3.1.3 Les rapports avec les « autres » habitants : ouverture sélective et tentative de « recouvrement »

Les relations des membres de l’association avec les autres habitants du quartier laissent apparaître une ouverture très sélective et peu recherchée. Martine, qui était favorable à l’ouverture de l’association, décrit ainsi des rapports très différents avec les personnes âgées des pavillons et avec les familles des HLM :

‘Alors, avec les gens âgés, ça s’est fait plutôt bien, parce qu’ils connaissent l’histoire du quartier.
C’est là-dessus que ça s’est fait, oui ? De faire raconter des histoires ?
Oui. Ben parce que c’est super sympa ! […] Moi je trouve ça génial de savoir qu’est-ce que c’était ta maison, qui l’a habitée, comment ça se passait – parce qu’il y a des gens qui sont là depuis super longtemps en fait – et tout ce qui se passait à l’époque ! […] Et euh… ben, les HLM c’est dans le quartier aussi et… et puis je sais pas, moi, les gamins ils vont à l’école avec nos gamins, ils sont copains avec nos gamins. Après, c’est pas forcément… ils ont du mal à venir vers nous, et nous on a aussi du mal à venir vers eux, mais… je crois que ça se fait un peu, là. Mais c’est pas facile. […] Au départ, il y avait des gens de l’assoc’ qui allaient pas trop vers eux aussi, parce que ben… ben je sais pas, c’est pas facile d’établir des contacts. Parce c’est des gens qui sont levés super tôt le matin, qui rentrent du taf sont crevés, ont les gamins, enfin ont des conditions de vie vachement dures ! Et ils ont pas forcément le temps de prendre un café le matin, ou… voilà quoi. (Martine)’

Le misérabilisme de Martine trouve un écho dans la façon dont Bérengère, une autre adhérente, se réjouit de la participation de certains voisins aux activités de l’association :

‘Le fait qu’ils soient là, les retraités, là, les vrais montreuillois de vrais montreuillois, du coup, ils nous obligent à pas nous enfermer dans cet espèce de groupe homogène où on se raconterait toujours la même chose, puisqu’on est exactement les mêmes. Et du coup, c’est ça qui est chouette, c’est que – par le Troc vert, notamment – on attire une population qu’on ne verrait pas autrement. Très populaires. Vraiment des gens… là, on voit par exemple René : René, c’est un peu le gros bonhomme tout dégueulasse qui bosse à la Sécu épouvantable mais qui est un amour ! Jamais je lui dirais bonj- enfin, je lui dirais à peine bonjour… […] Par exemple, moi, la nourrice de mes filles, qui est une dame – et puis il y a Arlette, aussi, sa voisine – qui sont là depuis trente ans, elles viennent à ces manifestations, et c’est des gens qui ne sont pas du tout, du tout du même milieu que nous quoi. C’est pareil, si elles ne gardaient pas mes enfants, je leur dirais bonjour, mais c’est tout. Et là, le fait que du coup, on les emmène dans les trucs, elles viennent au troc vert, euh… oui, du coup – bon, alors il y en a qui diront « c’est pas vrai, vous voulez rester entre bobos et tout ça » - moi je trouve que non, je trouve qu’on arrive, justement, enfin moi j’essaie de faire attention à ça, à pas rester trop entre nous, et à tout faire pour tendre la main vers ceux qui nous ressemblent pas, quoi ; sinon… […] Après, si ils veulent pas, ils veulent pas, hein, il n’y a pas de souci, évidemment, on ne va pas les forcer. Mais moi je suis ravie de voir des gens euh… qui pourraient être soit mes parents, soit… En fait […] c’est peut-être un peu pompeux, mais moi ça me semble important qu’on se mélange un peu dans le quartier. Bon, ceci dit, ça a des limites, ce que je dis, parce que je vais pas faire ça à la louche ; je fais ça en proximité géographique. Il se trouve que les tours sont trop loin ; mais si la tour était à côté, je le ferais, quoi. J’espère… que je le ferais. Après tout, on est quand même côte à côte, donc au moins, disons-nous bonjour, si on peut se dépanner un peu, je sais pas, ça me semble important… (Bérengère)’

