Problème de code ou de carte

Dans l’extrait 3-11, M. Solal appelle le service LocBike pour un problème de reconnaissance de son code secret au moment de louer un vélo. L’opératrice est en train de finir de traiter un autre dossier pendant la phase de formulation du problème par le client.

Ext3-_L25-15_20’35 : Code incorrect
1 2 SOL bonjou:r mad`moiselle: je vous appelle parce que:: j'ai une carte locbike\
3   (0.4)
4 MAT o[ui\]
5 6 SOL [et ] euh:: (..) quand je passe euh: (.) ça met: ça me:: m'explique euh:: ((tousse)) (0.7) [euh:: ]
7 MAT [((tousse))] ((tousse))
8 9 SOL (..) code incorrect\ (0.9) je vous donne mon numéro: mon identifiant/
10 MAT oui s'il vous plaît/

M. Solal initie la phase de formulation du problème en précisant qu’il a une carte LocBike puis une courte pause de 0.4 secondes peut être exploitée par Mathilde comme un point de transition pertinent mais à ce stade de l’énoncé du problème, elle ne dispose pas d’informations suffisantes pour passer à la phase suivante. Elle réalise un simple continuateur « oui » (l. 4) qui est produit en chevauchement sur la suite du tour de M. Solal (l. 5). Il décrit l’action précédant le discours rapporté sur l’utilisation de la borne : « quand je passe euh: (.) » (l. 5). Il rapporte ensuite le contenu du message écrit sur l’écran en se focalisant sur l’objet ‘écran’ par le pronom démonstratif sujet « ça » suivi des verbes introductifs « mettre » puis « expliquer » au présent.

Le client a un moment d’hésitation dans la façon de rapporter le contenu exact du message inscrit sur l’écran marqué par la répétition des « euh:: » (l. 6) intercalé par une pause de 0.7 secondes. Mathilde tousse en chevauchement de la fin du tour de M. Solal (l. 7) : nous supposons que le tour suivant du client (l. 8) est temporellement ajusté par celui-ci, d’une part, en fonction de la fin du tour de l’opératrice qui est potentiellement perturbateur pour la compréhension auditive du message écrit sur l’écran ; d’autre part, pour se laisser encore du temps dans le choix du format adéquat pour rapporter le contenu du message écrit. Le message de l’écran est donc produit en début de tour de manière directe « code incorrect », sans l’utilisation d’un sujet et d’un verbe comme nous l’avons constaté dans les extraits précédents. Après une erreur de saisie du code secret ou si l’abonnement du client n’a pas encore été traité informatiquement, le message affiché sur l’écran est directement « Erreur de code, veuillez recommencer. Merci ». Le format du discours rapporté par le client est donc proche du format initial proposé sur l’écran.

Une longue pause de 0.9 secondes s’écoule puis M. Solal initie la phase suivante de demande d’identification en proposant lui-même de donner son numéro d’identifiant (l. 8-9). Mathilde valide la proposition du client (l. 10). Au cours de l’échange, l’opératrice diagnostique que le dossier de réinscription de ce client n’a pas encore traité. Elle lui explique que le délai de traitement d’une demande d’abonnement est de quinze jours minimum. L’échange se déroule sans aucune intervention de l’opératrice sur l’ordinateur. Le problème est ici reconnu par Mathilde comme typique et comme ne nécessitant pas une intervention particulière sur le dossier de ce client-là.

L’extrait 3-12 concerne un client qui appelle le service LocBike pour un problème de carte non reconnue au moment de louer un vélo. Il s’agira en fait d’une carte défectueuse et l’opérateur va proposer de renvoyer une nouvelle carte.

