Problème d’interprétation de message

Dans ces quatre extraits, la définition de l’artefact interactionnel est différente par rapport à celle présentée par de Fornel56 en introduction. L’auteur montrait que le maniement de la caméra avait un effet sur l’organisation de l’action. Ici, l’artefact n’est pas directement manié mais il est évoqué par le discours rapporté : il est un objet du discours mais à qui les participants « font dire et faire » des choses.

Dans l’extrait 3-17, M. Durand appelle le service LocBike pour un problème de vélo toujours en cours de location. L’interaction précédant le début de l’extrait présenté dure 1:12 minutes. M. Durand y explique les faits, en précisant qu’après avoir déposé un vélo, il en avait pris un second le lendemain et que l’écran indiquait un vélo non enregistré. Le client précise qu’il avait pu faire son déplacement et qu’au moment de reposer le second vélo, l’écran affichait toujours le message d’un vélo non enregistré. Après la phase de formulation du problème, Mathilde passe à la phase d’identification, puis elle vérifie l’état du compte client dans la base de données. De son point de vue, aucun problème n’est observé sur l’abonnement du client. L’extrait commence au moment où l’opératrice notifie au client qu’il n’y aucun souci sur sa carte (l. 1). Ici, en parallèle de l’interaction avec le client, l’opératrice n’effectue aucune action multimodale57.

Ext3-_L24-15_41’04 : Attention
1 2 MAT euh moi j'ai pas eu d` soucis sur votre carte/ (1.5) c'est c'est quoi [qui vous] posait problème en fait exactement\
3 DUR [bon ]
4   (..)
5 DUR ben en fait là je passe ma carte devant/
6 MAT oui/=
7 DUR =je: dis que je veux retirer un vélo/
8 MAT oui/
9 DUR et avant qu'il m'affiche les: numéros des vélos à re[tirer/]
10 MAT [oui ]
11   (0.2)
12 DUR [il me] met/ X attention vous avez un vél[o: ] qui est en en&
13 MAT [oui/ ] [nan]
14 DUR &cours/
15 16 17 18 MAT c'est pas c` qu’i` vous dit\ i` vous dit vou:s êtes responsable d'un d'un vélo\ quand vous les louez vous êtes responsable des vélos\ c'est c` qu’i` vous dit\ (0.3) et vous l'aurez à chaque fois ça::/
19   (0.8)
20 DUR ah [ben c'est qu` c'est nouveau\]
21 MAT [c'est un nouveau s- ]
22   (0.1)
23 MAT c'est un nou[veau message/ ]
24 DUR [c'est nouveau alors/]
25   (..)
26 27 28 MAT oui c'est nouveau parce qu'en fait les gens raccrochent mal leur vélo/ et qu'on s'en est fait voler plein\ (0.3) donc c'est juste un message d'avertiss`ment/

Une longue pause de 1.5 secondes suit la notification de non problème de l’opératrice au client, avant qu’elle ne lui demande des précisions sur le problème exact (l. 2). En chevauchant le début du tour de Mathilde, M. Durand répond (l. 3) que sa carte n’a aucun souci. Après une micro pause, le client reprend à partir de la ligne 5 l’explication de son problème en reconstruisant les phases d’utilisation de la borne avant l’affichage du message indiquant un vélo en cours de location. Entre chaque tour du client, l’opératrice valide son intervention par un « oui » continuateur jusqu’à qu’elle détecte le moment où le client fait une mauvaise interprétation du message écrit sur l’écran. Cette mauvaise interprétation révèle ce que nous avons analysé précédemment, à savoir le système « moral » présent à travers les échanges sur les responsabilités du client qui sont sous-jacentes lors de l’utilisation d’un vélo.

À cet instant, l’opératrice formule clairement un « non » (l. 13) pour notifier son désaccord. La réfutation de Mathilde intervient durant le passage de discours écrit retransmis à l’oral où M. Durand rapporte le contenu du message affiché sur l’écran de la borne. Il rend l’objet ‘écran’ pertinent par le pronom personnel singulier « il » suivit du verbe introductif « mettre » au présent. Le contenu du message est formulé au présent dans un format de discours rapporté « vous avez un vélo qui est en en cours » (l. 12-13).