Le rapport aux autres habitants prend ici la forme d’une ouverture sélective (voisins immédiats, retraités, nourrices) teintée de domination sociale (les nourrices « on les emmène dans les trucs » ; « j’essaie de tout faire pour tendre la main vers ceux qui ne nous ressemblent pas » ; « on ne va pas les forcer »). La distance sociale est en même temps euphémisée : Bérengère a tendance à la ramener à un simple écart d’âge. A la suite de cet extrait, elle raconte d’ailleurs, pour expliquer son ouverture, qu’elle a découvert au travail le plaisir d’avoir des relations avec des gens plus âgés qu’elle. C’est avant tout une envie de dépaysement social ainsi qu’une éducation chrétienne où il faut « tendre la main » aux autres différents de soi qui guident cette attitude (qui notons-le, se résume finalement à « se dire bonjour » ou « se dépanner un peu »). Pour Julie, la différence entre « eux » et « nous » se réduit encore plus à la seule variable d’âge :

‘Raymond, à chaque fois, il est là. Et Nicole, elle est géniale ! Et eux, ils ont amené d’autres anciens, tu vois. Pour la crédibilité – du coup, nous on a dit « on n’est pas une assoc’ de jeunes ! On est une assoc’ de quartier ! Le but c’est que tout le monde partage ». Du coup maintenant, tout doucement, il y a certains vieux – mais qui eux aussi, certainement, quand ils étaient jeunes ils étaient sympas – qui viennent. Bon, je ne dis pas qu’ils ont leur carte d’adhésion, mais c’est pas grave, ils sont là, tu vois, c’est le principal, pour nous ! Nous, c’est pour que tout le monde se fasse plaisir ce jour-là ! (Julie)’

L’ouverture à la diversité sociale n’est, on le voit, pas du tout le propos de cette association (ce qui explique que chaque adhérent construise sa propre position sur la question)434. L’objectif de l’association est au contraire la consolidation d’un groupe social local et d’une « culture domestique locale » (Cartier et al., 2007) fondée, comme dans le cas observé à Gonesse, sur une « ambiance d’égalité », des caractéristiques sociodémographiques communes (notamment le fait d’avoir de jeunes enfants), des budgets et des dispositions économiques semblables (rendues visibles par le choix d’un logement nécessitant des travaux), le partage de valeurs (notamment dans le rapport au travail : choix d’être « à son compte », choix de travailler dans le secteur culturel) et de normes domestiques (la bi-activité, le souci de ne pas « s’enfermer » sur la vie familiale). Hormis quelques commerçants et assistantes maternelles en contact direct avec les gentrifieurs en raison de leur activité (et qui quittent l’association dès la deuxième année) et deux couples de retraités, la diversité sociale est faible, comme l’indique la liste des adhérents à laquelle nous avons eu accès 435. Tout ce qui pourrait menacer la cohésion du groupe est soigneusement évité : ainsi les discussions politiques sont bannies436, alors même que les élections municipales de 2001 ont semé le trouble437 et que les débats sont vifs en vue de celles de 2008.

Le travail sur la cohésion du groupe et son implantation sur un territoire a selon nous pour enjeu la réussite de la « conversion » territoriale que suppose la gentrification : la valeur économique du bien immobilier et la valeur sociale de la résidence ne dépendent pas que de la conversion des logements, mais aussi de l’appropriation de l’espace social du quartier - occupation des espaces publics, contrôle social, construction d’une appartenance territoriale. Il nous semble dès lors que la participation des « autres » habitants à l’association n’est pas souhaitée pour elle-même mais seulement « pour la crédibilité », comme le laisse échapper Julie et dans la mesure où elle permet leur recouvrement 438 . Cette notion forgée par Bernard Bensoussan et Jacques Bonniel à la Croix-Rousse à propos des relations entre les nouveaux habitants d’un côté, les « anciens » et les immigrés de l’autre, nous semble transposable au quartier des Guilands, sous une forme atténuée dans la mesure où les gentrifieurs ne s’érigent pas en représentants légitimes de la population auprès de l’administration.

