Guidage sur internet

Nous avons deux extraits qui permettent d’étudier la retransmission d’informations écrites à l’oral lors d’un guidage sur internet. Dans les deux interactions, l’opératrice guide la cliente dans une procédure de changement de site internet : au lieu d’aller sur le site « locbike.laville.com », elle oriente la cliente sur le site de « laville.com ». L’objectif de l’opératrice est de permettre à la cliente de télécharger un formulaire de réabonnement – procédure qui semble-t-il pose problème sur le site direct de LocBike. Elle va donc guider pas à pas la cliente depuis la phase de changement d’adresse internet dans le navigateur, jusqu’à la phase de repérage du formulaire à télécharger. Ici, les deux participantes ont la possibilité d’accéder aux ressources multimodales, c'est-à-dire aux pages du site internet en question. Nous allons voir que la cliente agit systématiquement de manière synchrone sur les pages correspondantes au fur et à mesure du guidage alors que l’opératrice peut orienter la cliente à partir de ses connaissances personnelles de l’interface informatique du site internet, sans avoir visuellement accès aux informations simultanément.

Dans l’extrait 3-20, Mme Arno appelle le service LocBike pour un problème de réabonnement sur internet. Elle ne peut pas finaliser la procédure suite à un blocage d’une page au moment de donner la clé RIB de son compte bancaire. L’extrait commence après la phase de salutation, lors de la formulation du problème par la cliente.

Ext3-_L24-15_56’46 : Clé rib
1 2 3 4 5 6 7 8 ARN oui bonjour\ (.) j` vous appelle parce qu'en fait donc qu` j'essaye d` me: réabonner (donc) sur internet/ (0.6) et: en fait en:: donc en remplissant mon numéro d` compte et tout ça/ et euh à chaque fois j` va- `fin j` va:lide et:: ça m` met euh:: (0.3) le contrôle de la clé rib xxxmais pourtant `fin c'est::\ (0.6) `fin j` vois pas parce que j'ai vraiment mes papiers officiels et tout sous les yeux et:: j` l'ai refait plusieurs fois/ et XX[X ]
9 10 11 MAT [ah] ça arrive de temps en temps\ (0.4) dans c` cas là vous allez changer de site\ (.) euh: vous allez aller sur euh: le site de laville\
12   (0.9)
13 ARN ben là j` suis sur locbike laville ouais communauté urbaine\
14 15 16 MAT oui donc vous êtes sur l` site de locbi:ke/ (.) laville\ moi j` vous d`mande d'aller sur l` site de LAville (..) tout sim[plement\ ((rire)) ]
17 ARN [ah/ d'accord\ pardon\]
18 MAT c'est pas grave\ (0.3) trois [ doub]le vé point laville&
19 ARN [(c'est)]
20 21 MAT &point com\ en faitvous allez c'est la même adresse\ vous effacez locbike dans l'adresse\ (0.8)
22 23 24 25 ARN

MAT
okay alorsattendez donc\ (0.5) hop (1.6) donc trois double vé\ ensuite c'est euh\ laville/
oui tout attaché/ (..) en minuscule/ (0.4) et point com\
(2.1)

Mme Arno expose la raison de son appel lors d’un long tour de paroles (l. 1-8). Une première référence à l’écran est faite au milieu du tour de la cliente lorsqu’elle dit « ça m` met euh:: (0.3) le contrôle de la clé rib xxx » (l. 4-5). Ici, nous retrouvons la même structure introductive que dans la section précédente au cours de la formulation du problème : {sujet + verbe} suivi du contenu du message affiché sur l’écran rapporté à l’oral. L’opératrice comprend rapidement le problème en question et saisit son tour en chevauchant de la fin du tour de la cliente pour expliquer que ce type de problème, c'est-à-dire le dysfonctionnement de la page au moment de donner le numéro de clé RIB, peut parfois arriver (l. 9). Après une courte pause de 0.4 secondes, elle indique à la cliente une solution alternative pour pallier à ce problème et lui propose de « changer de site » (l. 10) en réalisant la procédure de réabonnement depuis le site internet de « laville » (l. 11).

Une séquence de réparation est initiée à partir de la longue pause de 0.9 secondes (l. 12) qui marque la présence d’un élément perturbateur du point de vue de la cliente : en réponse à la demande de changement de site internet, elle informe l’opératrice qu’elle se trouve sur le site de « locbike laville » (l. 13). L’affirmation « ouais communauté urbaine » qui termine son tour indique le caractère effectif de l’affichage en cours du site internet de « laville ». La cliente répond ainsi à la demande de l’opératrice par l’utilisation d’un discours rapporté où elle rend l’objet ‘écran’ pertinent. Ici, l’emploi du déictique « là » renvoie à la fois à la page internet sur laquelle elle est, à l’instant précis de son énoncé ; l’ancrage contextuel est renforcé par l’emploi du verbe « être » au présent suivi de la préposition « j` suis sur ». À la différence des exemples analysés jusqu’à présent, nous observons ici un passage de discours écrit rapporté à l’oral où aucune référence à l’objet ‘écran’ n’est introduite avant le contenu de l’information rapportée à l’aide d’un verbe introductif du type « il dit que ». Cependant, nous pouvons analyser ce segment comme une lecture simultanée à l’écran où la cliente s’appuie sur le support ‘écran’ devant lequel elle est pour attester du fait qu’elle est sur le bon site internet suite à la demande de l’opératrice.

Mathilde effectue une hétéro-réparation en réponse au tour de Mme Arno : elle reprécise le site internet qui est actuellement affiché sur l’écran de la cliente « locbi:ke (.) laville » (l. 14), puis elle reformule sa demande de changement de site internet en appuyant la prononciation du nom du site internet « l` site de LAville (..) tout simplement » (l. 15-16). L’ajout de l’information « tout simplement » renforce la précision de la demande de l’opératrice qui marque ainsi la différence entre le site internet de « locbike laville » et celui de « laville ». La fin du tour de Mathilde est chevauchée par la validation de la cliente qui s’excuse pour sa non compréhension de la première demande « ah/ d’accord\ pardon » (l. 17) – validation précédée du change-of-state token « ah ». Le début du tour suivant de l’opératrice (l. 18) montre qu’elle tient compte de la validation et des excuses de Mme Arno, puis après une courte pause de 0.3 secondes, elle commence à énoncer l’adresse internet du site web de Laville sur lequel la cliente doit se connecter « trois double vé point laville point com\ » (l. 18-20). Simultanément au début de l’énonciation de l’opératrice, la cliente initie une demande qu’elle interrompt immédiatement (l. 19).