Mathilde réalise un long tour d’explication du contenu réel du message écrit sur l’écran de la borne LocBike (l. 15-18), où elle produit également des formes de discours rapporté en référant à l’objet ‘écran’ par le pronom personnel singulier « il » suivi du verbe introductif « dire » au présent. Dans un première partie de tour, elle réfute l’interprétation du client « c’est pas c` qu’i` vous dit\ » (l. 15). Ensuite, elle donne le contenu du message tel qu’il doit être compris « i` vous dit vou:s êtes responsable d'un d'un vélo\ » (l. 15-16). Elle poursuit son tour en reformulant le contenu du message d’une autre manière et précise qu’en cas de location de vélos, le client en est responsable (l. 16-17). Elle conclut son tour d’explication par une répétition du segment introductif du discours rapporté « c’est c` qu’i` vous dit\ » (l. 17). Ici, l’opératrice rapporte le contenu des messages écrits sur l’écran de la borne au présent, cependant, ni elle se situe face à aucun de ces écrans, et n’a donc pas de ressource visuelle pour étayer ces informations dans son environnement immédiat de travail. Ce travail de reformulation d’un discours écrit fait partie des compétences professionnelles de l’opératrice qui, par expérience, connait le contenu de certains messages affichés sur les écrans des stations. Cela explique le format du contenu du message, qui n’est pas strictement similaire au message réellement écrit sur l’écran : « Vous êtes responsable du vélo que vous utilisez. Ne laissez pas votre vélo sans surveillance même avec l’antivol ». Grâce à la reconstruction des phases d’utilisation de la borne par M. Durand, l’opératrice a pu diagnostiquer le moment où a eu lieu une mauvaise lecture de l’écran et donner la bonne interprétation à avoir lors d’une prochaine location de vélo.

Après une courte pause de 0.3 secondes, Mathilde termine son tour en précisant que le message de responsabilisation du client sera affiché à chaque location de vélo (l. 17-18). La pause de 0.8 secondes marque un point de transition pertinent où le tour est redistribué aux participants. Cette transition provoque une négociation de prise de tour des participants où le client et l’opératrice vont s’auto-sélectionner comme locuteur potentiel de la suite de l’interaction. Nous observons deux chevauchements successifs au cours desquels tours chevauché et chevauchant ont le même contenu, c'est-à-dire l’information sur le caractère « nouveau » du message affiché sur l’écran. Ici, l’objectif des participants est de rendre perceptible l’évaluation qu’ils font du message, mais comme cette information est donnée en chevauchement, les deux tentatives de prise de tours, par M. Durand (l. 20) et par Mathilde (l. 21) sont perturbées par les réparations de chacun (l. 23-24) – réparations elles-mêmes produites en chevauchement. Finalement, après une micro pause, Mathilde garde le tour et valide les tours du client en répétant les évaluations énoncées en chevauchement « oui c’est nouveau » (l. 26). Elle exhibe ainsi sa compréhension des tours potentiellement inaudibles du point de vue du client et replace l’information essentielle qui était négociée par les participants aux tours précédents, à savoir le caractère « nouveau » du message. L’opératrice conclut cette séquence en apportant une justification à ces nouveaux messages (l. 26-28). Retrospectivement, nous pouvons souligner que, lorsque c’est le client qui énonce « c’est nouveau », il exhibe son statut d’usager plus expert, ce qui permet d’éclairer la lecture des écrans par les habitués. Dans ce cas, il ne lit pas concrètement l’écran de la borne mais il le connait et l’utilise dans la formulation de son problème58.

L’extrait 3-18 ci après fait suite à l’extrait 3-2 présenté en début de cette partie dans la section traitant des discours rapportés au passé en ouverture d’appel (cf. p165). Le client, M. Dilain, appelle le service LocBike pour un problème de débit négatif sur son compte. Après vérification sur le compte du client, Mathilde a effectivement diagnostiqué un débit important suite à un vélo mal raccroché sur une bornette. L’utilisateur n’ayant jamais eu ce type de problème auparavant, l’opératrice décide de recréditer exceptionnellement son compte.

