Pour reformuler une question de l’infirmière

Dans l’extrait 2-20, l’interaction par visiophone se déroule entre M. Mappeau et Leti, une infirmière du centre hospitalier. Ginette, l’épouse de M. Mappeau, est présente dans l’environnement immédiat du patient, mais elle se situe en dehors du cadrage vidéo de la caméra. Leti ne peut donc pas « voir » cette interlocutrice potentielle, non ratifiée par les participants engagés dans l’interaction. L’extrait montre comment un troisième participant, ici Ginette, peut intervenir dans une conversation par visiophone en cours, tout en restant volontairement « invisible » au regard de son interlocutrice à distance. M. Mappeau est en train de parler de son taux de glycémie en précisant le chiffre exact à différentes heures de la journée (l. 1-2). Leti évalue positivement l’indication donnée par le patient (l. 4) puis M. Mappeau fait le constat d’une différence de « plus d` la moitié\ » (l. 6).

Ext2-_Hlet15_10’54 : Boutin
Ext2-_Hlet15_10’54 : Boutin

Leti formule une première partie de paire adjacente pour connaître le nom du médecin qui surveille le patient « au niveau du diabète » (l. 7-8). Pendant la pause de 0.7 secondes, M. Mappeau penche son buste en avant (cf. im1, l. 9) et initie une séquence de réparation en demandant une reformulation de la question « comment/ » (l. 10). Il rend manifeste une incompréhension dans la requête initiale de Leti. Cette dernière effectue alors une auto-réparation de son tour en énonçant une répétition totale de son tour précédent « quel est l` médecin qui vous suit au niveau du diabète » (l. 12). De nouveau, il s’écoule une pause de 0.7 secondes, qui est traitée comme un point de transition pertinent pour Ginette qui s’auto-sélectionne comme locutrice disponible pour collaborer dans la résolution d’un problème manifeste. En effet, la seconde pause peut être également traitée comme un repairable rendant manifeste une prolongation dans l’incompréhension de l’énoncé produit par l’infirmière.

Cette fois ci, M. Mappeau ne formule pas une demande de réparation ; l’énoncé problématique est alors hétéro-réparé par Ginette, qui à son tour, reformule la question posée par Leti sous la forme d’une répétition totale précédée par un verbe introductif marquant une construction de discours rapporté à l’oral38 (l. 14-15). Simultanément au tour de Ginette, M. Mappeau oriente son regard et son buste en direction de son épouse (cf. im2). De par son changement postural, il rend manifeste la position en dehors du cadre visuel de son interlocutrice tout en référant à ce nouveau participant non reconnu par Leti. En effet, à ce stade de l’interaction, Ginette n’a pas encore été présentée explicitement par M. Mappeau, et de fait, Leti devine la présence de ce troisième participant à travers son intervention auto-initiée et grâce aux réorientations posturales de M. Mappeau vers un « « élément » en dehors du cadrage visuel imposé par le dispositif. Ici, deux observations sont à souligner : d’une part, Ginette ne se déplace pas dans le champ de la caméra pour se rendre visible auprès de Leti ; d’autre part, Leti ne mobilise pas les ressources multimodales disponibles sur l’interface du visiophone (i.e. les boutons directionnels) pour prendre en compte visuellement ce nouvel interlocuteur. De part et d’autre de la situation interactionnelle à distance, les participants ne déploient pas les ressources mises à leur disposition pour « se rendre visible » ou pour « rendre visible » un interlocuteur. Seul M. Mappeau s’ajuste corporellement pour rendre manifeste la présence de son épouse dans son environnement proximal et ainsi ratifier l’énoncé partagé publiquement par cette participante.