Ext3-_L26-17_03’46 : Ça vous dit quoi
1 2 LOI et euh: (.) et j'ai essayé de: me resservir euh cette semaine là/
3 ADR oui
4 LOI et euh:: elle a pas marché\
5 (.)
6 ADR ça vous dit quoi/
7   (0.9)
8 LOI comment/
9 ADR qu'est c` que ça vous dit sur les bornes/
10   (0.9)
11 LOI ben ça ça: rien/ elle euh reconnaît pas ma carte quoi\
12 ADR d'accord\ j` vais prendre le numéro d'identifiant s'il vous plaît\

M. Loison formule la raison de son appel en expliquant que sa carte ne « marche » pas lorsqu’il essaye de louer un vélo (l. 1,4). Après une micro pause, Adrien demande au client de « dire » le message affiché sur l’écran de la borne au moment de louer un vélo : « ça vous dit quoi/ » (l. 6). Il utilise le pronom démonstratif sujet « ça » pour référer à l’objet ‘écran’ suivit du verbe « dire ». Le client initie une demande de réparation avec l’adverbe interrogatif « comment/ » (l. 8) et l’opérateur reformule sa question différemment « qu’est c` que ça vous dit sur les bornes/ » (l. 9). Dans sa reformulation, nous retrouvons le pronom démonstratif sujet « ça » suivit du verbe « dire » puis il ajoute un complément d’objet de lieu « sur les bornes » pour préciser l’objet à quoi il réfère dans sa question. Ici, la référence à la source est introduite par le pronom démonstratif puis associée explicitement à un élément circonstanciel. Cependant, l’utilisation du pluriel « sur les bornes » par rapport au pronom singulier « ça » rend l’identification vague. L’opérateur énonce alors une explicitation qui lui permet de ne pas nommer précisément la source.

La réponse de M. Loison est précédée d’une longue pause de 0.9 secondes et elle commence par une réutilisation du pronom démonstratif sujet « ça » (l. 11) que l’opérateur avait introduit dans sa question suivie du pronom « rien ». À la différence du tour d’Adrien, le client ne réemploie pas le verbe « dire » : l’énoncé « ça dit rien » aurait été acceptable mais ce n’est pas la réponse proposée ici. Si nous observons le contenu de la fin de la réponse, M. Loison précise que la borne – « elle » – ne reconnait pas sa carte (l. 11). Alors que l’opérateur utilise le pluriel, le client réalise une référence au singulier et au féminin, ce qui est choix d’énonciation par les participants assez rare. Rétrospectivement, nous pouvons admettre que l’absence du verbe « dire » dans la réponse du client correspond à l’absence de message écrit sur la borne. L’extrait se termine sur la validation de la réponse par l’opérateur et la demande d’identification.

Nous avons analysé dans cette troisième section deux extraits concernant un problème de code ou de carte dysfonctionnant. L’un des discours écrits retransmis à l’oral est réalisé par le client, l’autre par l’opérateur. Le seul point commun entre les deux extraits est l’utilisation du pronom démonstratif sujet « ça » comme marque de référence à l’objet ‘écran’ de la borne. Les verbes introductifs sont « dire », « mettre » et « expliquer » au présent, qui ne sont pas suivis du subordonnant « que ». Lorsque c’est le client qui retransmet le contenu du message, il hésite sur le verbe introductif à utiliser entre « mettre » et « expliquer ». L’absence de subordonnant marquerait une forme de discours rapporté direct54, qui aurait pour effet d’introduire un contenu du message dans son format d’origine : « code incorrect ». Enfin, dans l’extrait où le passage de discours est retransmis par l’opérateur, nous observons en réalité une absence du contenu du message retransmis puisque l’opérateur formule une question ouverte « ça vous dit quoi/ » et « qu’est-c` que ça vous dit sur les bornes/ » qui attend une réponse avec une construction de type « ça me dit » suivit du contenu du message rapporté ou reformulé. Or, le client réalise une réponse dispréférée avec la reprise du pronom démonstratif sujet « ça » qui renvoie à l’écran de la borne puis le pronom « rien ». Nous comprenons rétrospectivement que dans cet extrait, aucun contenu de message à proprement dit n’est à rapporter ou à reformuler.