Ext3-_L26-13_01’22’42 : Responsable vélo (=>Débit assez fort)
1 MAT §nan je: j` vais vous recréditer pour cette fois ci\ (0.4) par
  matG §recrédite compte client-->
2   &contre [euh je sais] pas si vous avez remarqué sur nos&
3 DIL [d'accord ]
4 5 MAT &station:s les p`tits nouveaux écrans\ qu’i`s mettent euh pour dire qu'i` [faut bien] raccrocher son vélo\ .h donc (..) est&
6 DIL [si ]
7 MAT &c` que vous pourriez§ faire la #prochaine fois c` qui est noté
  matG ---------------------§
  ecr #aff. crédit client-->
8   sur l'écran\
9   (1.4)
10 DIL d'accord\
11 12 13 MAT c'est à dire vérifier qu` votre vélo est bien raccroché parce que vous en êtes responsable et que: c'est une caution qu` vous risquez à cha[que fois\ ]
14 15 DIL [ah d'accord] une une fois qu'on a raccroché\ (.) (ça c'est) sortie à l'écran/ (.) par exemple
16   (0.3)
17 18 19 20 21 22 MAT NAN\ c'est pas affiché à l'écran\ disons que sur l'écran ça vous explique (..) que vous êtes responsable du vélo et qu` quand vous raccrochez votre vélo i` faut qu'i` y est un voyant vert qui s'allume sur la bornette\ (0.4) donc c` qui a toujours été mis mais c` qu` i` a pe- c` que personne a:: a jamais vu/ .hh et euh: un: et un bip son[ore]
23 DIL [X ] (0.6) d'accord\ et donc
24   [fau:t vérifier et tout\]
25 26 MAT [c'est c'est c'est ] c'est super euh c'est super simple\ (0.8) [donc (..) voilà\ vous faites ça:\ ] la prochaine&
27 DIL [d'accord\ xx (.) ouais d'accord\ okay]
28 29 MAT &fois\ et euh ça évit`ra qu` vous ayez des facturations comme là\

L’extrait commence lorsque Mathilde notifie sa décision à M. Dilain, à savoir recréditer son compte client. Simultanément à son tour, elle est en train de réaliser l’action de recréditer sur la base de données, qui se prolonge sur les tours de parole suivants de l’opératrice. Une courte pause de 0.4 secondes précède une séquence de conseils initiée par l’opératrice et adressée au client en prévention d’une prochaine location de vélo. La séquence est composée de passages de discours écrits retransmis à l’oral. L’opératrice demande au client s’il a « remarqué [---]59 les p`tits nouveaux écrans » (l. 4) sur les bornes mis en place par les responsables de LocBike. Nous avons ici une première référence à l’entité ‘écran’ qui peut être analysée de deux manières : d’une part, une focalisation sur l’objet ‘écran’ en tant que situation contextuelle sur l’ensemble de la borne ; d’autre part, une référence au contenu des messages écrits sur cet écran de la borne où le groupe nominal « p`tits nouveaux écrans » au pluriel serait une figure de style métonymique dont les termes entretiennent une relation de substitution – le contenant pour le contenu. Ici, le discours de l’opératrice est plus explicite par rapport aux cas précédents. Cela est lié au caractère didactique de son explication.

Ensuite, nous relevons un passage de discours écrits retransmis à l’oral dans un format introductif différent de ce que nous avons analysé jusqu’ici : au lieu d’avoir un pronom personnel sujet qui renvoie à l’objet ‘écran’ suivit d’un verbe introductif conjugué au passé ou au présent, l’opératrice utilise un format d’énonciation à l’infinitif « dire » précédé par la préposition « pour ». La construction syntaxique de cet énoncé est liée à l’insertion du complément subordonné « qu’i`s mettent » renvoyant aux auteurs des nouveaux messages, ce qui a pour effet de formuler à l’infinitif le deuxième verbe qui suit ce complément subordonné. Mathilde continue son tour en reformulant le contenu d’un des messages écrits sur l’écran « i` faut bien raccrocher son vélo\ » (l. 5). Le message d’origine réellement affiché à l’écran est « vélo correctement verrouillé = bip sonore + témoin lumineux vert » : il n’y a donc pas discours rapporté partiel ou total mais une reformulation. Il faut souligner que simultanément au tour de l’opératrice (l. 5), M. Dilain répond en chevauchement par une affirmation « si » (l. 6) au début du tour de Mathilde, lorsqu’elle demandait s’il avait remarqué les nouveaux écrans. Son tour n’est pas relevé par l’opératrice qui est dans l’énonciation de son explication.