La population des HLM étant marginale à la fois numériquement et géographiquement dans le secteur que ces nouveaux habitants désignent comme leur quartier, l’essentiel du travail de recouvrement porte sur les autres habitants des pavillons, souvent plus âgés et désignés de façon englobante comme les « anciens ». On retrouve à leur égard le même type de relations que dans les Pentes dans les années 1970 : des « stratégies de séduction » sont mises en place, multiples et discrètes. Le « troc vert » peut intéresser tous les habitants ayant un jardin, puisque s’y échangent toutes sortes de productions (légumes, confitures, boutures, semences, etc.). La poule de Bérengère a aussi permis de faire entrer les anciens dans le circuit des échanges locaux :

‘Et puis il y a eu aussi un truc, pendant un moment, on avait une poule à l’entrée de la maison, là, sous l’escalier, où on gare la poussette maintenant, et en fait cette poule – c’était drôle, d’ailleurs – cette poule ramenait énormément de monde ! Il y a une dame qui ne sortait jamais de chez elle, quand elle a su qu’on avait une poule, elle est venue nous voir, elle a dit : « Bonjour, voilà, on m’a dit que vous aviez une poule » ; je dis : « ben oui, regardez, elle est là ». « Mon mari adore les œufs à la coque, moi je sais jamais si les œufs sont vraiment frais, est-ce que vous accepteriez que je vous en achète de temps en temps ? » ; je dis « ben oui, bien sûr, je vous en donne ». Et du coup c’était super, parce que moi je lui donnais mes œufs – enfin les œufs de ma poule – et elle me donnait des produits de son jardin. (Bérengère)’

La principale opération de recouvrement est l’aménagement d’un territoire de rencontre autour de l’histoire du quartier. En effet, la dernière activité de l’association, que nous n’avons pas encore évoquée, est la mise en place d’un groupe de travail qui « recueille les témoignages des anciens du quartier en vue d’en faire un livre » :

‘C’est l’histoire du quartier vue par les habitants. C’est-à-dire que on ne veut absolument pas chercher dans les livres, tu vois, ce qu’ils disent, ce qui s’est fait et tout. C’est un peu comme ton questionnaire, il y a un questionnaire de base, et on les interroge sur les loisirs, sur la vie, sur les amours, sur qui a déménagé comment, sur pourquoi ils sont arrivés dans ce quartier-là, quels sont leurs souvenirs et tout ça, les écoles, les activités, les commerçants – et du coup, c’est assez marrant, parce que c’est pas du tout objectif, tu vois ? C’est les souvenirs qui sont idéalisés. Et puis les constructions et tout, c’est vachement marrant ! […] Moi ce que j’avais envie d’écouter, c’est les gens avant qu’il n’y en ait plus, tu vois ! Parce qu’ils ne vont plus être là ! (Julie)’

Dans les Pentes de la Croix-Rousse, les « colons » constituaient les anciens résidents « au plan de l’imaginaire, en ouvriers, initiateurs de luttes, certes pervertis, tombés dans l’inaction, mais, passé de canut oblige, qu’il serait facile de réveiller » et ils se mettaient au service de ce passé de canut imaginé (ibid., p. 120). Les gentrifieurs des Guilands opèrent la même « révolution copernicienne » en constituant les « anciens » en dépositaires de précieux souvenirs et en se mettant au service de leur mémoire. Julie vient les interroger avec un petit magnétophone et une autre habitante du quartier, journaliste. Julie indique bien la cible de cette opération : tous ceux qui sont dans le quartier « depuis plus longtemps [qu’eux] ». Tout ce qui les a précédés, ils veulent le récupérer :

Donc l’idée, c’est d’interroger des gens qui sont là depuis longtemps ?
Depuis super longtemps. Mais « super longtemps », ça peut être un jeune qui a vingt ans, parce qu’il est là depuis plus longtemps que nous ! (Julie)’