Après l’énonciation de l’adresse du site internet, l’opératrice continue son tour en énonçant différemment sa première formulation : une partie de l’adresse de départ est commune à l’adresse du second site conseillé, la cliente doit seulement supprimer « locbike » dans la seconde adresse (l. 21). Mme Arno valide l’explication de Mathilde après une pause de 0.8 secondes et poursuit son tour en rendant manifeste son action en cours. Elle énonce une mise en attente « alors attendez donc\ » (l. 23) puis réitère une partie de l’instruction donnée par l’opératrice « trois double vé\ » et finit par « laville ». Ici, nous n’avons pas de focalisation sur l’objet ‘écran’ pour marquer la retransmission à l’oral d’une information écrite mais la mise en attente ainsi que les pauses qui précédent la répétition d’une partie de l’instruction permettent de configurer l’activité comme en train de se faire par la cliente. L’activité en cours est également exhibée par sa verbalisation simultanée. Les deux segments de son tour « trois double vé\ » et « laville » sont à la fois une répétition partielle de l’explication de l’opératrice et une lecture simultanée de ce qu’elle est en train de saisir sur son clavier. Le tour suivant de Mathilde montre une co-construction de l’activité par les participantes : l’opératrice complète la fin de l’activité de saisie de la cliente en disant « oui tout attaché/ (..) en minuscule/ (0.4) et point com\ » (l. 25).

La longue pause de 2.1 secondes (l. 25) pourrait être traitée comme un point de transition pertinent dans l’interaction pour que la cliente prenne son tour de parole, cependant, en l’absence de prise de tour, l’opératrice s’auto-sélectionne et poursuit son explication qui permettra à Mme Arno de résoudre son problème de validation dans la procédure de réabonnement. Nous pouvons supposer que cette absence de prise de tour par la cliente est dûe à l’activité de saisie de l’adresse internet qu’elle est en train de terminer et à l’attente de l’affichage de la page demandée.

Mathilde commence donc une longue phase d’explication durant laquelle elle rend l’objet ‘écran’ pertinent pour décrire les différentes étapes pour se réabonner.

Dans un premier temps, elle indique à la cliente un « moteur d` recherche » (l. 27-28) qui est situé « sur la droite/ de l’écran\ » (l. 28). La référence spatiale de la zone de moteur de recherche sur l’écran est exhibée de deux manières par l’opératrice : l’une partagée oralement « sur la droite/ de l’écran\ » ; l’autre réalisée de façon multimodale par un mouvement de sa main droite où elle dirige ses deux doigts en l’air vers la droite (cf. img 1 à 3). Dans un deuxième temps, elle dirige la cliente vers le bas de l’écran « tout en bas » (l. 28) pour lui indiquer la zone où est écrit « locbike » (l. 29). Elle baisse les doigts à partir de la courte pause de 0.3 secondes avant de signaler l’espace en bas de l’écran. Ensuite, elle décrit l’action de cliquer sur le mot LocBike. Comme pour la description spatiale précédente, l’action de cliquer est décrite de deux manières différentes : à l’oral pour la cliente « vous cliquez d`ssus/ » (l. 29) ; de façon multimodale par une rotation de son index du haut vers le bas (cf. img 5 et 6) qui commence sur le mot précédent « locbike ». Enfin, Mathilde indique à Mme Arno de se diriger « dans les formules d’abonn`ment locbike » (l. 30-31). Elle établit une co-référence de son instruction orale par un geste du doigt de la droite vers la gauche (cf. img 7 et 8). L’usage de ressources multimodales est ici disponible uniquement pour l’opératrice. Elle fait appel à sa mémoire et à ses connaissances professionnelles pour donner les instructions à la cliente, et grâce à une description gestuelle des différentes zones sur lesquelles doit agir son interlocutrice, l’opératrice fait les opérations au fur et à mesure qu’elle les explique.

Après une courte pause de 0.3 secondes, l’opératrice poursuit l’explication de la procédure à réaliser mais la cliente traite la pause comme un point de transition pertinent pour prendre la parole. Elle s’auto-sélectionne et commence son tour en chevauchant celui de l’opératrice qui s’interrompt (l. 31) pour laisser le tour à Mme Arno. Le tour de la cliente est cependant incomplet puisqu’elle s’interrompt également « alors attend- » (l. 32). Elle produit ici la même mise en attente qu’à la ligne 23 pour rendre manifeste la réalisation simultanée des différentes actions annoncées par l’opératrice.

Cette dernière comprend que la cliente tente d’effectuer la procédure pas à pas en direct lors de l’échange téléphonique et rapidement elle fournit une séquence de justification où elle refus ce mode (l. 34-38). À la place, elle choisit d’expliquer « assez rapid`ment » (l. 38) la procédure à la cliente, qui, du point de vue de l’opératrice, n’est « pas compliquée » (l. 40).

