Pour évaluer ou commenter une situation

Dans l’extrait 2-22, il s’agit de la suite de l’interaction entre M. Mappeau et Leti analysée dans les cas précédents. À présent, les participants sont en train de discuter du personnel présent à l’hôpital que M. Mappeau connaît également. Ils parlent notamment de « Nina », une coordinatrice, qui quitte la structure, et du fait que, par conséquent, le personnel restant « est plus souvent en service qu’avant\ » (l. 1-3).

Ext2-_Hlet15_19’58 : Voiture
1 2 3 LET et puis là on va être une coordinatrice en MOINS/ puisque nina nuiblon elle quitte le réseau/ .hh alors euh::: c’est vrai qu` de c` fait euh on est plus souvent en service qu’avant\
4   (0.3)
5 MAP euh nina elle doit s` déplacer maint`nant\
6   (0.5)
7 LET nina:\
8   (0.3)
9 MAP xxx déplacer: en [voitu:re/ ]
10 GIN [elle a une voi]tu::re/
11   (0.4)
12 13 LET ah ben elle vous appellera pour vous dire au revoir quand elle partira du réseau/
14   (0.3)
15 MAP mais maint`nant elle va rouler en voiture elle va s’déplacer/
16   (0.3)
17 LET peut-être\ (.) peut-être\

M. Mappeau initie une première paire adjacente pour obtenir une information supplémentaire sur « Nina » à propos d’une augmentation possible de ses déplacements (l. 5). Cette fois-ci, c’est Leti qui initie une séquence de réparation adressée au patient portant sur l’identité de la personne qui serait concernée par la question de M. Mappeau « nina:\ » (l. 7). Après une courte pause de 0.3 secondes, le patient ajoute une information contextuelle pouvant aider l’infirmière à comprendre la pertinence de sa question « xxx déplacer en voitu:re/ » (l. 9). La fin du tour de M. Mappeau est chevauchée par une intervention auto-initiée par Ginette qui mentionne la même information que son époux « elle a une voitu::re/ » (l. 10). Le cadre participatif est brièvement modifié par Ginette qui ne se rend pas visible pour son interlocutrice lorsqu’elle formule une question à valeur d’évaluation adressée à Leti. Les tours de M. Mappeau et Ginette marquent le caractère accountable de l’information diffusée, qui est a priori partagée par l’ensemble des participants. Il semblerait que Nina soit amenée à se déplacer plus souvent en voiture. Après une courte pause de 0.4 secondes, Leti répond de manière totalement dispréférée à la question de M. Mappeau en réagissant sur un tout autre topic, à savoir que « Nina » rappellera le patient pour lui dire au revoir au moment de son départ (l. 12-13). Nous observons un désalignement total au niveau du topic entre Leti et M. Mappeau puisqu’après un court silence, le patient réintroduit le topic concernant les déplacements potentiels de la coordinatrice en voiture (l. 15) sans tenir compte de l’information donnée par Leti lors de son tour précédent. Le tour de M. Mappeau (l. 15) marque une forme d’auto-réparation de son propre tour en raison de l’incompréhension manifeste de Leti dans sa réponse. Finalement, l’infirmière formule une réponse alignée au topic introduit par M. Mappeau tout en restant hésitante « peut-être\ (.) peut-être\ » (l. 17).

L’information introduite par le patient qui semblait être connue et partagée par l’ensemble des participants s’avère être uniquement évidente pour les participants en co-présence, M. Mappeau et Ginette. Par ailleurs, cet extrait montre également une séquence de réparation, cette fois-ci initiée par Leti. Ginette s’auto-sélectionne pour formuler un tour d’hétéro-réparation, comme dans les extraits 2-21 et 2-22, sauf qu’ici, elle reformule une question du patient qui lui permet également de commenter le topic de la conversation entre les participants.

Avec l’extrait 2-23, nous analysons un dernier un extrait tiré de l’interaction entre M. Mappeau et Vanessa, la conseillère du centre d’écoute HumPrior. Nous sommes à la fin de l’échange entre les participants qui s’orientent vers la clôture de l’appel. Avant de passer à la phase de salutations, M. Mappeau termine son tour sur le topic en cours (l. 1-3). Après une micro pause, Ginette s’auto-sélectionne comme locutrice suivante en insérant une première partie de paire adjacente adressée à son époux « c’est où/ c’est à pery hein/ » (l. 4).

