Annexe 2. Délimitation du quartier du Bas Montreuil pour les traitements statistiques

La délimitation de notre quartier d’étude visait à cerner au plus près le secteur que l’on peut appeler « Bas Montreuil » et qui a connu un phénomène de gentrification au cours des années 1980 à 2000. Nous nous appuyons sur la réflexion d’Yves Grafmeyer sur « le quartier » (« Prologue », in Grafmeyer, 1991) afin d’éclairer les choix que nous avons fait pour définir le « Bas Montreuil en gentrification ».

Contrairement aux Pentes de la Croix-Rousse, le Bas Montreuil ne se caractérise ni par des limites naturelles, ni par une topographie spécifique (si ce n’est d’être en plaine, mais la plaine semble s’étendre au-delà du quartier et le quartier semble inclure des fragments du coteau), ni par une forte homogénéité architecturale ; comme pour la plupart des quartiers, « à l’imprécision des contours s’ajoute […] l’hétérogénéité interne de la voierie et du cadre bâti » (Grafmeyer, 1991, p. 12). Par ailleurs, plusieurs découpages institutionnels se superposent sur cette portion de territoire, qui organisent chacun une partie des pratiques des habitants : découpage en cantons (carte A2-1) et bureaux de vote, découpage de la mairie en « 14 quartiers et 6 secteurs » qui distribue les équipements municipaux et notamment les mairies annexes sur le territoire (cartes A2-2), secteurs scolaires, zonage des urbanistes, etc. Enfin, l’Insee a soumis la ville de Montreuil à plusieurs découpages successifs non concordants pour la restitution des données de recensement de 1962 à aujourd'hui (carte A2-3).

Carte A2-1 : Le découpage de Montreuil en cantons
Carte A2-1 : Le découpage de Montreuil en cantons

Source : archives de la mairie de Montreuil

Carte A2-2 : Le découpage de Montreuil en 6 secteurs et 14 quartiers
Carte A2-2 : Le découpage de Montreuil en 6 secteurs et 14 quartiers

Source : site Internet de la mairie de Montreuil

Carte A2-3 : Découpages successifs de Montreuil par l’Insee
Carte A2-3 : Découpages successifs de Montreuil par l’Insee

Source : carte réalisée par l’auteure à partir des archives conservées à la mairie de Montreuil

L’exercice auquel nous étions confrontée comportait plusieurs facettes : il s’agissait de rendre compte d’un phénomène en cours sur plusieurs années voire plusieurs décennies, comportant à la fois une dimension physique (appropriation et réhabilitation d’un bâti ancien) et une dimension sociale (élévation du niveau socio-économique, rajeunissement). Les données fournies par l’Insee étant à la fois une ressource et une contrainte : une ressources par leur contenu d’information, et une contrainte par leur format de restitution imposé. Nous avons choisi de définir le « Bas Montreuil en gentrification » à partir d’une définition de la gentrification par quelques critères et d’observer les « traces » qu’il laissait « sur l’appareil statistique », pour reprendre les termes de Durkheim (1895). De ce fait, le découpage que nous avons retenu est fondé sur un « projet cognitif » mais ne fera sans doute pas sens pour les habitants et les pouvoirs publics (Grafmeyer, 1991, p. 16).

Voici la carte du découpage du Bas Montreuil que nous avons retenu pour les analyses statistiques et qui s’appuie sur le découpage en Iris proposé par l’Insee. Le découpage principal figure en rouge ; en bleu, le découpage que nous avons été contrainte de respecter pour la restitution des données de 1968.

Carte A2-4 : Délimitations du Bas Montreuil adoptées pour les traitements statistiques
Carte A2-4 : Délimitations du Bas Montreuil adoptées pour les traitements statistiques

Quelques cartes permettent d’expliquer ce découpage. Les limites Ouest et Sud du quartier ne posaient pas de difficulté, elles étaient dictées par les limites communales avec Paris et Vincennes et, en outre, faisaient sens. A l’Ouest, le périphérique en tranchée non couverte, bordé du côté de Montreuil par l’emprise des Puces, sépare physiquement le quartier du 20e arrondissement de Paris. La porte de Paris, qui donne accès à la capitale, est gardée au Sud par l’imposant siège de la CGT, au Nord par le Centre Commercial « la Grande Porte ». Au Sud, la limite administrative qui sépare Montreuil de Saint-Mandé et de Vincennes correspond également à une discontinuité dans le bâti. Du côté de Paris, cette limite était il y a peu encore bordée d’une véritable « barrière d’emprises industrielles qui contribuèrent à doter la commune d’une image de forteresse ouvrière » (Hatzfeld et alii, 1998, p. 8). Celles-ci sont aujourd'hui en grande partie démolies et remplacées par un ensemble de bureaux qui n’en est pas moins massif ; certaines sont encore visibles et font l’objet d’une reconversion en bureaux. La partie orientale de la séparation avec Vincennes n’est plus d’ordre fonctionnel : le parc résidentiel domine de part et d’autre ; mais il présente une différence assez visible de qualité et de prestige architectural, le bâti montreuillois étant nettement plus pauvre dans ses matériaux, ses dimensions, ses ornementations.