34 MAT [alors est c`] qu- `fin j` vou- j` vais assez vite parce que&
35 ARN [XX ]
36 37 38 MAT &j` suis toute seule au téléphone cet après midi\ et que j'ai\ euh j'ai pas mal d'appels\ j'ai des gens qui attendent\ donc j` [vous expli]que assez rapid`men:t/ (.) vous allez voir c'est&
39 ARN [d'accord\ ]
40 41 MAT &pas compliqué une fois qu` vous êtes (.) dessus\ .hh
[donc vous allez] dans locbike/ après vous allez dans les&
42 ARN [okay\ ]
43 44 45 46 MAT &formules d'abonn`ment locbike/ (0.2) et là la première phrase qui va apparaître/ c'est si vous voulez vous abonner ou vous réabonner/ (0.3) vous pouvez aller soit sur l` site de locbike donc ça vous l` faites pas/
47   (0.5)
48 ARN [d'accord]
49 50 51 52 MAT [et ] et i` va proposer également de pouvoir IMPRIMER le formulaire\ donc vous imprimez l` formulaire/ et vous l` rempli:rez/ vous l` remplirez à la main/ (0.4) parce
[que:: ] je sais pas pourquoi la y a des fois la clé ri:b&
53 ARN [d'accord\]
54 MAT &elle passe pas euh sur notre site

À cet instant, le guidage de la procédure est modifié : les instructions orales sont maintenues par l’opératrice mais l’accompagnement pas à pas de la cliente en simultané est interrompu. Un réajustement temporel de la cliente face aux instructions données par l’opératrice est alors observé ; les deux participantes ne sont plus en co-construction de l’activité de guidage/exécution en direct où chacune s’adapte temporellement à la vitesse de son interlocuteur grâce à des indices contextuels partagés oralement. La modification de l’activité guidage/exécution en simultané initiée par l’opératrice est validée à deux reprises par la cliente en chevauchement des tours de Mathilde : « d’accord » (l. 39) et « okay » (l. 42).

L’opératrice reprend l’énoncé des instructions à suivre immédiatement après la fin de la phase de justification. La reprise des explications est marquée par l’utilisation de la conjonction « donc » (l. 41) et la répétition de la troisième étape « vous allez dans locbike » qu’elle avait déjà introduite à la ligne 29 ; et de la quatrième étape « vous allez dans les formules d'abonn`ment locbike/ » (l. 41-43) qu’elle avait introduite aux lignes 30-31. Mathilde continue ses instructions (l. 43-51) durant lesquelles Mme Arno valide à deux reprises la bonne compréhension des explications données par l’affirmation « d’accord » (l. 48 et 53) en chevauchement des tours de l’opératrice. Les deux tours de la cliente servent simplement de continuateur permettant de manifester sa compréhension des explications, l’objectif de la cliente n’est pas de prendre le tour. Elle montre ainsi son ajustement à l’activité de guidage seul par l’opératrice et son abandon de la réalisation en simultané des actions listées pas à pas.

Vers la fin des instructions énoncées par l’opératrice, nous observons deux références à l’objet ‘écran’ : i) l’une implicite, lorsqu’elle dit « là la première phrase qui va apparaître/ c’est si vous voulez vous abonner ou vous réabonner/ » (l. 43-45) ; ii) l’autre plus explicite, lorsqu’elle dit « i` va proposer également de pouvoir IMPRIMER le formulaire » (l. 49-50). Dans la situation de référence à l’écran que nous qualifions d’implicite, le contenu de l’information écrite sur l’écran et qui est retransmis à l’oral est clairement la question de l’abonnement ou du réabonnement ; cependant, la manière dont le passage reformulé est introduit n’est pas organisée syntaxiquement comme nous l’avons analysé dans la section précédente sur le mode {sujet + verbe}, où le sujet renvoie à l’écran. Ici, nous relevons le déictique « là » (l. 43) qui peut marquer une référence contextuelle à l’écran. Il peut aussi marquer la dimension temporelle dans l’enchaînement des actions, c'est-à-dire que la cliente peut lire l’information « s’abonner ou se réabonner » uniquement après avoir affiché les formules d’abonnement. Si nous l’analysons comme une référence contextuelle à l’écran, nous considérons alors que la référence est marquée implicitement par l’opératrice. De plus, l’utilisation de la construction verbale « qui va apparaître » (l. 44) est souvent associée à un référent contextuel introduit par exemple par les prépositions {devant/dans/sur/par + quelque chose}. Ici, le référent contextuel n’est pas mentionné par l’opératrice mais est inféré par les informations écrites sur les pages du site internet que la cliente consulte depuis son ordinateur. Mathilde rend donc pertinentes les informations qui apparaissent sur la page du site et donc sur l’écran de l’ordinateur. La deuxième référence à l’objet ‘écran’ est réalisée de manière plus explicite (l. 49-50) avec une construction syntaxique similaire aux exemples étudiés dans la section précédente. Nous relevons le segment introductif {sujet + verbe} qui précède le contenu de l’information écrite sur la page du site internet : « i` va proposer » (l. 49). Ici, l’opératrice emploie un verbe différent de ceux listés dans la section précédente (ex : dire, expliquer, mettre) qui est en relation avec le pronom personnel sujet « il » renvoyant à deux objets possible : soit l’écran, soit le site. Nous pouvons attester qu’il ne renvoie pas à l’objet « page du site internet » puisqu’il s’agit d’un pronom personnel masculin et non féminin. Enfin, le contenu de l’information écrite est rapporté totalement à l’oral en exprimant l’action qui est possible d’être réalisée sur la page internet « pouvoir IMPRIMER le formulaire ». L’extrait se termine par les recommandations de l’opératrice suite à la dernière étape de téléchargement du formulaire de réabonnement. Elle conseille à la cliente d’imprimer le formulaire pour le remplir à la main.

