Auto-initié par l’opérateur

Dans l’extrait 2-13, Mme Coron appelle pour un problème de vélo rendu mais qui n’a pas été reconnu par la bornette. Après avoir localisé la station LocBike concernée, Mathilde informe la cliente que sa carte d’abonnement pourra être de nouveau en état de marche seulement après le passage d’un technicien sur la station pour résoudre un problème technique sur la bornette. Un délai de deux jours est nécessaire pour cette intervention. L’opératrice conseille alors à Mme Coron de rappeler le service d’ici deux jours pour vérifier si sa carte re-fonctionne correctement – jour qui correspond à un dimanche. Le fait que le jour soit un dimanche va faire émerger une demande de confirmation d’ouverture ce jour là par la cliente avec une demande de précision sur le créneau horaire d’ouverture. L’opératrice va initier une modification du cadre participatif en demandant confirmation auprès de sa collègue présente dans la pièce. L’extrait commence lors d’un tour de Mathilde qui propose à Mme Coron de rappeler le dimanche (l. 1).

Ext2-_L26-13_01’02’03 : OuvertureDimanche
1 MAT oui ou di[manche ] rapp`lez dimanche si vous voulez pour voir\
2 COR [dimanche]
3   (0.3)
4 COR vous êtes ouvert l` dimanche/
5 MAT oui jusqu’à dix neuf heures trente\
6   (0.4)
7 COR d’accord\ (.) et du matin jusqu’à dix neuf heures trente\
8   (0.3)
9 MAT de: dix heures le matin à dix neuf heures (0.2) +euh:: c’est +
  matR +au plafond--+
10 +dix heures trente ou dix heur- dix heures trente le matin/=
matR +vers JUS-->
11 JUS =dix heures trente\
12 MAT dix heures+ trente dix neuf heures trente le[:: ]
13 COR [d’ac]cord donc
  matR ----------+
14 15 COR normal`ment la carte devrait marcher à partir de dimanche matin\

La cliente chevauche le début de tour de l’opératrice en formulant l’information essentielle concernant le jour de rappel au service LocBike, soit « dimanche » (l. 2). Les deux participantes expriment exactement la même information simultanément. Après une courte pause, la cliente demande une confirmation sur l’ouverture effective du service le dimanche (l. 4) à laquelle l’opératrice répond par une affirmation suivie de l’indication de l’heure précise de fermeture « jusqu’à dix neuf heures trente\ » (l. 5). Mme Coron valide l’information donnée « d’accord\ » (l. 7) et ajoute une seconde demande de précision sous la forme d’une confirmation « et du matin jusqu'à dix neuf heures trente\ ». Cette seconde requête de la cliente porte sur l’exactitude de l’heure d’ouverture du service le dimanche. Mathilde répond après une courte de pause de 0.3 secondes (l. 8) en donnant l’information complète concernant les horaires d’ouverture, à savoir l’heure d’ouverture et l’heure de fermeture « de dix heures le matin à dix neuf heures (0.2) euh:: » (l. 9).

À cet instant, l’opératrice s’interrompt dans son énoncé et initie une séquence de réparation où elle caratérise l’heure d’ouverture comme un élément perturbateur dans l’échange. Après une pause brève de 0.2 secondes, elle formule une requête marquée par des indices d’hésitation « euh :: c’est dix heures trente ou dix heur- dix heures trente le matin/ » tout en orientant son regard en direction de Justine assise en face d’elle. Ce tour est visiblement adressé à sa collègue. Mathilde modifie alors le cadre participatif et suspend temporairement le cours de l’interaction principale. Justine se situe hors champ de la caméra et nous ne pouvons donc pas observer son regard ou ses expressions faciales au moment de la requête de l’opératrice. Nous supposons que sa collègue effectue une confirmation de manière gestuelle (i.e. un hochement de tête par exemple) au cours de l’énoncé de Mathilde au moment où elle s’interrompt une seconde fois dans sa formulation « dix heur- ». Elle reprend alors l’information énoncée en début de tour « dix heures trente le matin/ » qui, malgré un format interrogatif, a l’apparence d’une confirmation. Justine enchaîne immédiatement en produisant une répétition totale de la fin de l’heure exacte d’ouverture (l. 11) confirmant ainsi à son tour la dernière information donnée par l’opératrice.

