Problème de vélo en location

Dans l’extrait 3-14, M. Paleaud rappelle le service LocBike pour un problème de vélo mal raccroché. Nous observons cependant que durant les vingt-cinq premières secondes de l’enregistrement, Mathilde est en train de demander le numéro d’identifiant du client, puis elle l’écrit sur un papier avant de le saisir sur le clavier. Nous supposons que le client a déjà formulé une partie de la raison de son appel avant la demande d’identification, comme c’est souvent la procédure dans les appels au service LocBike. L’extrait 3-14 commence au moment de la saisie du numéro d’identifiant dans le formulaire de recherche.

Ext3-_L24-15_00’00’25 : Célestins
1 PAL §et euh:: hier soir encore j'ai ré- j'ai essayé§ et il était
  matG §saisit num. ID--------------------------------§
2   pas rev`nu
3   §(1.3)
  matG §lance recherche compte client
4 MAT ça vous bloquait toujours la carte/
5   (0.8)
6 PAL euh #oui oui la la machine disait qu'il fallait l` reposer
  ecr #aff. compte client
7   avant d'en prendre un §autre
  matG §clic 3ème onglet mail LocBike
    (..)
8 MAT d'ac[cord\ ]
9 PAL [quand je] présentais la carte\
10   (.)
11 12 MAT alors\ effectiv`ment j'ai toujours un vélo en cou:rs (0.5) j` vais regarder si ça a été noté le jour de votre appel:/
13   (1.2)
14 PAL §c'est l` dimanche euh: §ben non ben dimanche non vous
  matG §clic 2ème onglet compte client §clic course vélo client
15   répondiez pas c'était lundi matin\
16   (0.4)
17 MAT §oui\
  matG §clic 3ème onglet mail LocBike
18   (0.3)
19 20 PAL à: huit heure et demie hein j'ai app`lé vraiment à la première heure\
21 MAT oui (..) §.hh #euh:::\\ (0.9) ouais\ (0.3)
  matG §clic appel client
  ecr #aff. notes sur appel
22 23   d'accord donc euh vous y- quand vous y êtes allé hein/ vous avez bien vu qu` le vélo n'ét§ait plus là\
  matG §clic 2ème onglet compte client
24   (.)
25 26 PAL .hh ben en fait je j` suis allé à un aut- une autre bOrne le sOIr euh lui lui j` l'ai pris euh:: §+.hh je j` pen- j` les ai
  matR +vers classeur-->
  matG §pose main feuille gauche
27   §posé aux célestins vers midi:/ §je:::\ et le soir vers euh::
  matG §pose main feuille droite------§saisie feuille devant-->
28   +l'opéra j` voulais en prendre un §et là on m'a dit ça marche
  matR
matG
+vers écran-->
----------------------------------§sort feuille du plastique-->
29   pas donc j` suis revenu aux célestins il y était plus\

M. Paleaud vient de donner son numéro d’identifiant, et pendant que Mathilde est en train de le saisir sur le clavier, il continue la formulation de son problème en reconstituant les actions réalisées pour attester que le problème est toujours actuel (l. 1-2). L’opératrice lance la recherche du dossier client après la fin du tour de M. Paleaud, au moment d’une longue pause de 1.3 secondes. Elle demande ensuite la confirmation au client que sa carte est toujours bloquée lors d’une tentative de location de vélo (l. 4). Il confirme la demande de l’opératrice en rapportant le contenu du message écrit sur l’écran de la borne (l. 6-7). La référence à l’objet ‘écran’ est marquée par le nom commun « la machine » suivi du verbe introductif « dire » au passé, ce qui représente un rare cas d’explicitation de l’objet référant. Le contenu du message précise de « reposer » le vélo en cours « avant d’en prendre un autre ». Ici, le client utilise la métonymie comme figure de style pour établir une relation de contenant (la machine) à contenu (l’écran). Durant le passage de discours rapporté par le client, nous observons l’affichage du compte client sur l’écran de l’opératrice, puis à la fin du tour de M. Paleaud, Mathilde clique sur le troisième onglet de son écran correspondant aux courriels reçus à LocBike.