M. Mappeau répond à la question de Leti après l’hétéro-réparation de Ginette en chevauchant la fin de son tour. Il réajuste alors une seconde fois sa posture en se replaçant face à l’écran et réoriente son regard en direction de la caméra. Il informe l’infirmière sur le fait qu’aucun réel suivi n’est réalisé et qu’il voit son « médecin traitant tous les trois mois/ » (l. 16-17). Leti prolonge une séquence de questions/réponses en demandant au patient s’il est venu voir « madame boutin:: ou monsieur stémane/ (.) à l’hôpital/ » (l. 18-19). Après une pause de 0.6 secondes, nous observons de nouveau une séquence de réparation initiée par M. Mappeau suite à une incompréhension de la question. Il formule la demande de réparation par une répétition partielle de l’élément à réparer dans la question de Leti « madame euh:: » (l. 21). Cette dernière auto-répare immédiatement son tour en répétant le nom de la personne (l. 22). Un long silence de 1.1 secondes suit la réparation de Leti et, de la même façon que dans la séquence précédente, Ginette s’auto-sélectionne comme prochaine locutrice après avoir identifié la pause comme un élément perturbateur dans l’interaction. Elle produit une hétéro-réparation du tour de Leti en répétant également le nom de la personne « BOUtin » (l. 24) mais en augmentant le volume sur la première syllabe du mot.

M. Mappeau saisit ensuite son tour pour répondre à la question de Leti suite à la réparation de Ginette. Il modifie brièvement sa posture en orientant sa tête et son regard vers Ginette en début de tour (cf. im4) puis il se remet dans sa position initiale sur la fin de son tour (cf. im5, l. 5). Leti valide la réponse du patient (l. 26) et M. Mappeau donne une information supplémentaire à propos de « madame boutin », à savoir qu’elle est venue le voir à son domicile directement (l. 27).

Dans cet extrait, nous avons pu observer une double occurrence d’une séquence de réparation39 organisée interactionnellement de la même façon par les participants, à savoir :

La séquence de réparation est enchâssée dans la paire adjacente principale question/réponse.

Dans l’extrait 2-21, nous sommes toujours dans l’interaction entre M. Mappeau et Leti. Les participants sont en train de converser autour du sujet de la cicatrisation du pied opéré du patient. L’infirmière initie une première partie de paire adjacente évaluant le caractère « superficiel » de la cicatrisation (l. 1). M. Mappeau confirme l’évaluation de Leti (l. 3-5) puis cette dernière poursuit sa séquence de questions/réponses autour de ce topic en demandant si l’état du pied du patient ne l’« handicape pas pour la marche/ » (l. 6).

Ext2-_Hlet15_14’30 : Superficiel
Ext2-_Hlet15_14’30 : Superficiel

Après une longue pause de 1.9 secondes, Ginette s’auto-sélectionne comme locutrice suivante en traitant ce silence comme l’indice d’un élément perturbateur dans l’interaction, à savoir une mauvaise compréhension de la question posée par Leti. Elle produit donc une hétéro-réparation du tour de l’infirmière en formulant une répétition totale de l’énoncé précédée par un verbe introductif « elle te d`mande si ça t` handicape pas pour la marche\ » (l. 8). Simultanément au tour de Ginette, M. Mappeau oriente son regard et sa tête en direction de son épouse (cf. im1). Le patient répond ensuite à la question après une courte pause de 0.4 secondes en répétant partiellement l’information essentielle dans la requête de Leti, c'est-à-dire « pour la marche » (l. 10), suivie d’une réponse dispréférée où il ne dit pas explicitement si son pied l’handicape ou non pour la marche, mais précise qu’il ne « marche pas trop\ » tout simplement. De manière indirecte, l’infirmière comprend que son pied doit l’handicaper malgré tout puisqu’il ne marche plus beaucoup. Simultanément à son tour, M. Mappeau se repositionne face à son écran (cf. im2). L’extrait se termine par une double évaluation de Leti et de M. Mappeau sur le fait de ne pas marcher « beaucoup » (l. 12,14).

Dans cet extrait, nous pouvons observer également une séquence de réparation qui s’organise différemment par rapport aux exemples analysés dans l’extrait précédent :

En effet, nous relevons une absence d’auto-réparation de la part de Leti du fait qu’il ait une absence d’hétéro-initiation d’une demande de réparation formulée par M. Mappeau. Ginette traite la longue pause suivant le tour de Leti comme une forme d’hétéro-initiation indiquant un élément problématique dans la compréhension de la question par son époux. Elle formule alors directement une hétéro-réparation de la question initiale, puis M. Mappeau répond après une courte pause (qui n’est pas présente dans la structure séquentielle de l’extrait précédent).

Notes
38.

Voir partie III, chapitre 2, p161.

39.

Voir Sacks, Schegloff & Jefferson (1977).