L’opératrice prolonge son tour en donnant des conseils préventifs lors d’une prochaine location de vélo, à savoir « faire [---] c` qui est noté sur l’écran » (l. 7-8). Après 1.4 secondes de pause, le client valide la demande de l’opératrice par « d’accord » (l. 10), puis Mathilde reformule une seconde fois le contenu du message portant sur le fait de bien raccrocher le vélo et elle ajoute les arguments de responsabilité du client et celui de la caution engagée à chaque location. Ces trois informations sont effectivement inscrites sur l’un des écrans de la borne au moment de louer un vélo. Nous avons donc de nouveau un passage de discours écrit retransmis à l’oral par une reformulation sans l’utilisation d’un segment introductif du type {sujet + verbe} où le sujet renverrait à l’objet ‘écran’. La référence à l’écran est re-spécifiée lorsque l’opératrice dit au client de faire ce qui est noté sur l’écran (l. 8). Ici, l’organisation syntaxique du discours écrit retransmis à l’oral n’est pas similaire au format étudié dans les travaux sur le discours rapporté à l’oral.

M. Dilain valide l’explication donnée par Mathilde et apporte un complément d’information permettant de vérifier sa bonne compréhension du tour de l’opératrice, à savoir qu’après avoir reposé le vélo, le message reformulé par l’opératrice est affiché sur l’écran (l. 14-15). Le tour du client est perturbateur dans le déroulement de l’interaction car l’opératrice initie une auto-réparation (l. 17) en invalidant l’interprétation de M. Dilain « NAN\ c'est pas affiché à l'écran\ ». Elle poursuit son tour en produisant un troisième passage de discours écrit retransmis à l’oral, en reformulant le contenu du message affiché sur l’écran de la borne. Elle situe de nouveau l’environnement spatial auquel elle réfère « sur l’écran » (l. 17), et introduit le segment rapporté et reformulé par l’utilisation du pronom personnel « ça » renvoyant à l’objet ‘écran’, suivi du verbe « expliquer » au présent. Le contenu du message écrit est composé de deux arguments sur les trois énoncés dans le deuxième passage écrit retransmis à l’oral : i) « vous êtes responsable du vélo » (l. 18) ; ii) « quand vous raccrochez votre vélo i` faut qu’i` y est un voyant vert qui s’allume sur la bornette » (l. 19-20). Le discours retransmis par l’opératrice est beaucoup plus complexe que celui du client. Cela communique un discours officiel à travers lequel l’opératrice devient celle qui « fait parler » moins l’écran que l’institution et son discours normatif. Après une courte pause de 0.4 secondes, Mathilde termine son tour en précisant l’existence effective de ce message qui n’était jamais pris en compte par les utilisateurs et elle complète le contenu du deuxième argument tel qu’il est affiché sur l’écran « et un bip sonore » (l. 22), soit dans un format de discours rapporté total.

Suite à l’analyse de ce long tour de l’opératrice (l. 17-22), nous pouvons relever rétrospectivement que la réparation de Mathilde (l. 17) porte sur l’ordre d’affichage des messages sur l’écran de la borne : le client a compris que le message reformulé par l’opératrice (l. 11 à 13) s’affichait après avoir reposé le vélo, et cette dernière notifie seulement que le message n’est pas affiché à l’écran. Cependant, elle rend de nouveau pertinent ce qui est expliqué sur l’écran dans la suite de son tour. Cette double référence contradictoire à l’écran permet de comprendre que la première partie de tour répond au fait que le message « n’est pas affiché » « une fois que » le vélo est reposé mais avant. Puis la seconde partie de tour permet à l’opératrice de reformuler clairement son explication en reprécisant l’enchaînement entre l’affichage des messages et le moment de reposer le vélo « quand vous raccrochez votre vélo i` faut que… » (l. 19). Grâce à cette troisième explication, M. Dilain comprend que le message expliqué par Mathilde apparaît en prévention, avant la location du vélo.