La production symbolique issue de ces entretiens est de la même nature que celle des photographes, poètes et autres colons des Pentes439. Elle participe, à une échelle plus large, à une exaltation du populaire qui contourne l’épisode des grands ensembles et va puiser son matériau ailleurs, dans d’autres formes moins connotées de la vie ouvrière (artisans, petites entreprises familiales, vagues d’immigration italienne et polonaise antérieures à l’immigration maghrébine, etc.). Cette initiative est ainsi sans surprise soutenue par la mairie, qui a proposé de financer l’édition du livre. « En obligeant ceux qui se réfugient dans l’absence, le silence, la fuite, à se parler, à « s’exprimer » dans un code proposé et maîtrisé par d’autres, ils effectuent le recouvrement initial de la parole que l’ont dit vouloir faire surgir » (Bensoussan, Bonniel et al., 1979, p. 18). Cette opération permet en même temps aux « colons » de donner une légitimité à leur ancrage territorial, en devenant les nouveaux dépositaires de l’histoire locale. Le nom de l’association, soufflé par un des quatre retraités participant aux réunions, fait ainsi référence à l’ancienne occupation du site. Enfin, en constituant les « anciens » en « mémoire vivante », les gentrifieurs les classent définitivement dans le passé. Ils opèrent une neutralisation de leurs voisins comparable à l’opération de patrimonialisation des anciennes usines : ils leur dénient toute existence sociale dans le présent.

Il faut dire qu’au quotidien, les relations de voisinage ne sont pas aussi faciles que le dialogue entre présent et passé. Comme les gentrifieurs de Daguerre avant eux, Hugo, Julie, Bérengère rencontrent tous les jours des normes discordantes, des fossés socioculturels et générationnels ; la différence d’âge n’est plus une source de richesse et d’échanges, mais un obstacle aux bonnes relations. Les conflits apparaissent notamment à l’occasion des travaux.

‘Là-bas je ne les aime pas trop, ils m’envoient des escargots par dessus le mur, et en gros on se parle très peu. […] Ca m’horripile. Ils ont un peu un profil… c’est un couple de portugais qui sont ouvriers spécialisés, je crois, et avec qui on a peu de… on a très très peu de points communs. (Hugo, graphiste et plasticien, 35 ans)
Plus sérieusement, moi j’aime le voisinage. Bon, à part notre voisine ; tout le monde est sympathique sauf nos voisins, pas de chance.
Les voisins juste à côté, là ?
Oui. On est tombés dessus, maintenant, on sait faire, on les ignore… on les ignore, c’est assez désagréable, c’est assez difficile à faire, mais maintenant ça y est, on y arrive.
C’est les travaux qui ont cristallisé... ?
Je pense que c’est un problème de génération ; parce qu’ils sont plus âgés, et c’est vraiment : quoi qu’on dise, on a tort. Et pour vous donner un exemple, quand on a construit le bâtiment en arrière, c’était, franchement, par rapport à l’existant, c’était tout bénéf pour eux, parce que le précédent était sale, même sur le côté, chez eux, ça faisait un mur sale, enfin bon. Donc nous, bon, d’abord, on avait le droit de le faire, on l’a fait légalement ; et puis on se disait, même pour eux, visuellement, c’est quand même mieux d’avoir un truc propre qu’un truc dégueulasse qui tombent en ruine, quoi ! Eh ben ils ont quand même écrit à la mairie pour leur demander de ne pas nous accorder notre permis de construire.
Ils sont retraités ?
Non, mais ils pourraient l’être. Non, ils ne sont pas retraités, mais… ils sont chiants, quoi. (Bérengère)
Et puis en plus, moi je suis entourée de vieux, on va dire d’anciens.
Et justement, les vieux, tu as des rapports avec eux ?
Ben… non. En fait, il y en a qui disent bonjour, il y en a qui te surveillent, c’est un truc très bizarre. […] Le voisin d’en face, je sais qu’il est toute la journée derrière son rideau en train de surveiller ce que je fais. Non mais c’est des gens qui s’embêtent, tu vois ! Au lieu d’aller se promener dans le parc, ils font ça, quoi ! Il y a des trucs gratuits à faire, hein, si ils ont pas d’argent, mais ils ont plein d’argent, je suis sûre ! Ils ont une maison de campagne… Mais ils sont pingres, c’est terrible… Oh ils sont terribles ceux-là, ceux d’en face. Celui d’à côté, c’est l’ancien boucher, il a des blagues de boucher assez vulgaires, alors c’est assez désagréable, donc je l’évite un peu, parce qu’à chaque fois il me fait des blagues salaces, moi j’en peux plus. Ceux d’au-dessus, ils jouent aux vrais-faux malades, donc ils disent qu’ils peuvent pas sortir, qu’ils ont vu que j’avais pas salé mon trottoir, qu’ils ont prévenu la mairie… Pff, il y a des moments où tu sais, c’est bon, quoi, occupe toi de tes affaires ! J’avais salé, mais il faut beaucoup de sel sur 30 mètres, tu vois ! et des paquets de sels, il y en avait plus dans les magasins. T’as celle d’encore au-dessus qui a commencé à me faire un scandale parce que j’avais pas une boîte aux lettres aux normes et qu’elle avait dû ramasser une lettre par terre – je lui avais rien demandé, tu vois ! « Oui, la postière, vous comprenez, il n’y a pas de place dans votre boite aux lettres, vous recevez une grosse lettre, c’est moi qui l’ai remise » - au lieu de dire : « ben tiens, je vous ai remis votre lettre – ben merci madame », là c’est parti en tuile ! (Julie)
Et en fait, le voisin, il a construit sans – tu sais, quand tu construis une maison, tu fais des murs et un toit, même s’il y a déjà un mur des voisins. Ben lui il n’a pas construit les murs, il a construit les toits sur nos murs ! Donc là il me dit que mes tuiles sont cassées et que ça fuit chez lui. En fait c’est parce que lui, c’est pas bien construit son mur. Donc en fait, ce qu’il ne sait pas, c’est que tout ça, ça part à la poubelle [avec les travaux], donc tout ça, ça va tomber par terre. Et je me fais un joyeux plaisir de ne pas lui dire. Parce que sur ma façade, va être accroché le permis de construire ; donc s’il est grand, il viendra le lire. Parce que à force de me faire chier, tous ces voisins…
Parce qu’il a construit ça après…
Après tout ça, oui. Pis c’est vraiment du schmürtz-schmürz, hein ! Oh, c’est moi qui pourrais avoir des infiltrations, par exemple ! Mais bon, moi je dis rien, parce que voilà, je suis arrivée après, ils sont là depuis toujours, quelle histoire on va leur faire, tu vois ? rien du tout ! Mais du coup, voilà, c’est un peu compliqué. (Julie)’