L’analyse de cet extrait a permis de montrer comment les participants intègrent l’objet ‘écran’ dans le discours lors d’une activité de guidage en direct à distance. Nous avons relevé l’utilisation, d’une part, de procédé de discours retransmis à l’oral (ex : « ça me met… ») ; d’autre part, d’instructions locatives renvoyant à des informations affichées sur l’écran (ex : « vous allez sur… ». Dans les passages de discours rapporté, nous avons recensé l’emploi des verbes « mettre » (x1), « apparaître » (x1) et « proposer » (x1) associés aux pronoms personnels « ça » et « il ». De manière générale, les références à l’écran sont ici produites par l’opératrice (seize occurrences contre trois par la cliente). Nous pouvons donc caractériser cette activité de guidage pas à pas comme une activité gérée par l’opératrice, durant laquelle elle effectue de nombreuses instructions adressées à la cliente. Ces instructions sont associées à des séquences de discours écrit retransmis à l’oral rendant l’objet ‘écran’ pertinent. Ce dernier est à la fois thématisé par l’opératrice, qui ne le manipule pas durant l’interaction, mais il est également mobilisé par la cliente, qui rend compte à son interlocutrice de ses actions sur l’écran en temps réel. La mobilisation de l’écran par la cliente est aussi rendue manifeste par une demande de mise en attente. L’utilisation par les participantes de références à l’écran leur permet de préserver un ajustement mutuel dans l’accomplissement de l’activité, et potentiellement, d’accélérer ou de ralentir la temporalité de l’interaction en fonction des contraintes de l’une d’entre elles. C’est ce que fait l’opératrice lorsqu’elle notifie à la cliente qu’elle va « assez vite » dans l’énoncé des instructions, du fait qu’elle est seule au centre d’appels. La cliente se réajuste alors temporellement à l’activité de guidage en direct et suspend la mobilisation de son écran en simultanée (i.e. absence de mise en attente dans la suite de l’interaction) pour laisser l’opératrice terminer ses instructions. Dans l’extrait suivant, nous allons analyser un autre extrait présentant une activité de guidage en direct, gérée par la même opératrice (Mathilde). Nous verrons que l’utilisation de références à l’écran peut avoir des effets différents sur le déroulement de l’activité lorsqu’elles sont produites autant par les deux participantes.

Dans l’extrait 3-21, Mme Temorin appelle le service LocBike pour un problème lors d’une tentative de réabonnement en ligne. L’appel a commencé depuis dix-huit secondes seulement durant lesquelles la cliente a donné son numéro d’identifiant à l’opératrice pour qu’elle puisse consulter son compte dans la base de données. L’extrait commence après la fin de la saisie du numéro d’identifiant par l’opératrice, au moment de la phase de formulation du problème par la cliente. Cette dernière a déjà introduit un problème au niveau de son réabonnement, et l’opératrice valide l’information apportée par Mme Temorin par un « oui » (l. 1).

Ext3-_L25-12_25’38 : Redirection Web
1 MAT oui
2   (0.2)
3
4
TEM euh::: donc on me dit que mon:: que je que c'est fini: ma carte/
5 MAT oui
6 TEM euh:: moi je n` sai:s vous voyez là j` suis sur internet\

La cliente poursuit l’explication de son problème après une courte pause de 0.2 secondes (l. 2) en se focalisant une première fois sur l’objet ‘écran’. Nous relevons le syntagme verbal {sujet + verbe} introduisant le contenu du message écrit retransmis à l’oral : « on me dit que » (l. 3), où le pronom personnel « on » renvoie à l’objet ‘écran’. Ensuite, Mme Temorin utilise successivement trois formats d’énonciation du contenu de l’information écrite : « que mon:: que je que c’est » (l. 3). L’alternance entre ces trois formats marque une hésitation de la cliente dans la manière de rapporter le contenu du message : au début, en se positionnant en tant que propriétaire reconnue du compte « mon ; je » ; puis en faisant abstraction de sa position et en neutralisant le format de l’énonciation par un account « c’est fini: ma carte/ » (l. 3-4). Il s’agit ici d’une reformulation du message et non d’un discours rapporté.

Mathilde valide l’information donnée par une affirmation (l. 5) et Mme Temorin poursuit son énonciation du problème en expliquant à l’opératrice son incompréhension dans la marche à suivre à partir de l’affichage du message. Dans un premier temps, elle initie la formulation de son tour d’incompréhension qu’elle interrompt en cours de production « euh:: moi je n` sais » (l. 6). Elle modifie ensuite le topic de son intervention initiale pour introduire une deuxième référence à l’objet ‘écran’ qui permet d’établir la situation contextuelle dans laquelle elle s’inscrit par rapport à son interlocutrice : « vous voyez là j` suis sur internet\ » (l. 6). La cliente situe le topic de l’interaction en cours comme une activité en co-construction par les deux participantes grâce à cette information rendue accessible à l’opératrice. Cette dernière a connaissance, à cet instant de l’échange, de la position dans laquelle s’établit la cliente pour la suite de l’interaction et peut, en fonction, prévoir une temporalité différente dans la gestion de l’appel, et projeter la possibilité d’une séquence de guidage/exécution en simultané.

Nous avons omis un premier passage de l’interaction qui dure dix-neuf secondes et qu’il n’est pas pertinent d’analyser en détail, car aucune référence à l’objet ‘écran’ n’est insérée, ni de guidage en direct. Lors de ce passage, la cliente mentionne le fait qu’il est difficile d’avoir le service LocBike en communication puis précise qu’elle a pu imprimer un formulaire de demande de recréditation alors qu’elle souhaite se réabonner. L’opératrice lui fait remarquer qu’elle n’est pas sur le bon formulaire et qu’elle doit se connecter à son compte si elle souhaite se réabonner. Mathilde est interrompue dans son énoncé par l’intervention de Mme Temorin (l. 8). La suite de l’analyse détaillée reprend à partir de la prise de tour de la cliente.

7
8
9 10
TEM alors i` m` dit (..) euh i` m` dit carte longue durée\ alors effectiv`ment j'ai changé d` mai::l\ (0.4) donc euh: i` refuse de de continuer puisque j'ai d`mandé à c` qu'on m` change d'emai:l\
11   (1.6)
12 13 MAT c'est à dire il est:\ quand quand vous validez i`: refuse de passer à la page pré- [à la page] suivante/
14 TEM [ouais ]
15 TEM ouais (0.4) [ouais]
16 MAT [ben: ] hm::: (0.4) alors §(1.6)
  matG §clic 5ème onglet page web LocBike

