L’Analyse Conversationnelle

Dans ses travaux, Sacks a développé une approche qui vise à déterminer l'ordre et l’action sociale tels qu'ils sont produits par les usages de la parole au quotidien3. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, grâce aux travaux de Harvey Sacks et de son collègue Emanuel A. Schegloff, l’Analyse Conversationnelle a émergé en sociologie comme un domaine de recherche indépendant orienté vers la compréhension de la structure organisationnelle de la parole qui a influencé un certain nombre de disciplines des sciences sociales concernées par la communication humaine. L’Analyse Conversationnelle vise à comprendre principalement comment l’ordre est accompli dans l'interaction sociale, sur la base d’une méthodologie empirique et de micro-analyses fines (Clayman & Maynard, 1995). À la différence d'autres formes d'enquête sociologique, l'Ethnométhodologie et l'Analyse Conversationnelle impliquent un certain nombre d'engagements analytiques qui ont fourni une base spécifique aux études empiriques. L'Analyse Conversationnelle (AC) ou Conversational Analysis (CA) partage un certain nombre d’engagements analytiques avec l'Ethnométhodologie et traite en particulier la conversation et ses bases méthodiques comme domaine de l'enquête sociologique. C’est ainsi que le travail de Sacks (1992) et de Sacks, Schegloff et Jefferson (1974) sur l'organisation séquentielle des tours de parole a eu une influence profonde sur l'analyse de la parole en sociologie et dans d'autres disciplines. John Heritage, qui collabore depuis les années 80 avec Schegloff, définit l’objectif principal des recherches en Analyses Conversationnelle comme la description et l’explication des compétences mobilisées par les locuteurs, qui rendent leur participation à l’interaction sociale organisée et intelligible :

‘“The central goal of conversation analytic research is the description and explication of the competences that ordinary speakers use and rely on in participating in intelligible socially organized interaction. At its most basic, this objective is one of describing the procedures by which conversationalists produce their own behaviour and understand that of others.” (Heritage, 1984 : 1)’

Parler n'a de sens que dans son contexte d’énonciation, et le rôle de l’action en contexte a été défini de manière double comme étant à la fois context-shaped et context-renewing (Heritage, 1984). L’action ou la parole sont context-shaped lorsqu’elles émergent dans le contexte et s’adaptent à lui, mais elles sont context-renewing parce qu’elles contribuent à le configurer, chaque fragment d’action étant contraint par ce qui précède mais ayant des conséquences sur ce qui suit, influençant la façon dont les prochains énoncés ou les prochaines actions seront entendus et compris. Le contexte est, par conséquent, dynamique et se renouvelle à chaque moment dans l’interaction.

Une notion clé de l'Analyse Conversationnelle est celle de recipient design que Sacks, Schegloff et Jefferson (1974) caractérisent comme le principe le plus général de la conversation. Cette notion fait référence à l'idée que les participants en interaction construisent leurs énoncés de telle manière à être compris par un interlocuteur, en termes de connaissances potentiellement partagées par les participants (Sacks & Schegloff, 1979 ; Schegloff, 1972). Le recipient design n'est pas seulement une ressource que les locuteurs utilisent pour construire l’interaction, c'est aussi une ressource que les auditeurs peuvent mobiliser dans l'interprétation des énoncés.

Lors de situations d’interaction, les participants utilisent différentes méthodes pour structurer leurs énoncés qui relèvent de la machinerie des tours de parole. Cette machinerie intervient dans trois aspects centraux pour l'organisation de la conversation. Le premier est la façon dont les tours de parole sont structurés et gérés par les participants, sur la base du turn-taking system proposé par Sacks, Schegloff et Jefferson (1974). Le second concerne la façon dont les tours de parole sont organisés dans la conversation en séquences, formant des séquences minimales (notamment des paires adjacentes) qui peuvent être étendues pour produire des unités plus grandes et cohérentes dans l’activité conversationnelle. Le troisième aspect est le système de la réparation (repair system) qui permet de traiter des « ruptures » dans l’organisation de la machinerie des tours de parole. Nous allons détailler ces différents aspects dans les sections suivantes afin de mieux comprendre notre approche analytique tout au long de notre travail.

Notes
3.

Voir également Mondada (2006c).