Mathilde réitère sa réponse adressée cette fois-ci à la cliente par une reprise intégrale de l’information « dix heures trente dix neuf heures trente le[::] » (l. 12). Son regard s’oriente vers son écran au début de son tour de parole. Mme Coron s’auto-sélectionne avant la fin du tour de l’opératrice et elle valide en chevauchement sa compréhension de l’information donnée (l. 13). Elle ajoute une demande de confirmation en rappelant que sa carte « devrait marcher à partir de dimanche matin\ » (l. 14-15).

Dans l’extrait 2-14, Mlle Riton appelle le service pour un problème de vélo toujours indiqué en location alors qu’il avait été reposé. Samira est en train de procéder à une série de questions/réponses pour situer la station LocBike sur laquelle a été déposé le vélo lors d’une course précédente de la cliente. Cette dernière va essayer de donner l’information en établissant des descriptions géographiques par rapport à des points précis dans la ville. L’opératrice doit donc arriver à déterminer le numéro de la station correspondant à un endroit géographique dans la ville. Adrien, le collègue de Samira, est présent dans la pièce et il va collaborer à l’activité de recherche de la station pour venir en aide à l’opératrice. L’extrait commence au moment où la cliente énonce l’emplacement géographique de la station sur laquelle elle a pris le vélo « j` l’ai pris à la station saint marc » (l. 1).

Ext2-_L26-16_01’24’21 : Gailleton
Ext2-_L26-16_01’24’21 : Gailleton

Après l’annonce du nom de la station par la cliente, Samira oriente son regard vers Adrien qui est en train de traiter des documents papiers. Il ne perçoit pas le regard adressé de l’opératrice à cet instant (cf. im1) (l. 1). Mlle Riton termine son tour en précisant le jour où elle a pris ce vélo à la station « saint marc », c'est-à-dire le « m:ardi » (l. 2). À la fin de l’intervention de la cliente, Samira oriente son regard face à elle. Elle valide l’information donnée par une répétition totale « mardi » (l. 4) après une courte pause de 0.4 secondes. Elle demande ensuite une précision sur l’heure à laquelle a été pris le vélo. La cliente répond après une longue pause de 1.2 secondes et formule une auto-réparation de son propre énoncé à l’intérieur du même tour « mardi matin::/ euh: `tendez non mardi après » (l. 6). Elle donne également une indication d’horaire approximatif.

L’opératrice valide l’information donnée par la cliente et reformule sa réponse en donnant la date exacte « le vingt troi:s/ (2.2) aux environs de quatorze heures\ » (l. 9-10). Elle termine son tour en thématisant de nouveau le topic de la localisation géographique de la station « alors vous m` dites à saint marc/ ça s` trouve où » (l. 10-11). Samira rend ainsi manifeste sa difficulté à situer précisément l’emplacement géographique de la station dans la ville. Elle demande donc à la cliente de collaborer à cette activité de recherche. De façon indirecte, la demande de l’opératrice est également reçue par les participants présents dans la pièce et qui peuvent être à tout moment intégrer le cadre participatif de l’interaction en cours.

C’est ce que fait Adrien (l. 12), lorsqu’il oriente son regard en direction de Samira à la fin de son tour de parole (cf. im2).

Cependant, l’opératrice n’est pas alignée au regard qui lui est adressé car elle est en train de regarder devant elle à cet instant. Nous sommes donc dans la situation inverse de celle du début de l’extrait, où Samira adressait un regard en direction d’Adrien qu’il ne pouvait percevoir du fait qu’il était en train de traiter des documents papiers face à lui. Le regard d’Adrien en direction de Samira est ici maintenu sur plusieurs tours de paroles jusqu’à la fin de l’extrait présenté.

Après une pause de 0.9 secondes, Adrien s’auto-sélectionne et intervient en chevauchement au début du tour de la cliente en produisant une répétition du topic dont il est question « saint marc/ » (l. 14). Simultanément à son énoncé, Samira s’aligne temporellement à la tentative de collaboration de son collègue en établissant un regard réciproque dans sa direction (cf. im3). Pendant cette phase de regard mutuel, la cliente répond à la requête de l’opératrice en faisant état de son incertitude quant à une localisation plus précise de la station (l. 13). En plus du regard réciproque entre les professionnels, Samira réalise un mouvement répété de tête de gauche à droite adressé à Adrien exprimant sa non connaissance de la localisation géographique de la station située à « saint marc ». À cet instant, un élargissement du cadre participatif émerge dans lequel Adrien est ratifié, du point de vue de l’opératrice, en tant que participant reconnu et engagé dans l’interaction à des fins de collaboration dans une activité de localisation géographique d’une station.