La cliente reprend l’échange pour initier un nouveau passage de discours écrit retransmis à l’oral où elle rend l’écran pertinent par une double énonciation du segment {sujet + verbe} où elle utilise le pronom personnel singulier « il » suivi du verbe « dire » au présent « i` m` dit » (l. 7). Le contenu de l’information retransmis à l’oral est un syntagme nominal « carte longue durée\ » qui peut être analysé comme un discours rapporté et non reformulé, si nous considérons que la cliente est en train de réaliser une lecture simultanée de l’écran. Mme Temorin poursuit son tour en formulant un commentaire évaluatif qui porte sur le segment antérieur : l’emploi de l’adverbe « effectiv`ment » (l. 8) marque une relation de causalité entre la première partie de son tour et la seconde qu’elle est en train de réalisée. Cependant, dans la deuxième partie de tour, l’évaluation porte sur le topic de changement d’adresse courriel (l. 8). Le rapport de causalité entre les informations énoncées et l’émergence d’un blocage dans le processus de réabonnement est expliqué dans la fin du tour de la cliente lors d’un troisième passage de discours écrit retransmis à l’oral. Après une courte pause de 0.4 secondes, elle énonce la fin de son explication par la préposition « donc » (l. 8) et elle utilise le segment introductif {sujet + verbe} où le sujet « il » renvoie à l’objet ‘écran’. Ici, le verbe introductif « refuser » au présent (l. 8) ne marque plus le caractère informatif d’un message affiché sur l’écran mais il est en lien avec l’enchaînement des actions lors de la navigation sur le site internet. Enfin, la cliente énonce la description de l’action non réalisée par le système informatique « de continuer » (l. 9) en appuyant son discours par une justification reprenant le lien de causalité précédente « puisque j’ai d`mandé à c` qu’on m` change d’emai:l\ » (l. 9-10).

La longue pause de 1.6 secondes (l. 11) est analysée par Mathilde à la fois comme un point de transition pertinent, qu’elle va saisir pour prendre la parole, et également comme un indicateur d’élément perturbateur. En effet, l’opératrice énonce au tour suivant (l. 12-13) une demande de confirmation en reformulant l’explication de la cliente pour vérifier sa bonne compréhension du tour « quand vous validez i`: refuse de passer à la page pré- à la page suivante/ ». Elle rend également l’objet ‘écran’ pertinent par l’utilisation d’un segment introductif {sujet + verbe} où l’emploi du pronom personnel sujet « il » au singulier renvoie à l’écran. Elle énonce un premier segment introductif : elle commence son tour par « il est:\ » (l. 12) puis elle interrompt son énoncé pour recontextualiser les différentes étapes dans le processus de réabonnement « quand vous validez ». Ici, l’opératrice ajoute une information complémentaire à celle apportée par la cliente afin, d’une part, d’attester la bonne compréhension de l’explication de Mme Temorin, et d’autre part, de vérifier auprès de la cliente qu’il s’agit bien de cet enchaînement d’action qui pose problème lors du réabonnement. L’opératrice contribue au bon diagnostic du problème de la cliente grâce à ce passage de reformulation. Suite à la recontextualisation des phases dans le processus de réabonnement, Mathilde effectue une auto-réparation du premier segment introductif et modifie le verbe introducteur dans le passage de discours retransmis à l’oral : « i`: refuse » (l. 12) en reprenant celui utilisé par la cliente. De la même façon que pour la cliente, le contenu de l’information retransmis à l’oral est en relation avec l’enchaînement des actions dans la procédure de réabonnement et non par rapport à un contenu explicitement écrit sur une page du site internet.

Mme Temorin ratifie la reformulation de Mathilde (l. 14-15). Mathilde poursuit son tour en produisant des marques d’hésitations successives : « ben: hm ::: (0.4) alors (1.6) ben :: j`ch ch- euh » (l. 22), en chevauchant la fin de la ratification de la cliente. L’utilisation de la préposition « alors » projette une suite syntaxique de l’énoncé de l’opératrice et malgré la longue pause de 1.6 secondes, Mathilde maintient sa position de locutrice. Elle clique sur l’onglet de la page internet du site LocBike simultanément au début de la pause longue (l. 16).

Nous avons omis une séquence de douze secondes dans l’interaction où la cliente explique précisément les changements à effectuer sur son adresse courriel. Puis l’opératrice donne l’information selon laquelle il faut imprimer le formulaire sans aucune modification informatique et modifier l’adresse email à la main après l’impression sur papier. Aucune référence à l’écran n’est insérée lors de cette séquence. L’analyse fine de la suite de l’extrait reprend par le tour de Mme Temorin qui introduit de nouveau la raison de son appel, à savoir la procédure pour accéder au formulaire de réabonnement. Lors de cette séquence, l’opératrice n’effectue aucune action multimodale sur l’écran de son ordinateur, elle guide en direct la cliente dans la navigation sur le site internet de LocBike.

17 18 TEM ben oui mais alors attendez\ alors -lors là j` fais comment/ comment ça marche\ s'abonner/ alors je je vais où:/
19   [j` comprends p- excusez moi ((rire))]
20 21 22 MAT [nan nan mais vous allez pas/ ] vous allez pas dans s'abonner/ vous vous accé- vous allez accéder à votre compte avec votre numéro d'identifiant et votre code\
23   (1.0)
24 25 TEM accéder à mon compte\ oui alors voilà/ d'accord/ donc j'y retourne/ alors i`s mettent solde\ (.) quatre euros/
26 MAT oui alors [tout en bas y a se] réabonner\ (.) cliquez sur se&
27 TEM [euh::\ ]
28 MAT &réabonner qui est tout en bas\
29   (0.6)
30 TEM +alors se réabonner\ votre compte euh locbike euh: vous avez
  matR +vers extérieur-->
31 32 33 34   effectué une mise à jour d'information sur ce site\ ceci est en cours d` traitement/ voulez vous écraser cette première mise à jour et en saisir une nouvelle\ oui ben alors j` vais faire ça\ d'ac[cord/]
35 MAT [oui ]
36   (1.6)
37 38 39 TEM d'accord\ pa`ce que là après i` i` m` donne rien\ (..) voilà d'accord\ alors\ euh j'accepte les conditions générales\ ben j` dois cliquer/ et puis j` fais quoi là\