Les délimitations Nord et Est posaient davantage de difficultés. Au Nord, nous avons choisi, contrairement aux découpages tant de la mairie que de l’Insee d’inclure dans notre périmètre l’Iris 0104 qui contient le coteau et le parc des Guilands, et d’exclure les Iris 0402, 0403, 0404 et 0205 qui le jouxtent. Ce choix répond à la fois à des considérations géographiques (les Iris 0402, 0403 et 0404 sont situés sur le plateau) et au souci de limiter l’étude à un quartier dont le parc de logements est ancien et appartient majoritairement au secteur privé. Comme on peut le voir sur les deux cartes suivantes (A2-5 et A2-6), les résidences principales de ces Iris 0402, 0403, 0404 et 0205 furent majoritairement bâties après 1949 et sont majoritairement occupées par des locataires HLM. Les Iris 0402, 0403, 0404 correspondent au quartier de la Noue, situé sur le plateau, et constitué majoritairement d’immeubles de grande hauteur. A l’inverse, sur le coteau (Iris 0401), les logements sont majoritairement anciens et privés. Tournés vers la rue de Paris et la Croix de Chavaux où se concentrent transports, commerces, services, équipements, les habitants du coteau des Guilands n’ont aucune raison de monter dans le quartier de la Noue et peuvent tout à fait ignorer cet ensemble dans leur vie quotidienne. Nous verrons que leur rattachement par la municipalité au quartier de la Noue entre en contradiction avec leurs pratiques, leurs représentations et leurs aspirations (chapitre 7). Nous touchons là à la question de la définition du quartier comme « enjeu collectif » (Grafmeyer, 1991, p. 21).

L’Iris 0205, géographiquement plus susceptible d’être inclus au quartier, est majoritairement composé de logements sociaux (55% des résidences principales sont en location HLM) et d’immeubles bâtis dans les années 1960-1970 (75% des résidences principales ont été construites entre 1949 et 1974). Enfin, nous avons indiqué plus haut que la limite Ouest ne posait guère de question : toutefois, l’Iris 0101, limitrophe avec Paris, présente lui aussi une part importante de logements sociaux. Mais une grande partie de ces logements sociaux ont été construits entre 1982 et 1999 dans le cadre de la politique volontariste de développement du Bas Montreuil qui n’est pas déconnectée du mouvement de gentrification du quartier (cf. chapitre 5) ; ils sont destinés à accueillir des professions intermédiaires (financement PLI). C’est en outre un Iris au bâti plus ancien que ceux cités ci-dessus, dont le tissu urbain était encore au début des années 1980 largement composé de petits bâtiments industriels qui ont été détruits depuis.

Carte A2-5 : Part des résidences principales construites avant 1949, Montreuil, 1990 (en %)
Carte A2-5 : Part des résidences principales construites avant 1949, Montreuil, 1990 (en %)

Source : Insee, Recensement de la population 1990

Carte A2-6 : Part des résidences principales occupées par un locataire HLM, Montreuil, 1990 (en%)
Carte A2-6 : Part des résidences principales occupées par un locataire HLM, Montreuil, 1990 (en%)

Source : Insee, Recensement de la population 1990

Le deuxième choix que nous avons à expliciter concerne la délimitation Sud-Est. Cette fois nous avons suivi le choix de la mairie ou de l’Insee consistant à exclure du « Bas Montreuil » le secteur appelé « Solidarité-Carnot » (Iris 0301 et 0302). Une définition large, dans l’opposition au « Haut Montreuil », inclut ce quartier situé en plaine, et repousse donc la limite Sud-Est du Bas Montreuil au parc des Beaumonts. Cependant le quartier possède des caractères distinctifs en matière de fonctions et surtout de peuplement : l’habitat y est quasi-exclusif et le peuplement est depuis longtemps plus bourgeois que celui du reste de la commune. On y compte 17 % de cadres supérieurs et cadres moyens parmi les actifs en 1968 (en fait probablement davantage car le découpage de 1968 inclut le quartier de la mairie, moins homogène dans son bâti comme dans son peuplement) contre 13 % dans le Bas Montreuil ; et 42 % de cadres et professions intellectuelles supérieures et professions intermédiaires parmi les actifs occupés en 1990, contre 36 % en moyenne dans le Bas Montreuil. De plus, ce secteur est légèrement à l’écart du « centre » du Bas Montreuil, c'est-à-dire de la rue de Paris, et ses habitants sont aussi près des équipements de la mairie que de la Croix de Chavaux. Enfin, dans les représentations collectives, il n’est pas toujours rattaché au Bas Montreuil (d’après les entretiens avec les habitants comme avec des employés de la mairie). C’est pour ces raisons que nous l’avons exclu du Bas Montreuil ; cependant il est clair que nous aurions pu l’y inclure, et qu’il a lui aussi connu un processus de gentrification depuis les années 1980.