Les seuls retraités avec qui les relations sont bonnes ont clairement fait alliance avec les « nouveaux », comme Raymond qui leur a raconté l’ancienne activité du quartier et leur a soufflé le nom de l’association, ou Nicole, qui est entrée au bureau de l’association pour appuyer les membres fondateurs lorsque leur légitimité a été remise en cause. Nicole est en effet moins concernée que d’autres par les enjeux d’éviction et de domination économique : étant propriétaire de trois pavillons et retraitée, « elle a du temps et de l’argent, et elle est devenue très généreuse, elle passe beaucoup de temps avec tout le monde, et elle est très disponible, quoi » (Bérengère).

Finalement, l’association n’a pas eu besoin de pousser bien loin le « travail » sur la mémoire du quartier ; la colonisation était de toutes façons rapide (la part des cadres et professions intellectuelles supérieures parmi les actifs est passée de 19,3 % à 25,2 % entre 1999 et 2006 dans l’Iris des Guilands). La mise en péril de leur domination locale vient plutôt désormais des nouveaux gentrifieurs.

Notes
434.

Julie, la présidente, l’admet d’ailleurs en filigrane lorsqu’à propos des apéritifs mensuels elle précise (cf. ci-dessus) que « c’est un peu toujours les mêmes, mais c’est pas grave ».

435.