Ext2-_Hvan14_06’57 : pery
1 2 3 MAP c’est: nettoyer l` pied à la bétadine et puis (0.4) mettre un peu d` pommade euh: (1.1) puis à mett` de l’eau
(.)
4 GIN c’est où/ c’est à pery hein/
5 MAP oui
6   £(0.8) £
  mapG £tourne tête vers GIN et revient face écran£
7 8 VAN bon (0.5) ben écouter euh::: ça m’a fait plaisir d` vous avoir euh:: (.) en visio/ monsieur mappeau

M. Mappeau répond à Ginette par une ratification minimale « oui » (l. 5) et pendant la pause de 0.8 secondes suivante, il oriente brièvement son regard et sa tête en direction de son épouse. Il revient ensuite dans sa position initiale, c'est-à-dire face à l’écran (l. 6). Vanessa initie enfin la clôture de l’appel par une évaluation positive sur le moment passé à interagir avec le patient (l. 7-8).

Ici, le bref échange entre Ginette et M. Mappeau (l. 4-5) constitue une modification du cadre participatif où une locutrice extérieure de l’interaction principale est intervenue sans aucune sollicitation de la part des co-participants pour formuler une question à valeur d’évaluation dont le contenu n’a pas de rapport avec le topic traité par les participants ratifiés. Le statut de Vanessa comme co-participante est momentanément suspendu, puisque la réponse de M. Mappeau est directement adressée à Ginette. Il modifie également sa posture pour prendre en compte la remarque de son interlocutrice, ce qui renforce la rupture brève de l’interaction entre lui et Vanessa. Ginette reste hors du cadre visuel de l’interaction principale et la conseillère ne tient pas compte de l’échange minimal entre les deux participants en co-présence ; en effet, elle ne thématise pas cette séquence dans les tours suivants mais passe directement à une nouvelle phase, à savoir la clôture de l’appel.

L’analyse de ces six extraits a permis de montrer les ajustements possibles autour du dispositif technique dans les interactions médiées par visiophone au cours de séquences de modifications du cadre participatif. Nous avons déterminé trois fonctions favorisant l’émergence de modifications du cadre participatif : i) évaluer ou commenter une situation ; ii) saluer la conseillère ; et iii) reformuler une question de l’infirmière. La première fonction admet à la fois que le dispositif soit ajusté par la conseillère et que des ajustements de la participante soient réalisés par rapport au dispositif lui-même ; alors que la seconde et la troisième fonction s’organisent interactionnellement de manière distante et « invisible », c'est-à-dire qu’aucun ajustement de la part des participants n’est opéré sur le dispositif pour tenir compte de l’ensemble des locuteurs lorsqu’ils sont engagés dans l’interaction. Dans ces cas là, le cadrage caméra imposé par le système par visiophone n’est plus déterminant dans l’identification des participants ratifiés ou non dans l’interaction. Ce n’est pas parce qu’un participant reste « invisible » par rapport au cadrage caméra qu’il est désigné comme en dehors de l’interaction, et que son statut de participant reconnu et ratifié est invalidé.

Nous avons également montré l’émergence de séquences de réparation inhérentes à l’émergence de modifications du cadre participatif, où la participante qui s’auto-sélectionne pour intervenir durant l’interaction principale se positionne dans l’activité de « souffleur » en réitérant la question de l’infirmière suivant une incompréhension de la part du patient. De manière générale, les interventions modifiant le cadre participatif n’ont pas pour objectif de garder le tour mais uniquement de venir en aide dans une séquence d’explication, ou d’évaluer brièvement une situation ou un topic en cours dans l’interaction principale. Le caractère bref de ces énoncés peut justifier le choix des participants de ne pas s’ajuster au dispositif en ne se rendant pas « visibles » ou bien en ne mobilisant pas les ressources multimodales disponibles à travers l’interface du visiophone du coté des professionnels.

Dans une dernière section, nous allons analyser un extrait tiré du corpus HumPrior qui présente une modification du cadre participatif provoquée par l’émergence d’un problème technique. La séquence de modification du cadre participatif n’est donc pas initiée par l’un des participants mais par l’un des artefacts interactionnels essentiels dans la communication par visiophone, à savoir l’écran et sa mise en veille.