À ce stade de l’analyse, nous avons recensé dans la phase d’ouverture d’appel l’utilisation de quatre pronoms « il » (x3), « ils » (x2), « on » (x4) et « ça » (x4). Les références sont principalement produites par les clients (dix occurrences contre trois par les opérateurs). Les participants ont employé cinq verbes « dire » (x7), « demander » (x3), « mettre » « expliquer » et « indiquer » (x1). Cependant, les opérateurs ont utilisé uniquement le verbe « dire » associé aux pronoms « il ou « ça ». Nous avons observé un cas particulier où le mot borne est thématisé explicitement au pluriel par l’opérateur « sur les bornes » (ext3-12), puis qui est repris par le client dans un discours retransmis à l’oral avec l’utilisation du pronom personnel « elle » au singulier.

Nous avons distingué trois structures syntaxiques :

a) (Quand) + sujet… + Réf. Sujet écran +Verbe

b) Si… + Réf. Sujet écran +Verbe… + (alors)

c) Réf. Sujet écran +Verbe

La première structure s’inscrit plutôt dans une activité de reconstruction des phases d’utilisation de la borne par le client tandis que la seconde est en lien avec une activité de conseil prospectif. Enfin, la troisième structure ne s’appuie pas sur un environnement syntaxique aussi formel que dans les deux premières. Il s’agit d’un format direct où la formulation du problème est directement énoncée avec le passage de discours écrit retransmis à l’oral par le client, ou lorsque l’opérateur pose directement une question au client sur le contenu du message affiché sur l’écran « ça vous dit quoi » (ext3-12). Ici, aucune description d’actions passées n’est observée avant l’affichage du message sur l’écran de la borne. La réponse du client peut reprendre un format de discours reformulé/rapporté et l’énoncé fait partie de la formulation de la raison de l’appel.

Nous n’avons pas remarqué une organisation temporelle très marquée des passages de discours retransmis à l’oral ; les participants utilisent aussi bien le passé que le présent pour introduire le contenu des messages écrits sur l’écran avec une légère majorité pour l’emploi du présent (huit occurrences contre cinq au passé). Le message lui-même est formulé au passé ou au présent et nous relevons une majorité de cas avec un emploi au présent (six occurrences contre deux au passé). Le format du contenu des messages des trois autres extraits55 consiste en un verbe à l’infinitif (deux exemples), et un nom commun (un exemple). L’énonciation au présent des passages de discours retransmis à l’oral lors de la formulation du problème ne nous permet pas d’attester de la présence réelle du client devant l’écran de la borne au moment où il reformule/rapporte le contenu du message écrit sur la borne. Nous avons un seul extrait où le client donne une indication géographique « je suis devant la station » (ext3-7) et nous pouvons alors supposer qu’il est en train de lire le contenu du message écrit sur l’écran de la borne.

Enfin, nous avons dégagé trois fonctions possibles de l’usage de références à l’écran : i) Attester de l’authenticité des informations ; ii) Désengager le client dans toutes responsabilité du vélo toujours en location ; iii) Faire dire une information en orientant le client vers le choix de la source à citer. Les participants peuvent associer deux fonctions dans l’énonciation d’une référence à l’écran. L’utilisation du discours rapporté ou reformulé permet aux clients de formuler la raison de l’appel de manière concise, en s’appuyant sur une source formelle. Cela leur permet ainsi d’indiquer implicitement que leur activité de louer un nouveau vélo est contrainte par le système (i.e. le message affichée sur l’écran). Du point de vue des opérateurs, le fait qu’ils aient recours également à des procédés de références à l’écran exhibe le statut institutionnel de l’objet.

Notes
54.

Voir Clift & Holt (2007).

55.

Deux exemples sur les treize n’ont pas de contenu du message écrit sur l’écran puisqu’il s’agit d’une question ouverte posée par un opérateur.