Le client valide l’explication de l’opératrice (l. 23) et comme lors de sa confirmation précédente (l. 14-15), il ajoute une information permettant de vérifier sa bonne compréhension du tour « donc fau:t vérifier et tout » (l. 24). La fin de son tour est chevauchée par une reprise de l’opératrice qui précise le caractère « simple » (l. 25) de la vérification. Après une pause de 0.8 secondes, nous relevons un départ simultané des deux participants qui s’auto-sélectionnent : i) l’opératrice conclut son énoncé par une confirmation de la recommandation « voilà\ vous faites ça:\ la prochaine fois\ » (l. 26-27) ; ii) le client valide le début du tour de Mathilde qui précède la pause de 0.8 secondes par une succession d’affirmation « d'accord\ xx (.) ouais d'accord\ okay » (l. 27). L’extrait se termine par la fin du tour de Mathilde qui conclut la séquence d’explication des messages affichés sur l’écran de la borne.

Dans l’extrait 3-1960, Mme Tichmievki appelle le service LocBike pour un problème de vélo en cours de location. L’échange entre les participantes dure depuis 1’15 minutes pendant lesquelles la cliente a exposé la raison de son appel et l’opératrice a effectué la phase d’identification de la cliente dans la base de données. Après une vérification de l’état de son compte, l’opératrice notifie à la cliente qu’aucun vélo n’est en cours de location sur sa carte et que tout fonctionne bien. L’extrait commence après cette première notification de Samira et la cliente valide son tour par une affirmation « d’accord » (l. 1) suivie d’une reformulation qui permet à la cliente de vérifier sa bonne compréhension de l’énoncé. L’opératrice comprend que Mme Tichmievki a mal interprété sa notification. Elle va donc apporter une explication supplémentaire sur l’origine possible d’une mauvaise lecture de messages sur l’écran de la borne. Samira ne réalise aucune action multimodale sur le compte informatique de la cliente pendant son explication.

Ext3-_L26-16_28’55 : Nouveau message
1 TIC d'accord j'ai encore un vélo en cours
2   (0.4)
3 4 5 SAM euh: non vous n'avez aucun vélo en cours\ donc peut être euh que: ça vient des nouveaux messages euh sur l'écran qui dit que vous êtes responsable du vélo que vous prenez\=
6 TIC =oui
7   (0.3)
8 SAM mais [ça ] c'est juste pour que les: les abonnés fassent&
9 TIC [oui]
10 11 SAM &attention quand i`s rendent leur vélo (0.2) ça n` veut pas dire que vous avez un vélo bloqué dessus hein
12   (0.3)
13 TIC donc x ça veut dire que c'est un nouveau message\
14 15 SAM voilà\ c'est juste pour dire au:x aux abonnés de faire attention quand i`s rendent [le vélo]
16 17 TIC [ah:: ] d'accord\ okay\ parce que ça m'a fait peur et okay

L’opératrice traite le tour de la cliente comme perturbateur et initie une hétéro-réparation en répétant à la forme négative (l. 3) de son énoncé « non vous n’avez aucun vélo en cours\ ». Samira ayant écarté tout dysfonctionnement du compte client, elle enchaîne immédiatement sur une explication qui informe la cliente sur la cause d’un problème d’interprétation lors de la lecture de messages sur l’écran de la borne. L’explication correspond à un passage de discours écrit retransmis à l’oral où elle introduit dans un premier temps le caractère « nouveau » (l. 4) de certains messages et précise la référence spatiale de la provenance de ces messages, c'est-à-dire « sur l’écran » (l. 4). L’opératrice utilise ensuite le verbe introductif « dire » au présent ; la forme au singulier du verbe marque une relation avec « l’écran » comme sujet agentif du verbe et non « des nouveaux messages ». Le contenu du message retransmis à l’oral est rapporté partiellement par rapport au message d’origine « vous êtes responsable du vélo que vous prenez » (l. 5), le message réel se terminant par « que vous utilisez ».