Une micro pause précède la validation de la réponse du client par l’opératrice. Le tour de Mathilde est chevauché par une expansion du tour de M. Paleaud qui précise l’action réalisée pour obtenir le message rapporté sur l’écran de la borne « quand je présentais la carte » (l. 9). Nous remarquons ici une inversion dans l’organisation de la structure de la séquence de discours rapporté. Nous avions observé dans les extraits précédents au moment de l’ouverture de l’appel que la reconstruction des phases d’utilisation de la borne par le client avait une structure de type « quand j’ai… il + verbe introductif ». Dans cet extrait, nous constatons que le client formule dans un premier temps le discours rapporté suivi de la reconstitution de la phase d’utilisation de la borne « sujet + verbe introductif… quand je ». Cette inversion de la structure syntaxique peut s’expliquer par l’action qui précède la séquence de discours rapporté où l’opératrice est en train de réaliser une activité de diagnostic en posant des questions au client, ce qui n’est pas le cas dans la phase d’ouverture d’appel.

À présent, Mathilde a certaines informations concrètes à sa disposition et peut notifier au client l’état de son compte, ce qu’elle fait à la ligne 11 après une micro pause « effectiv`ment j'ai toujours un vélo en cou:rs ». Le tour de l’opératrice a un format de discours écrit retransmis à l’oral puisqu’elle procède à une lecture publique du contenu écrit sur son écran. Elle précise au client qu’elle va vérifier si cette information a été notée lors de son appel précédent (l. 12). Après une longue pause de 1.2 secondes, M. Paleaud initie une collaboration avec l’opératrice en apportant des informations sur le jour de l’appel précédent. Le tour de Mathilde (l. 12) a pour objectif d’informer le client de l’action en train de se faire et que cette action peut avoir pour conséquence de suspendre brièvement l’interaction entre les participants. Il ne s’agit pas d’une demande explicite de la part de l’opératrice pour connaitre le jour où le client a passé l’appel. Cependant, M. Paleaud saisit le tour de Mathilde comme une invitation à collaborer dans l’établissement du diagnostic et s’auto-sélectionne pour apporter des précisions sur le jour de son appel, ce qu’il fait en lignes 14 et 15. Pendant le tour du client, Mathilde revient sur le deuxième onglet de la fenêtre correspondant à la page du compte client, puis clique sur l’icône représentant l’historique des courses du client. Après une courte pause (l. 16), Mathilde valide les informations données par le client par un « oui » qui montre ainsi qu’elle tient compte de la collaboration de M. Paleaud dans l’activité de diagnostic.

Simultanément à la validation du tour par Mathilde, elle clique de nouveau sur le troisième onglet correspondant aux courriels reçus à LocBike. Après une courte pause de 0.3 secondes, le client continue de collaborer dans l’activité de diagnostic de l’opératrice et donne des informations supplémentaires sur l’heure de son premier appel (l. 19-20). Mathilde valide de nouveau les informations apportées par M. Paleaud par un « oui » (l. 21) et initie la phase d’interprétation des données écrites sur son écran par une marque d’hésitation « .hh euh:::\\ ». En début de tour d’hésitation, elle clique en parallèle sur l’indication de l’appel client pour activer le contenu des notes saisies lors du premier appel qui s’affiche rapidement sur l’écran. Pendant une longue pause de 0.9 secondes, elle lit la note et l’intègre dans son diagnostic en rendant manifeste sa compréhension « ouais\ (0.3) d'accord » (l. 21-22). Elle poursuit son évaluation de la situation en posant une question supplémentaire (l. 22-23) et à la fin de son tour, elle clique sur le deuxième onglet de l’écran pour revenir sur le compte du client. Entre les lignes 25 et 29, M. Paleaud répond à la question de Mathilde en reconstituant les actions qu’il a faites avant de voir que le vélo n’était plus sur la borne indiquée. Dans la réponse du client, nous observons un passage où il rapporte le contenu d’un message écrit sur l’écran de la borne sur laquelle il a essayé de louer un vélo (l. 28-29). La référence à l’objet ‘écran’ est marquée par l’utilisation du pronom personnel singulier « on » suivi du verbe introductif au passé « dire ». Le contenu du message écrit est produit au présent (l. 28).

