Annexe 3. Cerner le profil des gentrifieurs dans les statistiques : présentation de deux sources complémentaires

1. Les tableaux à façon sur les migrants externes

Avec l’aide d’Alexandre Kych du centre ADISP-CMH, nous avons pu constituer des tableaux issus des données de recensement de 1999 et de 1990 permettant de décrire les nouveaux résidents de chaque quartier.

La catégorie de « migrants externes » désigne les habitants qui n’habitaient pas la même commune – ou le même arrondissement pour Lyon – au recensement précédent. Ces données présentent l’avantage de décrire la population des « nouveaux habitants », ce qui élimine un certain nombre d’approximations que l’on rencontre lorsqu’on se contente de comparer la population à deux dates en supposant que ses transformations proviennent de l’afflux de nouveaux individus (alors qu’une partie des transformations provient des évolutions ayant affecté la population d’origine ainsi que des départs).

Les tableaux standards fournis par l’INSEE sur les migrants externes n’étaient pas disponibles à l’échelle infra-communale. Nous avons donc demandé au centre ADISP de construire ces tableaux à une échelle plus fine afin de décrire la population installée entre 1982 et 1990 puis entre 1990 et 1999 dans nos terrains d’enquête, les Pentes de la Croix-Rousse et le Bas Montreuil, tels que nous les avons définis par regroupement d’IRIS (voir annexes 1 et 2).

Restent malgré tout quelques limites plus ou moins importantes de cette source statistique dans le cadre de notre travail. Tout d’abord, la population des « migrants externes » exclut les individus qui se sont installés dans le quartier après 1990 mais en sont repartis avant 1999 (respectivement après 1982 et avant 1990). Or le processus de gentrification se nourrit aussi de ces passages brefs, surtout lorsqu’ils s’accompagnent d’une revalorisation d’un bien immobilier. Ainsi cet enquêté qui est arrivé dans le Bas Montreuil en 1995 pour travailler et vivre dans un atelier de métallurgie et qui est parti en 1998 à Romainville, au Nord de Montreuil, avant de revenir à Montreuil en 2005 ; à chaque fois, il a complètement rénové et transformé les lieux dans lesquels il s’installait, et il a indubitablement contribué à la gentrification du Bas Montreuil. Il a échappé au décompte des « migrants externes » de 1999.

La catégorie de « migrants externes » exclut ensuite par définition les « migrants internes », c'est-à-dire les personnes qui, entre deux recensements, changent de logement sans changer de commune. Deux cas de figure nous sont pourtant apparus de « migrants internes » ayant participé comme habitants à la gentrification du Bas Montreuil. D’une part, des individus recensés en 1999, qui habitaient déjà le quartier en 1990 (respectivement 1990 et 1982), ont déménagé après avoir réalisé des travaux et revalorisé un bien immobilier. Ils ont bien contribué à la gentrification du quartier sur son volet immobilier, mais ne sont pas comptabilisés parmi les « migrants externes ». Nous avons rencontré ce type de profil dans notre échantillon à deux reprises. Il n’est pas rare en effet qu’ayant découvert le quartier, son stock de biens dégradés et la rapidité de l’augmentation des prix, des habitants décident de renouveler rapidement leur expérience d’acquisition-rénovation, motivés soit par les plus-values soit par un projet immobilier particulier. D’autre part, une catégorie un peu particulière de « gentrifieurs » nous est apparue au cours de l’enquête : les « gentrifieurs de l’intérieur », c'est-à-dire des anciens Montreuillois qui, ayant résidé dans un autre quartier de Montreuil et dans des contextes où l’on ne peut parler de gentrification (location HLM sur le plateau, propriété occupante dans un secteur pavillonnaire récent), sont par la suite « descendus » dans le Bas Montreuil et ont participé à sa gentrification (par leurs profils sociologiques, leurs pratiques de sociabilité et particulièrement leurs engagements dans la sphère publique). Prendre en compte d’un point de vue statistique l’ensemble de ces « migrants internes », c'est-à-dire des personnes ayant déménagé sans quitter le quartier ou d’un autre secteur de Montreuil vers le Bas Montreuil, aurait cependant été hasardeux et difficilement interprétable. Etant donné ce que l’on sait de la composition de la population montreuilloise en 1990 (plus de 60% d’employés et d’ouvriers parmi les actifs occupés et près de 80% des adultes d’un niveau de diplôme inférieur au Bac) et a fortiori en 1982, les gentrifieurs du Bas Montreuil, par définition des ménages qualifiés appartenant aux PCS intermédiaires ou supérieures, avaient plus de chances de provenir de l’extérieur de la ville.

Ces deux points suggèrent que la population des migrants externes peut sous-estimer la population des gentrifieurs. Mais, inversement, la population des « migrants externes » du Bas Montreuil ne compte pas que des gentrifieurs, loin de là. Nous n’apprendrions d’ailleurs pas grand chose si tel était le cas : la plupart des variables disponibles (tranches d’âge, niveau de diplôme, PCS, ancienneté des logements) ne feraient que redonder avec la définition même de cette population. L’intérêt de l’analyse que nous proposons est donc plutôt d’évaluer l’importance des gentrifieurs dans le flux des nouveaux résidents des deux quartiers aux deux périodes et de préciser leur profil, notamment en termes d’âges, de niveaux de diplôme et de catégories socioprofessionnelles détaillées453. Cela nous permet de nous livrer à la double comparaison, spatiale et temporelle, entre les gentrifieurs des années 1980 et des années 1990 du Bas Montreuil et des Pentes de la Croix-Rousse.

Notes
453.

On pourra suggérer que le même travail sur les migrants internes aurait à ce titre pu présenter quelque intérêt, celui d’évaluer l’importance et les caractéristiques de ces migrants de l’intérieur ; mais cette catégorie ne nous est apparue pertinente qu’au fil de l’enquête ethnographique, après avoir commandé à l’Insee ces tableaux à façon que nous présentons ici.