Mme Temorin rend manifeste qu’elle s’inscrit dans une activité collaborative avec l’opératrice en effectuant une requête auprès de Mathilde. Elle exhibe la temporalité de l’action en train de se faire par l’emploi de prépositions et de marqueurs déictiques « alors là » (l. 17) qui précèdent la requête « j` fais comment/ comment ça marche\ » (l. 17-18) constituant ainsi une première partie de paire adjacente. Elle projette ainsi une deuxième partie de paire adjacente adressée à l’opératrice en réponse à sa question qui est retardée par la suite du tour de la cliente. Elle produit un segment qui rend l’objet ‘écran’ pertinent de manière implicite. En effet, lorsqu’elle dit « s’abonner » (l. 18), aucun segment introductif du type {sujet + verbe} n’est produit, où le sujet renvoie à l’écran mais directement le verbe « s’abonner ». Cet énoncé doit être analysé dans l’environnement syntaxique général du tour, ce qui permet de montrer qu’il s’agit d’un élément de discours rapporté similaire à de la lecture simultanée d’une information écrite sur l’écran de la cliente. Elle termine son tour par l’énoncé d’une nouvelle requête « alors je je vais où:/ » (l. 18) adressée à l’opératrice. De manière rétrospective, le tour de Mme Temorin peut être analysé comme une référence à l’objet ‘écran’ sans que celui-ci soit introduit par le segment introductif {sujet + verbe}. L’enchaînement prosodique du tour permet de rendre compte de la forme de l’énonciation : i) si la cliente partage le contenu de sa pensée ou ii) si la cliente rapporte ou reformule un contenu autre que celui de sa pensée. Ici, la première requête se termine par une intonation descendante, le contenu de l’information rapportée est à l’infinitif avec une intonation montante, puis il est suivi de la préposition « alors » qui précède la requête suivante. L’insertion du verbe à l’infinitif entre les deux requêtes renforce l’activité collaborative dans laquelle s’inscrit la cliente et dans laquelle elle souhaite positionner l’opératrice. En plus des prépositions et des marqueurs déictiques, elle partage une information pertinente dans le déroulement de l’activité qui permet à l’opératrice d’avoir connaissance du contexte dans lequel se trouve la cliente. À partir de cet instant, Mathilde s’aligne sur l’activité collaborative de guidage en direct que propose la cliente et va l’orienter dans les étapes à suivre, pas à pas.

L’opératrice s’auto-sélectionne avant la fin du tour de Mme Temorin pour réagir précisément à l’information donnée entre les deux requêtes. Elle identifie l’énoncé « s’abonner » comme élément perturbateur et produit une hétéro-réparation par la formulation d’un début de désaccord explicite en chevauchement sur la fin du tour de la cliente « nan nan mais vous allez pas/ » (l. 20). Elle répète ensuite partiellement le début de son tour et prolonge le désaccord pré-inséré « vous allez pas dans s’abonner » (l. 20-21). Enfin, elle décrit l’action correcte à réaliser en apportant des informations supplémentaires sur les éléments nécessaires à fournir (le numéro d’identifiant et le code secret) pour mener l’action à son terme (l. 21-22). Comme dans le tour de la cliente, la référence à l’objet ‘écran’ est produite de manière implicite sans l’énoncé d’un segment introductif de type {sujet + verbe} avant le contenu de l’information écrit sur le site internet. Ici, dans le contexte d’activité de guidage en direct, l’objet ‘écran’ est rendu pertinent par l’opératrice avec des descriptions d’actions à mener pas à pas dans le processus de réabonnement. Ces actions sont syntaxiquement adressées à la cliente et sont caractérisées par l’utilisation du verbe « aller » au présent suivi de la nature de l’action-même à réaliser, marquée majoritairement exprimée par un verbe à l’infinitif.

Mme Temorin ratifie l’explication donnée par Mathilde après une seconde de pause (l. 23) en réalisant une répétition partielle du tour de l’opératrice « accéder à mon compte\ » (l. 24) suivi d’une ratification positive « oui ». Dans sa réponse, la cliente reprend uniquement la description de l’action qui de son point de vue représente l’information « clé » et pertinente pour l’avancée de la procédure de réabonnement. La cliente poursuit son tour en indiquant sa progression dans l’activité de guidage en direct : l’énoncé « alors voilà/ » (l. 24) marque la temporalité dans laquelle s’inscrit la cliente. Elle exhibe le fait qu’elle a visuellement repéré l’information d’accès au compte. Elle valide le bon déroulement dans la collaboration de guidage en direct et précise qu’elle « retourne » (l. 25) sur la zone d’accès au compte : il s’agit à présent d’un espace connu pour la participante. Enfin, Mme Temorin termine son tour en produisant un passage de discours écrit retransmis à l’oral avec une référence explicite à l’objet ‘écran’ : « i`s mettent solde\ (.) quatre euros/ » (l. 25). Elle utilise le segment introductif {sujet+ verbe} au pluriel où le pronom personnel « ils » renvoie aux auteurs du contenu du message affiché sur l’écran. Il s’agit d’une personnification de l’écran où la cliente attribue une propriété d’agent humain à travers l’énoncé écrit rapporté à l’oral.

Mathilde valide très brièvement le tour de Mme Temorin (l. 26) et poursuit en indiquant l’action suivante à réaliser. Dans un premier temps, elle situe la localisation spatiale de la zone à repérer sur l’écran « alors tout en bas y a se réabonner » (l. 26), puis dans une deuxième partie de tour, elle indique l’action à faire en reprécisant la zone spatiale vers laquelle se situe le bouton sur lequel il faut agir « cliquez sur se réabonner qui est tout en bas » (l. 26-28). Les deux occurrences du contenu de l’information affichée sur l’écran « se réabonner » sont énoncées sans l’utilisation préalable d’une référence à l’écran avec un sujet et un verbe introductif puisqu’il s’agit ici de la description d’une action à réaliser sur la page du site internet et non de reformuler ou rapporter le contenu d’un message dont l’objectif est de collaborer dans le diagnostic du problème de la cliente.