Durant la réponse du client, l’opératrice effectue plusieurs actions multimodales successives en dehors de l’activité sur l’écran. Ces actions marquent la réalisation d’une activité en parallèle de traitement d’un dossier papier d’un autre client. L’activité de l’opératrice dure jusqu’à la fin et au-delà de l’extrait présenté. Il faut souligner que l’interaction entre les participants après cet extrait porte sur des explications apportées par l’opératrice où elle précise qu’en cas de perte ou de détérioration du vélo, l’encaissement de la caution est engagée, et l’obligation de déposer une main courante à la gendarmerie pour déclarer la perte du vélo. Rétrospectivement, nous pouvons analyser le tour de Mathilde en ligne 22 comme l’établissement d’un diagnostic confirmé lorsqu’elle demande une confirmation à M. Paleaud sur le fait que son vélo n’était plus présent sur la station. À cet instant, elle projette déjà l’état du vélo comme perdu, ou volé, puisqu’après sa question et pendant la réponse du client, elle reprend un dossier parallèle qui n’a rien à voir avec le client en cours. Cela est intéressant du point de vue de l’asymétrie : pour l’opératrice, le compte du client ne peut pas être débloqué à partir du moment où il a un vélo potentiellement perdu ou volé. Elle traite le cas comme déjà clos, alors qu’il ne l’est pas pour le client. Elle poursuit l’interaction avec lui pour expliquer les étapes suivantes suite au diagnostic du vélo perdu et elle peut gérer en parallèle d’autre dossier client puisque le traitement du dossier client actuel est mis en attente de la réalisation des étapes suivantes (main courante, encaissement de la caution, etc.).

Dans l’extrait 3-15, M. Guérin rappelle le service LocBike pour un problème de vélo mal raccroché. Lors de son premier appel, l’opératrice avait demandé au client de retourner sur la station pour vérifier la bornette sur laquelle il avait été déposé. Ici, le début de l’interaction avec Mathilde dure 3’15 minutes jusqu’au moment de l’extrait présenté et correspond à un résumé de l’appel précédent, puis à la vérification de la bornette en question entre le numéro que propose le client et l’état réel sur la base informatique qui gère les stations LocBike. L’opératrice demande ensuite à son interlocuteur d’attendre, afin de se renseigner auprès de sa collègue, celle qui avait pris le premier appel avec le client. Cette dernière étant absente, Mathilde revient et reprend l’interaction avec le client pour expliquer qu’elle ne peut pas confirmer le numéro de la bornette sur lequel a été déposé le vélo. Simultanément à son explication, elle continue d’effectuer des vérifications et grâce au suivi du numéro du vélo, elle obtient l’information qu’un technicien a déposé le vélo du client le lendemain sur une autre station. L’opératrice annonce alors qu’elle peut annuler la facture du client puisque le vélo a été retrouvé et reconnu en justifiant cet acte comme exceptionnel car c’est la première fois que cela arrive au client. Ce dernier reconfirme l’information. L’interaction se termine par Mathilde qui montre un désaccord quant à la justification du client et contre argumente en expliquant que si tous les clients fonctionnaient comme lui, aucun vélo ne serait disponible sur les stations. L’extrait 3-15 commence au tour du client en réponse au contre argument de Mathilde.

Ext3-_L26-13_32’39 : Rentrer à pied
1 GUE §[je sais je sais bien mais ça ça m’embêté] autant autant qu`&
2 MAT [.h hein\ (.) euh::: parce que ]
  matG §recrédite compte client-->
3 GUE &vous de d` l'avoir§ #mal raccroché parce que après quand j'ai
matG -------------------§
  ecr #aff. crédit client-->
4 5   voulu repartir à une heure et demie du matin\ (0.3) que j'ai passé ma carte i` dit vous avez déjà un vélo en [utilisation\]
6 7 MAT [oui parce ] qu'il était [mal raccroché/ ]
8 9 GUE [et euh:: et j'ai été] obligé d` rentrer à pied donc euh:: j'étais pas spécial`ment content non plus quoi
10 11 MAT oui tout à fait mais bon nous si on s` fait voler un: un vélo [(bon ben) c'est normal que vous] rentriez à pied en même&
12 GUE [nan ça c'est c'est ]
13 MAT &temps\

Au début de l’extrait, nous observons une prise de tour simultanée des deux participants (l. 1-2) : d’une part, le client répond au contre-argument de l’opératrice en montrant son accord « je sais je sais bien » et il ajoute une nouvelle justification qui vient nuancer son accord avec l’emploi du « mais » ; d’autre part, l’opératrice prolonge son tour de parole précédent mais elle abandonne son tour après que le client commence sa nouvelle justification. Simultanément aux tours chevauchés de M. Guérin et de Mathilde, cette dernière recrédite le compte du client sur la base informatique.