Mme Tichmievki valide l’énoncé de Samira immédiatement après, puis une courte pause de 0.3 secondes précède une reprise de tour de l’opératrice, qui ajoute un complément à son explication pour préciser le caractère préventif du nouveau message (l. 8-10). Le « oui » de la cliente (l. 9) en chevauchement du début du tour de l’opératrice marque toujours la validation de sa compréhension sans être une demande de prise de tour, et fonctionne comme un continuateur. L’opératrice l’interprète ainsi, puisqu’elle poursuit son tour aux lignes suivantes. Après une courte pause de 0.2 secondes, Samira termine son tour en expliquant que le sens à donner à ces nouveaux messages ne concerne pas le blocage d’un vélo. La cliente valide la nouvelle explication de l’opératrice en reprécisant le caractère « nouveau » (l. 13) du message. Nous observons à deux reprises l’emploi du verbe « dire » par l’opératrice et par la cliente précédé du verbe modal « vouloir ». Ici, nous n’analysons pas l’utilisation de ces verbes comme des segments introductifs de discours écrits retransmis à l’oral ; ils n’ont pas le même sens que dans les exemples précédents. En effet, l’emploi figé du syntagme verbal {ça + vouloir + dire + que} marque dans ce contexte le sens de {signifier} où le pronom « ça » renvoie au contenu du message lui-même, et non à l’objet ‘écran’ comme nous l’analysons depuis le début de ce chapitre. Il s’agit d’une manière d’introduire une reformulation du sens du contenu des nouveaux messages, d’apporter des énoncés similaires et/ou complémentaires du point de vue du sens.

Enfin, Samira valide le tour de la cliente : « voilà » (l. 14) et ajoute une formulation supplémentaire pour appuyer la compréhension des nouveaux messages « c'est juste pour dire au:x aux abonnés de faire attention quand i`s rendent le vélo » (l. 14-15). Nous remarquons l’utilisation du verbe « dire » à l’infinitif, par laquelle le sujet renvoie également au contenu du message lui-même et non à l’écran. Mme Tichmievki valide une nouvelle fois le tour de l’opératrice et conclut la phase d’explication des messages écrits sur l’écran par une évaluation personnelle (l. 16-17).

L’analyse de ces quatre extraits montre que dans les problèmes concernant une mauvaise interprétation de message sur les bornes, ce sont les opérateurs qui ont le plus souvent recours à l’intégration de l’objet ‘écran’ comme artefact interactionnel (six occurrences sur sept au total). Nous avons une occurrence où le client produit un discours écrit retransmis à l’oral, cet énoncé ayant lieu après la notification de non problème sur le compte du client par l’opérateur ; le client utilise alors ce procédé pour essayer d’appuyer ses arguments et attester ses propos. Parmi les occurrences produites par les opérateurs, nous en avons relevé deux qui ne contiennent pas de messages reformulés. Ces deux énoncés ont une fonction d’ouverture et de clôture d’un énoncé pivot complet, à savoir le segment introductif {sujet + verbe} suivi du contenu du message : « c’est pas c` qu’i` vous dit {i` vous dit que} XYZ c’est ce qu’i` vous dit ». Enfin, les quatre dernières occurrences de discours écrits retransmis à l’oral ont plutôt une fonction d’instructions didactiques où l’opérateur donne la bonne lecture du message à avoir lors d’une prochaine location de vélo. Il s’agit à la fois d’une action de résolution du problème – problème qui en réalité n’existe pas sur le compte client – et d’une action préventive pour permettre au client d’être vigilant et autonome lors de ses prochaines utilisations du système.

Nous venons d’analyser sept extraits présentant l’utilisation de treize procédés de discours écrits retransmis à l’oral après la phase d’identification. Nous avons recensé l’emploi de trois pronoms « il » (x6), « ça » (x3) et « on » (x1) ; ainsi que de trois explicitations directes « la machine », « les messages sur l’écran » et « les petits nouveaux écrans ». Les références sont aussi bien produites par les opérateurs que par les clients (sept occurrences contre six par les clients). Les participants ont utilisé trois verbes « dire » (x10), « expliquer » (x1) et « mettre » (x2). Cependant, les opérateurs n’ont employé que les pronoms « il » et « ça », ainsi que deux explicitations directes, associés aux verbes « dire » et « expliquer ». Par ailleurs, nous avons relevé l’insertion d’expressions locatives par les opérateurs renvoyant à l’écran : « sur l’écran » (x2) et « devant la borne » (x1). Ces expressions rendent explicites l’objet auquel réfèrent les opérateurs et sont introduites au moment de questions supplémentaires pour affiner le diagnostic ou lors de l’explication du problème, après le diagnostic établi.