Cette dernière répond à l’instruction de l’opératrice après une pause de 0.6 secondes en répétant le contenu de l’information sur laquelle il faut agir « se réabonner\ » (l. 30). Elle enchaîne immédiatement par la lecture simultanée d’un message affiché sur l’écran. Aucun segment introductif référant à l’écran n’est produit, cependant le format énonciatif du tour permet d’indiquer la source du message retransmis à l’oral : l’emploi du déterminant « votre » (l. 30) et du pronom personnel « vous » (l. 30,32). Le contenu du message porte sur la notification d’une mise à jour d’information sur le compte de la cliente suivit d’une requête d’acceptation de la mise à jour et de la saisie d’une nouvelle (l. 30-33). L’énoncé du contenu du message se termine par une intonation descendante marquant la fin du passage de discours rapporté en lecture simultanée. Mme Temorin termine son tour par une réponse auto-adressée : elle valide la compréhension du message affiché par une première ratification positive « oui » (l. 33) puis elle verbalise l’enchaînement des actions à venir, qui se déroulent pas à pas « ben alors j` vais faire ça\ ». Ainsi, elle rend accessible à l’opératrice la temporalité dans laquelle elle se situe dans la procédure de réabonnement en direct ; cela permet aux participantes de s’aligner mutuellement dans la co-construction de l’activité de guidage.

Une longue pause de 1.6 secondes suit un chevauchement entre les participantes. Elle est traitée à la fois comme un point de transition pertinent qui permet de statuer qui, de l’opératrice ou de la cliente, va reprendre la parole dans la suite de l’interaction ; et également comme un ajustement de l’opératrice aux actions en train de se faire de la cliente. Cette dernière a annoncé au tour précédent qu’elle allait valider la mise à jour d’une information sur son compte. Elle a donc projeté la réalisation de cette action multimodale ; et l’opératrice, en ne maintenant pas un tour de parole après sa ratification, s’ajuste temporellement au déroulement de l’action multimodale en train de se faire à distance.

La cliente reprend son tour de parole par une ratification positive « d’accord » (l. 37) avec une intonation descendante qui peut être analysée comme une validation de son action multimodale. La suite de l’interaction vient corroborer cette interprétation car elle passe ensuite à une phase supplémentaire dans la procédure de réabonnement. Elle indique temporellement sa position séquentielle dans l’activité en fonction des informations affichées sur l’écran au fur et a mesure des actions réalisées. Pour cela, elle utilise des déictiques « là après » (l. 37) et énonce le contenu des informations affichées à l’écran en rendant l’objet pertinent, marqué par le pronom personnel singulier « il » suivit du verbe « donner » au présent. Ici, aucun contenu de message n’est à reformuler ou à rapporter, puisque l’écran n’affiche « rien » d’après la cliente. Après une micro pause, elle exhibe une nouvelle fois le déroulement de l’activité multimodale en train de se faire et valide au fur et à mesure les phases dans le processus de réabonnement « voilà d’accord » (l. 37-38). Le partage public de ces informations permet à l’opératrice de s’ajuster temporellement à l’avancement de la cliente dans l’activité de guidage en direct. La cliente se rend de nouveau disponible à l’opératrice pour la suite de l’interaction en formulant une requête adressée à l’opératrice qui marque une suspension dans le processus de réabonnement du côté de la cliente : « et puis j` fais quoi là\ » (l. 39).

De manière générale, dans cet extrait, entre les lignes 17 et 39, nous observons que dans le guidage en direct, que ce soit du point de vue du « guideur » (l’opératrice) ou du guidé (la cliente), une organisation séquentielle des phases dans le processus de réabonnement est marquée par « alors, donc, voilà» qui introduisent une nouvelle phase dans l’avancement de l’activité. Ces indices majoritairement produits par la cliente permettent d’informer l’opératrice de l’évolution de l’activité d’un point de vue temporel et favorisent ainsi une co-construction de l’activité entre les participantes et un ajustement de l’opératrice par rapport à la cliente.

Nous avons omis un autre passage dans cette interaction de guidage en direct sur internet durant lequel l’opératrice indique à la cliente de valider son action. Cette dernière lui explique que l’action de valider renvoie à la page précédente. Mme Temorin lui explique ce qui est affiché sur l’écran : elle réalise une longue description des cartes d’abonnement (carte longue durée ou carte CBN). Elle précise également que sa carte CBN est dysfonctionnante, et que le service a dû lui renvoyer une carte LocBike individuelle. Enfin, l’opératrice introduit de nouveau le topic dont il est question, soit se réabonner sur le site internet. La suite de l’extrait proposé ici reprend au moment où l’opératrice invite la cliente à changer de site internet comme dernière solution au problème. À partir de cet instant, Mathilde va également agir en simultané sur son écran et afficher certaines informations sur le nouveau site internet indiqué à la cliente.

40 MAT v- vous vous allez aller sur §l` site de laville\ donc euh:\
  matG §clic 5e onglet locbike laville
41   §en fait euh:::\ c'est trois double vé\ (0.5) point
  matG §maintient position souris sur barre d’adresse-->
42   [lavi-]
43 TEM [alors a]ttendez\§ (0.5) alors\ je recommen:ce/
  matG -----------------§

Mathilde initie la redirection de la cliente sur un autre site internet qui permet également d’effectuer un réabonnement à LocBike en ligne. Elle énonce donc le nom du site « laville » (l. 40) et enchaîne sur l’épellation de l’adresse internet (l. 41-42). Simultanément, elle met en place son interface informatique en affichant le site de LocBike Laville (l. 40) qui est le site actuel sur lequel est la cliente, puis elle dirige et maintient le curseur de sa souris (l. 41-43) sur la barre d’adresse contenant la référence de l’adresse internet. Mme Temorin s’auto-sélectionne et chevauche le tour de l’opératrice qui s’interrompt rapidement (l. 42). La cliente formule une mise en attente et notifie à son interlocutrice l’action qu’elle va réaliser « alors\ je recommen:ce/ » (l. 43).

Mme Temorin montre la compréhension de l’énoncé de l’opératrice par une description différente de l’action à réaliser « alors j’enlève le locbike/ » (l. 44) et valide par une ratification positive « d’accord\ ». Ici, lors de l’énoncé de la nouvelle adresse du site internet, la cliente a deux possibilités de modifier le contenu dans la barre d’adresse du navigateur : i) soit elle saisit de nouveau l’ensemble de l’adresse épelée par l’opératrice ; ii) soit elle supprime seulement le mot ‘locbike.’ dans l’adresse « www.locbike.laville.com ». La cliente a choisi la seconde possibilité qui, dans l’activité de guidage en direct, est plus rapide.

