Les Workplace Studies

Les Workplace Studies mettent l'emphase sur le travail coopératif comme forme distincte de travail, et sur la technologie comme supportant fréquemment ce travail coopératif. Les Workplace Studies constituent un ensemble de recherches importantes sur les activités interactionnelles au travail qui reposent sur des dispositifs technologiques plus ou moins complexes (Mondada, 2002a, 2002b, 2006g, 2009). De plus, ce domaine s’intéresse aux espaces où plusieurs participants agissent ensemble à la fois en co-présence et à distance. Les Workplace Studies traitent de dimensions différentes qui ont des effets configurant sur les interactions, telles que la multimodalité (Goodwin & Goodwin, 1997), les espaces et leur matérialité (Suchman, 1987) ou encore la technologie (Suchman, 1993 ; Luff, Heath & Sanchez Svensson, 2003 ; Relieu, 2006/2).

Ce courant a été impulsé notamment par le « Workplace Project » initié par Lucy Suchman au Xerox Palo Alto Research Center, étudiant des centres de contrôle d’aéroports (voir aussi Goodwin & Goodwin, 1996 ; Brun-Cottan, 1991). Ces lieux de travail ont été conceptualisés par Suchman (1996) comme des « centres de coordination », où l’organisation de l’interaction intègre des conditions qui n’avaient jamais été prises en compte jusque-là : des espaces fragmentés où les participants sont engagés dans plusieurs activités en même temps (multi-activité), tout en réassemblant constamment cet éclatement, et où ils ne sont pas tous co-présents, pouvant interagir aussi bien avec leur voisin qu’avec une personne éloignée, au moyen de technologies allant du téléphone à des plateformes virtuelles permettant le travail collaboratif à distance (Mondada, 2006g).

Au fil des ans, d’autres espaces complexes d’activité ont été étudiés par les Workplace Studies comme par exemple :

Ces études permettent un élargissement des objets classiquement traités en Analyse Conversationnelle. En effet, le recours à la vidéo est indispensable pour rendre compte de la complexité de l’organisation spatiale, temporelle et matérielle de l’interaction. Par conséquent, les dimensions multimodales (gestes, regards, postures corporelles, mouvements, etc.), artefactuelles (prise en compte du rôle des objets) et spatiales (prise en compte des caractéristiques matérielles et organisationnelles de l’environnement) sont intégrées dans l’analyse séquentielle. De plus, l’impact de la technologie dans l’interaction est thématisé explicitement comme dimension configurante instaurant de nouveaux tissus de pertinences, vers lesquels s’orientent les participants dans l’organisation de leur interaction (Mondada, 2006g).

Au sein des Workplace Studies, plusieurs phénomènes ont été analysés touchant directement la question de la coordination de participants dans l’espace tels que : i) la médiation de l’interaction par des technologies (Heath & Luff, 1992, Licoppe, 2002a, 2002b) ; ii) la coordination de l’attention des participants (Heath, 1986 ; Suchman, 1996 ; Goodwin & Goodwin, 1996 ; Conein, 1998) ; iii) l’examen de l’espace par une vision professionnelle qui l’interprète, le surveille, le catégorise (Goodwin & Goodwin, 1996 ; Buscher, 2006 ; Heath & alii, 1994) ; iv) la manipulation des objets durant l’interaction et la distribution des objets dans l’espace en vue d’une action particulière comme s’ajustant à l’activité et en même temps la contraignant et la programmant (Conein & Jacopin, 1993 ; Kirsh, 1995).

De par ces caractéristiques, les Workplace Studies sont actifs à la fois dans la description des nouvelles pratiques et conditions de travail et dans le design de nouvelles technologies (notamment au sein du mouvement du CSCW7, et dans le requirements engineering, c'est-à-dire l’étude et la formulation implémentable des besoins auxquels doit répondre une technologie). Dans ce sens, ils contribuent à redéfinir ce qu’est un « usager », une « activité collaborative », une « prise de décision » ou l’« organisation du workflow » en les ancrant dans le détail de pratiques situées ; à déplacer l’attention des designers des propriétés des technologies vers la manière contingente et locale dont les usagers se servent de ces technologies dans leurs activités quotidiennes.

Cette partie introductive a permis de situer notre travail au sein de l’Analyse Conversationnelle et des Workplace Studies. Ainsi notre recherche propose de porter un regard analytique séquentiel et multimodal sur les pratiques professionnelles médiées par des technologies dans les interactions en centre d’appels. Nous allons nous intéresser à l’usage des ressources technologiques par les participants au cours des appels de service à travers trois parties d’analyse : les modifications de cadre participatif autour du dispositif de communication (partie II) ; l’intégration de l’objet ‘écran’ comme artefact interactionnel (partie III) ; et l’activité de notifier l’état a-problématique d’un compte client (partie IV). Chaque partie comprendra un chapitre introductif qui résumera les travaux pertinents en Analyse Conversationnelle et dans les Workplace Studies par rapport aux notions clés abordées dans chacune de ces parties d’analyses (i.e. la notion de cadre participatif, d’artefact, de discours rapporté, etc.). Avant de passer aux parties d’analyse, nous allons présenter nos deux corpus, puis nous expliquerons l’intérêt du dispositif d’enregistrement mis en place ainsi que la méthodologie utilisée dans le traitement des données une fois enregistrées.

Notes
7.

Bannon & Schmidt (1989) définissent le CSCW comme « an endeavour to understand the nature and requirements of cooperative work with the objective of designing computer-based technologies for cooperative work settings ». Pour approfondir les lectures sur le domaine des CSCW, voir également Grudin (1994), Cartensen & Schmidt (1999), Wilson (1991).