procédure de classement est initiée en 2001 et appuyée par Dominique Voynet, alors ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire, qui y trouve une occasion d’initier son ancrage politique sur le territoire (Delacroix, 2009). Elle aboutit en 2003 au classement de 8,6 hectares au titre de la préservation du paysage et du patrimoine. Les MAP comme l’APUM continuent néanmoins leurs activités. Avec l’APUM, Monique entend donner aux montreuillois la possibilité de se sensibiliser à l’urbanisme et de discuter des autres projets d’aménagement du maire. Des visites de quartiers sont organisées et suivies de « réunions de travail », destinées à élaborer des propositions alternatives. Au fil du temps, l’APUM a établi un partenariat avec l’Ecole d’Architecture de Paris La Villette et des étudiants architectes travaillent sur des projets montreuillois ou animent des visites. L’APUM organise aussi un festival annuel sur le site des murs à pêches. L’association MAP de son côté accueille chaque année des chantiers de bénévoles (gérés par l’association Rempart) qui travaillent à la réfection des murs des deux parcelles louées à la ville. Dans ces deux associations, Monique a importé une méthode découverte à l’occasion de la mobilisation de Montreuil en Eveil contre la ZAC du Bas Montreuil :
‘C’est quelque chose que j’ai appris des autres , c’est qu’on peut avancer dans un combat ou dans une action en faisant des choses qui n’ont rien à voir avec l’action. C'est-à-dire qu’organiser une fête de la musique, par rapport à l’opposition à la ZAC, on ne voit pas très bien l’objectif, mais pourtant, ça a un effet, ça avait un effet, tout ça ! Ca nous permettait, après, de discuter avec les gens, de parler avec eux… voilà. […] De la même façon que là, on fait le festival de l’APUM, et je copie un peu ce qu’on faisait – enfin, c’est pas moi qui copie, il y a eu d’autres gens, mais ce que je veux dire, c’est que le fait de faire des choses – par exemple, l’APUM, nous, au départ on travaillait sur l’aménagement de la ville, et on fait un festival : ça pourrait être contradictoire. Non, en fait ça nous fait connaître, ça fait venir du monde, on expose un peu les travaux qu’on a faits pendant l’année, et donc ça fait avancer en fait les choses. C’est à ce moment-là qu’on peut discuter aussi que dans l’année on va mener telle ou telle chose.’La convivialité, l’animation d’une « vie de quartier » et le développement de relations entre les habitants sont en effet un point commun à toutes ces actions associatives, y compris celle de Marc : il s’agit systématiquement de remettre les habitants au cœur de la vie locale. Monique a une relation très scolaire et très appliquée à tous ces engagements ; elle a une démarche réflexive, cherche systématiquement à comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, cherche auprès des chercheurs et des professionnels de la mobilisation des outils d’analyse et d’action. A l’époque où nous la rencontrons, elle est manifestement en pleine formation à la démocratie participative. Une visite organisée par l’APUM dans le Bas Montreuil est l’occasion de la voir tâcher d’en expliquer aux habitants les principes et les intérêts. A cette occasion, elle nous demande des références et des textes de chercheurs pour continuer à se former. Dans le cadre de ces deux mobilisations, Monique investit et acquiert de nouveaux savoir-faire. Ces deux associations sont bien devenues la moitié de sa vie « active » : elle y consacre au moins trois jours par semaine et une partie de sa maison, qui sert de local à l’association MAP (où une salariée vient travailler tous les jours). Les murs à pêches seront peut-être encore le support d’une nouvelle formation, voire d’une reconversion plus complète :
‘Et d’ailleurs là je vais peut-être commencer un nouveau BTS de « conduite d’exploitation ». Parce que comme il y a l’idée de faire des AMAP – peut-être que ça me servira pas, hein, mais comme les AMAP c’est une exploitation, et donc je me dis que peut-être je vais faire un nouveau BTS pour acquérir des compétences dans le domaine de la conduite des exploitations. C’est peut-être une orientation possible.’Quant aux relations avec l’équipe municipale, elles sont dans le cas de Monique beaucoup moins collaboratives que dans le cas de Marc. Toutefois, l’association MAP reçoit des subventions de la mairie. Même dans l’opposition, c’est bien la confrontation de la ville avec les nouvelles problématiques urbaines qui donne à Monique et à d’autres l’occasion de développer une intense vie militante et se forger ainsi un « capital d’autochtonie » qui remplace en partie les gratifications de la vie professionnelle.
La mise en valeur du patrimoine antérieur aux Trente Glorieuses est bien un des principaux domaines d’investissement des gentrifieurs. Leurs représentations sont en accord avec celles qui s’imposent dans le monde politique – auquel ils participent parfois. Un couple d’enquêtés, Josette et François, illustre à la fois la circulation des représentations entre le monde politique et les habitants des classes moyennes cultivées et la participation active des gentrifieurs les mieux dotés et les mieux placés à la patrimonialisation de sites et de bâtiments de leur ville.
Ce projet fait suite à un premier projet d’aménagement sous forme de ZAC élaboré en 1988. Pour plus d’informations sur la gestion du site des murs à pêches, voir Delacroix, 2009.