La justification supplémentaire du client continue sur plusieurs tours de parole (l. 1-9), et se décompose en quatre arguments : i) le fait que le client soit « embêté » d’avoir mal raccroché son vélo (l. 1,3), ii) la reconstruction des phases d’utilisation de la borne (l. 4-5), iii) le discours rapporté (l. 5), iv) la conséquence, à savoir être mécontent de rentrer à pied (l. 8-9). Concernant la séquence du discours rapporté, nous retrouvons la pré-séquence de reconstruction des phases d’utilisation de la borne que nous avions développé dans l’étape de la formulation du problème en ouverture d’appel « quand j’aiil + dire ». Ici, la reconstruction des phases est au passé et nous avons une indication temporelle permettant d’en situer le moment « à une heure et demie du matin » (l. 4). Cependant, l’énoncé rapporté du contenu du message écrit sur la borne est formulé au présent « i` dit vous avez déjà un vélo en utilisation » (l. 5). La différence entre l’emploi d’un passé en première partie de tour suivi d’un présent dans le discours écrit retransmis à l’oral tend à nous faire privilégier l’analyse de la seconde partie de tour comme un discours rapporté total où le client reprend le contenu du message affiché sur l’écran dont il a pris connaissance quelques heures plus tôt.

Aux lignes 6-7, Mathilde s’auto-sélectionne et intervient en chevauchement avant la fin du tour du client pour lui expliquer la raison du message écrit sur la borne, la raison étant « parce qu’il était mal raccroché ». Le tour de M. Guérin chevauché par le tour de l’opératrice est syntaxiquement complet et pourrait laisser place au locuteur suivant, ici Mathilde, mais le client montre qu’il n’a pas terminé son explication en reprenant son tour de parole en chevauchement sur la fin du tour de l’opératrice (l. 8). Il exprime alors que la conséquence d’avoir mal raccroché son vélo a été de devoir rentrer à pied.

L’extrait se termine par une réponse de Mathilde qui ajoute à son tour une justification qui ancre son point de vue par rapport à celui du client « si on s` fait voler un: vélo » (l. 10). Elle formule ensuite une évaluation (l. 11) en réponse au tour du client (l. 8-9) qui vient contredire son argument « c’est normal que vous rentriez à pied ». Le client s’auto-sélectionne (l. 12) et intervient en chevauchement sur le tour de Mathilde en réponse au début du tour de Mathilde (l. 10).

Nous avons observé ici une nouvelle asymétrie où le message affiché sur l’écran est interprété différemment par l’opératrice et le client. Il s’agit d’un message général qui est généré automatiquement dès qu’il y a un problème. D’une part, le client le reçoit personnellement comme une accusation, et le renvoyant à un fait précis qui ne correspond pas au vécu de l’usager (i.e. il n’a pas de vélo en cours de location). D’autre part, l’opératrice considère le fait d’avoir mal raccroché le vélo comme aussi grave que le fait de l’avoir perdu. La lecture et l’interprétation du message est donc différente selon les participants, ce qui provoquent des conséquences morales différentes : le client est ici scandalisé (i.e. client victime), et l’opératrice lui reproche son acte (i.e. client co-responsable)

L’analyse de ces deux extraits permet de déterminer une seconde fonction à l’utilisation de discours écrit retransmis à l’oral. Ces éléments de discours reformulés ne sont pas initiés en ouverture d’appel par le client lors de la formulation du problème mais ils peuvent émerger lors d’une activité de diagnostic prolongée par l’opératrice (ext3-14) ou lors d’une pré-clôture de l’appel (ext3-15). Ici, le point commun entre les trois occurrences de discours reformulés à l’oral est qu’elles sont chacune précédées par une question ou un commentaire de l’opératrice sur le comportement ou les vérifications opérées par le client lors du dépôt du vélo concerné. Après une réponse positive à la requête, le client utilise ce type de procédé pour marquer un désir de se désengager de toute responsabilité dans le problème de vélo toujours indiqué en location.