Dans les appels par visiophone : HumPrior

Dans ce second chapitre, nous allons étudier à neuf extraits tirés du corpus de HumPrior dont les interactions dans un centre d’écoute se déroulent par visiophone. Nous nous sommes inspirées de l’étude sur les échanges visiophoniques de Michel de Fornel (1994), qui fait remarquer que les interactions médiées par le visiophone rendent observables des pratiques particulières pour adapter la communication au dispositif technique entre les participants. Ces pratiques sont mises en place afin de créer un cadre interactionnel « adéquat » pour une interaction réussie. Il explique que dans le contexte de conversations par visiophone, il est important et essentiel de respecter le champ de la caméra et que les participants veillent à ne pas sortir du cadre imposé par l’image caméra. Lorsqu’un des participants se trouve hors cadre, cela provoque une rupture dans l’engagement de l’interaction des interlocuteurs. Cette référence au cadre caméra est donc un point central dans le déroulement d’une interaction par visiophone à distance et peut amener des perturbations ou des réajustements possibles. De ce fait, l’agencement du cadre participatif demande une organisation précise et particulière de la part des participants eux-mêmes, afin de préserver une réciprocité mutuelle, et une coopération dans l’échange visiophonique, afin de maintenir le dialogue. Nous pouvons donc nous demander lors d’une perturbation qui tend à modifier le cadre participatif : quelles sont les possibilités données aux participants pour maintenir un échange « réussi » entre eux et comment se réajustent-ils suite à une perturbation ? Quels choix vont-ils faire et dans quel ordre ? Y a-t-il un placement séquentiel préféré dans le choix d’action et de réajustement possible ?

Afin de répondre à ces questions, nous allons analyser neuf extraits d’interactions par visiophone. Nous allons essentiellement étudier deux interactions où il émerge des séquences de modifications du cadre participatif à des moments différents. Le premier extrait concerne une interaction entre Vanessa, une conseillère, et M. Mappeau, le patient à son domicile ; la seconde est menée par Leti, une infirmière, et M. Mappeau, toujours depuis son domicile. Il est important de rappeler également l’organisation de l’environnement contextuel de ces deux interactions. Nous avions précisé en introduction que, dans les interactions médiées par visiophone, les modifications du cadre participatif émergeaient principalement depuis l’environnement à distance du patient à son domicile. En effet, son épouse, Ginette, est présente dans l’espace proximal de M. Mappeau, et elle représente une participante potentielle dans l’interaction, malgré le fait qu’elle ne soit pas systématiquement « visible » dans le cadre de la caméra. À certains moments de l’interaction, elle pourrait être qualifiée de bystander (Goffman, 1981), soit une participante qui assiste à la conversation mais qui n'est pas concernée. Du côté de la conseillère ou de l’infirmière, des participants sont également présents dans leur environnement proche, mais ils ne sont pas ratifiés comme locuteur désignés dans l’interaction.

Les modifications de cadre participatif sont traitées de manières différentes selon les participants, qui mettent en place des articulations spécifiques entre le dispositif technique et l’interaction. Comme dans le chapitre précédent, nous avons identifié deux types de réajustement : soit le dispositif technologique s’ajuste au corps de l’interlocuteur grâce à une action de l’opérateur – deux extraits (section 3.1.) ; soit les corps des participants s’ajustent au dispositif technologique – six extraits (section 3.2.). Nous allons également traiter un dernier extrait en tant que single case, puisqu’il s’agit d’une modification du cadre participatif émergeant suite à un problème technique (section 3.3.), c'est-à-dire non initiée de façon verbale ou multimodale par l’un des participants.