Deux cent vingt-trois habitants du quartier sont ou ont été adhérentes de l’association entre 2001 et 2005, soit plus d’un adulte sur sept ; près de la moitié (100) ont déclaré leur activité. La liste frappe par son homogénéité : costumière ; comédienne ; informaticien ; assistante maternelle (adhérente la première année seulement) ; assistante maternelle (première année seulement) ; responsable d’un service social de la ville ; musicien ; psychologue scolaire ; jardinier ; cafetier / prof de maths (première année seulement) ; guide dans les musées ; retraité ; boulanger et boulangère ; illustrateur-graphiste ; informaticien ; institutrice ; représentant et infirmière ; musicien ; comédien-poète ; réalisatrice de décors ; urbaniste ; sculpteur (femme) ; architecte ; styliste ; sculpteur (femme) ; photographe ; comédien ; metteur en scène (femme) ; prof d’arts martiaux ; étudiant en arts plastiques ; politicienne ; employé à la sécu ; commerçant ; comédienne ; graphiste ; représentant ; musicienne ; photographe de presse ; journaliste ; libraire ; réalisateur ; monteur ; institutrice ; chanteuse ; prof d’arts plastiques ; comédienne ; chef opérateur (femme) ; ingénieur du son ; réalisateur ; comédienne ; chef opérateur ; prof d’allemand ; maquettiste ; informaticien ; assistante de production ; ingénieur du son ; responsable relations presse ; plasticienne ; designer ; scénographe ; graphiste ; rédacteur ; retraité ; retraitée ; employé au château de Vincennes ; attachée de presse ; conceptrice d’expositions ; photographe ; prof de philosophie ; chercheuse ; kinéthérapeute ; pédicure ; cafetier ; institutrice ; comédien ; assistante maternelle ; réalisateur de décors ; institutrice ; assistante maternelle ; médecin (femme) ; plasticienne ; sans emploi ; réalisatrice de décors ; ingénieur du son ; chanteur pour enfants ; architecte ; retraitée ; retraité ; réalisateur ; illustratrice ; réalisateur ; cantinière ; comédienne ; sculpteur ; retraitée ; illustrateur-graphiste ; animateur ; anthropologue.

436.

« Nous [les membres du bureau], on a surtout crié haut et fort – parce qu’on a quand même été créés en 2001, là, pendant les municipales – qu’on était une assoc’ apolitique. Que tout le monde pensait ce qu’il voulait, que chacun pouvait avoir une opinion politique, mais que jamais il nous la faisait partager. Nous, on veut pas savoir. » (Julie) Une « crise » a lieu malgré tout en 2003, certains adhérents reprochant aux membres du bureau de se laisser instrumentaliser par la municipalité.

437.

. Dans l’un des trois bureaux de vote des Guilands, le score des Verts au deuxième tour est monté à 35% des suffrages exprimés.

438.

Le recouvrement désigne deux modalités du contrôle social : d’une part, « la colonisation » qui « suppose une mainmise et une administration effectuée par une population nouvellement implantée, sur le modèle classique de l’infiltration « clandestine » puis de la présence massive » ; d’autre part, « l’occultation des enjeux réels », « condition de possibilité de cette forme de domination », qui passe notamment par le fait que ces « colons », qui ne sont pas les représentants traditionnels de la population, sont accrédités par les décideurs comme représentants légitimes du quartier (Bensoussan, Bonniel, 1979).

439.

Voici par exemple un texte rédigé par Julie et mis en ligne sur le site de l’association en attendant la publication. La ressemblance avec le texte de Gilles Verneret sur la Croix-Rousse cité plus haut (chapitre 2, section 1.1) est frappante : « Je ne sais pas si vous avez vu La Guerre des Boutons, vous avez la chanson « En chassant tous les… », et bien le parc des Guilands c'était « En chassant tous les Montreuillois, pan, pan, là hire » et de l'autre côté c'était « En chassant tous les Bagnoletons, pan, pan, là hire, pan, pan » ! Et alors les gosses se châtaignaient, rentraient le soir couverts de boue et de glaise, prenaient une trempe…
Les maisons, c’était de bric et de broc. À part quelques maisons qui avaient été construites vraiment sur plans.

Il y avait « les trois veuves de Hong-Kong », on les appelait. C'est un roman de Gérard Devilliers, SAS. Il y avait madame Copolani qui tenait ce café (coin Messiers/Guilands), il y avait une dame qui habitait à côté du Bougnat (rue des Messiers) et puis la dame du café là-bas (Parmentier/Guilands). Voilà, c’étaient les dames de ces messieurs.
Le bal du 14 Juillet, c’était plutôt devant la boulangerie de la rue Jules Ferry. Là, devant le café bougnat. Dès qu’il y avait un truc, c’était dehors. Ça allait vite à monter un truc. Ouh, là, là !
Il y avait un endroit où c’était le rendez-vous amoureux, et il n’était pas très connu celui-là, c’est le sentier des Buttes. Alors là, après le tournant, on voyait plus la rue. Il y avait là et le sentier du Tourniquet. Il n’y avait pas de parc, on se promenait juste bras dessus, bras dessous mais on était à la vue de tout le monde. » (Posté le 24 juillet 2006)