Il suggère à l’opératrice de demander la localisation de la station « où elle a pris l` vélo »36 (l. 15). Du point de vue de la cliente, elle ne perçoit pas cette modification du cadre qui vient de s’opérer et poursuit son interaction avec l’opératrice. Elle propose finalement une indication sur l’arrondissement dans lequel se trouve la station « c’est dans l` second » (l. 16) en chevauchement du tour d’Adrien qu’elle n’entend pas.

Après une pause de 0.9 secondes, Samira énonce directement une nouvelle requête en suivant la suggestion proposée par son collègue (l. 18-19). Elle ne tient pas compte de l’information donnée par la cliente au tour précédent. Mlle Riton répond après une longue pause de 1.2 secondes en donnant un nom de rue associé à la station « la station euh:m gailleton\ » (l. 21).

18 19 SAM et euh le dernier vélo vous l’avez pris aujourd’hui à quel endroit\
20   (1.2)
21 RIT euh::: à à:: la station euh:m gailleton\
22   (0.4)
23 SAM et vous l’avez remis à gailleton
24   (0.4)
25 RIT voilà
26   (0.2)
27 SAM d’accord .h [à quelle heure/]
28 RIT [`fin:/ ] attendez je j` l’ai% pris j` l’ai
  adrR -------------------------------------------------%
29 30 31   x et:: .h j` l’ai pris à gailleton c`t à dire le matin:/ j` l’ai remis à la station: euh::\ .h euh j’en sais rien XXX `fin:\ .hh j` l’ai remis dans le::: sixième/

L’opératrice valide le tour de la cliente par un énoncé assertif qui reprend une partie de l’information donnée « et vous l’avez remis à gailleton » (l. 23) ce qui marque sa compréhension et explique l’absence de ratification explicite. La cliente valide l’énoncé de l’opératrice (l. 25) puis cette dernière poursuit la séquence de questions/réponses en demandant l’heure vers laquelle elle a reposé le vélo (l. 27).

L’extrait se termine par une séquence d’auto-réparation auto-initiée par la cliente qui en chevauchement de la fin du tour de l’opératrice rend manifeste une erreur de compréhension concernant la station sur laquelle a été reposée le vélo. Elle reformule l’indication géographique de la station où elle a pris le vélo en ajoutant une information temporelle, à savoir « le matin » (l. 29). Elle montre ainsi qu’elle tient compte de la dernière question posée par l’opératrice sur une demande d’information horaire. Puis elle précise qu’elle a reposé le vélo « dans le::: sixième/ » (l. 31) mais qu’elle ne peut donner l’endroit exact.

L’analyse de ces deux extraits permet de montrer deux formats pour initier une sollicitation d’un participant externe à l’interaction principale : soit par un énoncé adressé à sa collègue, accompagné d’un regard orienté dans sa direction (ext2-13) ; soit par un regard uniquement mais sans explicitation directe d’une requête adressée au collègue (ext2-14). Dans les deux cas, aucune suspension de l’interaction principale n’est réalisée par l’opératrice. L’ajustement au dispositif se caractérise par un maintien de l’interaction principale en parallèle de l’interaction secondaire qui se superpose à la première, ce qui permet une collaboration reconnaissable entre les participants dans la résolution d’un problème émergeant dans l’activité de l’opératrice. Les interventions des co-participants sont brèves du fait que l’interaction principale soit toujours maintenue. Hormis l’importance des informations transmises par les collègues dans la résolution du problème, l’orientation des regards entre les participants est également un élément important à prendre en compte dans l’émergence d’une collaboration. Ils exhibent ainsi leur alignement mutuel dans la résolution collaborative des problèmes pratiques auxquels est confrontée l’opératrice.

Notes
36.

Nous comprenons au tour de l’opératrice (l. 18) qu’Adrien demande des informations sur le « dernier » vélo emprunté par la cliente.