Nous venons d’analyser les dix-huit extraits de notre première section portant sur la production de discours écrits retransmis à l’oral où les participants rendent l’objet ‘écran’ pertinent lors de la formulation du problème. De manière générale, sur l’ensemble des extraits, et selon tout type de problème rencontré par le client, nous avons relevé une majorité d’occurrence de discours écrits retransmis à l’oral produit par le client (seize exemples contre douze produits par l’opérateur) ainsi qu’une majorité d’emploi du verbe « dire » (dix-sept occurrences). Les participants utilisent plutôt le temps présent dans le format d’énonciation, que ce soit dans le temps du verbe du segment introductif ou dans le temps du verbe du contenu du message (trente-trois occurrences contre neuf au passé). Enfin, les participants choisissent comme pronom référant à l’objet ‘écran’ le pronom personnel « il » (x9), « ils » (x2), « on » (x5) ou le pronom démonstratif sujet « ça » (x7). Nous avons noté trois occurrences de syntagmes nominaux sujets « la machine », « les messages sur l’écran » et « les petits nouveaux écrans ». L’explicitation de l’objet est donc un procédé utilisé rarement par les participants. Elle est formulée par l’opérateur lors de l’explication du problème, ou au moment d’affiner le diagnostic en posant des questions supplémentaires. Lorsque l’explicitation est produite par le client, elle est insérée en réponse à une question de l’opérateur qui avait déjà introduit une première référence implicite à l’écran dans sa question. Ces explicitations permettent aux participants d’incarner l’objet ‘écran’ comme une entité institutionnelle reconnue lors des explications ou des questions/réponses supplémentaires. Contrairement à la phase de formulation du problème, les participants n’ont pas recours à des explicitations directes pour référer à l’écran. La dimension institutionnelle de l’objet est cependant marquée implicitement par l’insertion de discours rapportés.

Les éléments grammaticaux recensés nous permettent de formuler une observation générale sur l’usage des discours écrits retransmis à l’oral, où l’objet ‘écran’ est de préférence marqué par un pronom au singulier. L’utilisation des pronoms « ils » et « on » est uniquement réalisée par les clients et implique souvent un procédé de personnification où le client attribue à l’écran les propriétés d’un être animé, c'est-à-dire celles des personnes qui ont créé le contenu des messages affichés sur l’écran. Cette observation va de paire avec l’usage préféré du verbe « dire », où nous retrouvons le type du verbe présent dans les structures étudiées largement dans les discours oraux rapportés entre participants (et non un discours écrit rapporté à l’oral).

Enfin, nous avons dégagé cinq fonctions possibles de l’usage de ce type de procédé : i) attester de l’authenticité des informations données, ii) désengager le client de toute responsabilités par rapport au vélo toujours en location, iii) faire dire une information en orientant vers le choix de la source à citer, iv) ouvrir ou clôturer un passage de discours retransmis à l’oral, et v) donner la bonne lecture du message comme instruction didactique, comme résolution du problème ou comme prévention lors d’une prochaine utilisation du système. Ces fonctions s’inscrivent dans l’action des participants, qu’ils soient en train de formuler la raison de l’appel (par le client), d’affiner l’établissement du diagnostic grâce à une série de questions/réponses, ou d’apporter des explications complémentaires sur l’origine du problème (par l’opérateur). Les participants, en rendant l’objet ‘écran’ pertinent de manière explicite ou implicite, lui confèrent son statut d’artefact interactionnel thématisé dans le discours.

Notes
56.

Voir de Fornel (1992, 1994).

57.

Cet extrait est également analysé dans son intégralité dans la partie IV portant sur la notification de l’état a-problématique du compte client (cf. p2727).

58.

Pour approfondir sur la notion d’objet dans l’action, voir Conein & Jacopin (1993).

59.

La notation du signe [---] indique une élision d’une partie du tour dans le paragraphe d’analyse uniquement pour rendre compte du sens direct de l’énoncé au moment de la lecture.

60.

Cet extrait est analysé dans son intégralité dans la partie IV sur les notifications de l’état a-problématique du compte client (cf. p287).