En définitive, en l’absence d’une fine connaissance préalable du territoire (puisque le travail sur les statistiques a commencé en même temps que le « terrain »), nous n’avons pas observé comment la gentrification prenait place dans un quartier préalablement défini, mais nous avons fait apparaître l’espace en gentrification qui pouvait raisonnablement s’appeler « Bas Montreuil ». Il s’agit d’une certaine façon d’un compromis entre, d’une part, la logique visant à faire apparaître sur une carte la distribution d’une combinaison de plusieurs descripteurs (un bâti majoritairement ancien, des logements appartenant majoritairement au parc privé, une élévation du statut socio-économique de la population dans un territoire « initialement » plutôt populaire) ; et, d’autre part, la logique visant à décrire la structure et l’évolution des descripteurs dans une unité spatiale prédéfinie à partir de critères autres (Grafmeyer, 1991, p. 14-16). Cette façon de procéder ne nous a pas empêché d’observer d’autres caractéristiques et évolutions touchant le quartier – comme l’importante construction de logements sociaux dans l’Iris 0101 près de la porte de Montreuil par exemple, où l’appauvrissement d’une partie de la population résidant dans l’Iris 0105 le long de la rue de Paris. Mais il est vrai que nous avons d’emblée exclu des secteurs qui ne pouvaient être caractérisés par une dynamique de gentrification mais qui auraient pu être inclus au « Bas Montreuil » comme « espace de vie » ( Grafmeyer, 1991, p. 17). Ainsi l’Iris 0205 au Nord de la Croix de Chavaux a été exclu en raison de son bâti relativement récent et de la part importante des logements sociaux, alors même qu’il est clair qu’il peut difficilement être rattaché à un autre quartier que « le Bas Montreuil » en tant qu’espace de pratiques quotidiennes.

Le découpage en rouge sur la carte A2-4 est donc celui adopté pour le traitement des données des recensements de 1990, de 1999 ou de 2006 ; c’est également sur la base de ce découpage que nous avons étudié les « migrants externes » de 1999 et de 1990, ces migrants étant définis comme les résidents qui en 1999 (respectivement en 1990) habitaient dans l’un des IRIS du Bas Montreuil et qui en 1990 (respectivement en 1982) n’habitaient pas à Montreuil. C’est aussi à partir de ce découpage que avons travaillé sur la base de données notariales (BIEN) pour distinguer entre « Bas Montreuil » et reste de Montreuil, en triant les transactions grâce à leur adresse (chapitre 2).

En ce qui concerne le suivi longitudinal des transformations du quartier, nous avons rencontré des difficultés face à la variabilité des découpages de l’Insee. Les données de 1990, 1999 et 2006 étant disponibles à l’IRIS, nous avons pu conserver le même découpage pour ces trois recensements. Pour 1975, nous obtenu les données à l’îlot, ce qui nous a permis de reconstituer ce même découpage. Les comparaisons entre les données issues des recensement de 1975 et de 1990, 1999 et 2006 concernent donc exactement le même territoire.

Pour 1968 et 1982, les données à l’îlot n’étaient pas disponibles. Pour le recensement de 1968, nous avons obtenu les données à l’échelle des quartiers ; le quartier alors appelé « Bas Montreuil » diffère légèrement du nôtre : il couvre le même territoire, à l’exception du coteau des Guilands (IRIS 0401) qui en est exclu (découpage en bleu sur la carte A2-4). Nous avons néanmoins parfois utilisé ces données de 1968 comme repère dans les comparaisons intertemporelles. Pour le recensement de 1982, les seules données infracommunales que nous ayons pu obtenir nous ont été livrées à l’échelle du canton ; or le canton Ouest de Montreuil, qui couvre le Bas Montreuil, est nettement plus vaste que le quartier (cf. carte A2-1). Nous avons donc le plus souvent préféré dans les comparaisons nous passer de données pour 1982, celles dont nous disposions étant trop peu comparables.

Indiquons pour finir que ce découpage du Bas Montreuil a prévalu pour le traitement des données statistiques, mais aussi, comme dans le cas des Pentes, pour le choix des enquêtés.