Séquences de réparation

La réparation fait référence aux processus disponibles pour les locuteurs à travers lesquels ils peuvent traiter les problèmes qui émergent dans l’interaction. Toute conversation est potentiellement sujette à des difficultés, et la conversation considérée comme un système autorégulateur nécessite des procédés disponibles pour traiter ces difficultés. La réparation est elle-même un mécanisme de la conversation c’est-à-dire un ensemble de pratiques conçues pour traiter les types de difficultés pouvant émerger dans l’interaction. Comme d'autres aspects dans le système de la conversation, les procédés de réparation sont indépendants de l’élément qui a besoin d’être réparé.

Sacks, Schegloff & Jefferson (1977) ont proposé un modèle du mécanisme de réparation dans la conversation qui fait une distinction centrale entre celui qui initie la réparation et celui qui produit la réparation. La réparation peut être initiée par le locuteur qui a produit le repairable, c'est-à-dire l’élément à réparer : on parle alors de réparation auto-initiée ; ou elle peut être initiée par un autre interlocuteur, dans une réparation hétéro-initiée. De plus, la réparation peut être réalisée par le locuteur qui a produit le repairable (auto-réparation) ; ou elle peut être réalisée par un autre interlocuteur (hétéro-réparation). La combinaison de ces possibilités permet de dégager quatre types de réparation :

1. La réparation auto-initiée et auto-réparée : le locuteur du repairable indique à la fois un problème dans la conversation et le résout ;

MAT le la selle/ et poussez le\ (.) bien fort en avant\ essay- euh réessayez/

2. La réparation auto-initiée et hétéro-réparée : le locuteur du repairable indique un problème dans la conversation, mais c’est son interlocuteur qui résout le problème ;

MAT de: dix heures le matin à dix neuf heures (0.2) +euh:: c’est +
+dix heures trente ou dix heur- dix heures trente le matin/=
JUS =dix heures trente\

3. La réparation est hétéro-initiée et auto-réparée  : un interlocuteur qui a perçu un repairable indique un problème dans la conversation, et le locuteur qui a produit l’élément à réparer le résout;

LET et qu’est- et euh::::m\ quel est l` médecin qui vous suit au niveau du diabète/
  (0.7)
MAP comment/
  (0.3)
LET quel est l` médecin qui vous suit au niveau du diabète/

4. La réparation est hétéro-initiée et hétéro-réparée : un interlocuteur qui a perçu un repairable indique à la fois le problème dans la conversation, et le résout.

DUR [il me] met/ X attention vous avez un vél[o: ] qui est en en&
MAT [oui/ ] [nan]
DUR &cours/
MAT c'est pas c` qu’i` vous dit\ i` vous dit vou:s êtes responsable d'un d'un vélo\ quand vous les louez vous êtes responsable des vélos\ c'est c` qu’i` vous dit\ (0.3) et vous l'aurez à chaque fois ça::/

Enfin, ces types de réparation doivent être mis en relation avec leurs positions séquentielles dans la conversation. Ces positions sont en rapport avec l’élément à réparer : la réparation est mise en place pour résoudre le problème aussi rapidement que possible. Cela explique que l’auto-réparation soit structurellement préférentielle. Schegloff (1992b) a identifié les positions suivantes pour insérer une séquence de réparation : i) dans le même tour que le repairable (same turn repair), ii) dans l'espace transitionnel suivant le tour contenant le repairable (transition space repair), iii) dans le tour qui suit immédiatement le repairable (second position repair), iv) dans un troisième tour (third position repair), v) dans un quatrième tour (fourth position repair).

Nous venons de présenter ici quelques notions clés expliquant la démarche analytique dans le domaine de l’Analyse Conversationnelle. Au cours de notre étude, nous allons nous appuyer sur ces notions fondamentales.

L’objet de l’AC est donc principalement la manière dont les individus construisent leurs échanges de paroles par le biais de méthodes et procédures qui sont publiquement reconnaissables pour les interactants et qui sont observables dans les données. Elle permet de décrire les mécanismes d’organisation de l’activité de la conversation. Les travaux fondateurs en AC ont porté sur des interactions orales uniquement. Avec les années, les champs d’analyse se sont étendus à des enregistrements vidéo des interactions en situations naturelles. Ils ont permis de montrer l’importance des ressources multimodales dans l’interaction (gestes, attitudes, regards… intégrés dans un travail de coordination naturellement fourni par les participants).

Enfin, si beaucoup d’études en AC ont analysé les interactions ordinaires dans la vie quotidienne, il existe de plus en plus de recherches, depuis une trentaine d’année, travaillant à partir de la même méthodologie et des mêmes outils conceptuels et s’intéressant aux interactions en contextes institutionnels (voir Drew & Heritage, 1992 ; Drew & Sorjonen, 1997 ; Heritage, 1998, 2004). Les conversationnalistes n’établissent pas de distinction intrinsèque entre les interactions formelles vs. informelles, le contexte ordinaire vs. le cadre institutionnel. Ils considèrent l’activité de parler en interaction comme un processus social qui est déployé pour réaliser et comprendre les situations sociales dans lesquelles est utilisée la parole. Comme Schegloff le soutient (1992), le talk-in-interaction est un moment central dans la socialité d'une part, et d'autre part, l'une des conditions préalables (et largement présupposées) pour la réalisation de la vie6. L’Analyse Conversationnelle s’intéresse donc légitimement à tous les domaines socialement où s’échange de la parole.

Même si, à l’origine, l’Analyse Conversationnelle a essentiellement travaillé sur la parole en co-présence et en face à face ou au téléphone, sa méthodologie est également de plus en plus appliquée à l’étude des relations entre interactions, environnements complexes de travail et technologies. C’est ainsi que l’Analyse Conversationnelle et l’Ethnométhodologie ont contribué aux recherches dans les domaines des Workplace Studies ainsi qu’à celles sur les Human Computer Interactions (HCI), et le Computer Supported Collaborative Work (CSCW).

Notes
6.

Voir également Schegloff (1988a).