44 TEM alors j'enlève le locbike/ d'accord\
45 MAT voilà [en fait vous en-] vous enlevez l` locbike dans&
46 TEM [laville ]
47 MAT &l'adresse et vous validez\
48   (1.9)
49 50 51 TEM d'accord/ (1.5) pa`ce que là j` suis en train d` perdre un temps\ alors déjà j` savais pas qu` ma carte/ j'ai pas fait §attention si vous voulez\ alors/ oui\ §alors là j` vais où\
  matG §déplace souris vers barre d'adresse---§sélectionne adresse site web laville-->
52   (0.7)§
  matG -----§
53 MAT #là vous euh::\ tout en bas tout à sur la droite\ vous avez un
  ecr #chrgt page sur site laville-->
54   moteur d` recherche\ y en a un qui s'appelle en un [clic\]
55 TEM [locbike]
56   (0.3)
57 MAT voilà\ vous allez sur locbike\ tout à fait/
58   (0.8)
59 TEM c'est dingue\
60 MAT ensuite vous allez dans les formules d'abonnement locbike/

Mathilde valide le choix de Mme Temorin par une reformulation du tour de la cliente et ajoute la notification de valider la modification (l. 45-47). Mme Temorin ratifie l’instruction de Mathilde (l. 49) après une longue pause de 1.9 secondes. De nouveau, une longue pause de 1.5 secondes marque à la fois un point de transition pertinent pour l’opératrice qui peut ou non saisir le tour – ici, la cliente va garder sa position de locutrice – et à cet instant de l’échange, la pause permet également de laisser du temps au système de prendre en compte les modifications chargées par la cliente sur son écran. Elle termine son tour par une nouvelle requête adressée à l’opératrice concernant l’étape suivante dans le processus de réabonnement sur le nouveau site internet : « alors là j` vais où\ » (l. 51). La demande de Mme Temorin a un double effet dans la co-construction de l’activité de guidage en direct : i) d’une part, la cliente notifie à l’opératrice la fin du chargement de la page du nouveau site internet www.laville.com ; ii) d’autre part, elle marque l’initiation de la phase suivante en donnant la parole à l’opératrice pour fournir les instructions de guidage à suivre. Il est important de souligner que sur la fin du tour de Mme Temorin, nous observons du côté de l’opératrice une mise en place simultanée de la page du site internet épelé à la cliente. Séquentiellement, cette action multimodale réalisée à cet instant de l’interaction montre que, lors de l’énonciation de l’adresse du site internet dans les tours précédents, l’opératrice n’était pas en train de lire simultanément le contenu de l’information sur son écran, mais qu’elle faisait appel à sa connaissance professionnelle. Elle décide ensuite d’ajuster le contenu de son écran en rapport avec l’activité en cours, ce qu’elle fait sur la fin du tour de la cliente lorsque celle-ci passe à la phase suivante quand elle dit « alors là j` vais où ».

Le chargement de la page sélectionnée commence au tour de l’opératrice (l. 53) et se prolonge sur plusieurs tours de paroles. Elle n’a donc pas d’accès visuel à la disposition spatiale des différentes options affichées sur l’écran d’accueil du site internet de Laville durant les explications qui sont données pendant le chargement de la page. Mathilde initie sa réponse (l. 53) en reprenant le déictique « là » utilisé par la cliente pour marquer temporellement le passage d’une phase à une autre dans le processus de réabonnement. Dans un premier temps, après une marque d’hésitation, elle oriente spatialement la cliente vers la zone où elle doit diriger son regard et son curseur de la souris sur la page d’accueil du site de Laville : « euh::\ tout en bas tout à sur la droite\ » (l. 53). Dans un deuxième temps, elle décrit l’information sur laquelle la cliente doit agir « vous avez un moteur d` recherche\ y en a un qui s’appelle en un clic » (l. 53-54). À cet instant, aucune formulation d’action n’est encore insérée de la part de l’opératrice du type « vous cliquez sur… ». Après une orientation spatiale, la description de l’information par son contenu permet uniquement à la cliente de se repérer par rapport à l’endroit de la page où est affichée l’option à choisir. Nous observons cependant que Mme Temorin s’auto-sélectionne en chevauchant la fin du tour de Mathilde et prononce un mot isolé « locbike » (l. 55). Après une courte pause de 0.3 secondes, Mathilde montre qu’elle tient compte du mot inséré par la cliente avec la préposition « voilà\ » (l. 57). Elle formule ensuite l’instruction « vous allez sur locbike », ce qui signifie implicitement qu’il faut cliquer sur le terme « locbike » affiché sur l’écran.

Rétrospectivement, nous pouvons dire que la cliente a anticipé l’instruction de l’opératrice puisqu’elle rend public l’élément pertinent dans le déroulement de l’activité de guidage en direct avant que l’opératrice n’arrive à cette étape-là. Une nouvelle fois, à cet instant de l’interaction, la cliente a le choix entre deux possibilités : i) laisser l’opératrice dérouler pas à pas les informations pertinentes de son point de vue dans l’activité de guidage en direct et attendre l’instruction formelle « vous allez sur… » ou « cliquer sur… » ; ii) procéder à une lecture rapide des informations affichées sur son écran et sélectionner l’élément pertinent en relation avec le topic de la conversation. Elle choisi la deuxième possibilité qui permet ainsi de gagner du temps dans l’activité de guidage puisqu’en déterminant le mot « locbike » comme élément référent dans la suite du processus de réabonnement, elle peut agir immédiatement en cliquant sur le terme et passer à l’écran suivant. L’anticipation de Mme Temorin sur l’instruction attendue de Mathilde exhibe également la collaboration des participantes dans l’activité de guidage sur internet en direct, où les deux locutrices sont actives. La cliente produit une évaluation « c’est dingue\ » (l. 59) et l’opératrice enchaîne sur la suite des instructions en indiquant le prochain élément sur lequel doit cliquer la cliente « ensuite vous allez dans les formules d’abonnement locbike/ » (l. 60).

Nous avons omis un dernier passage durant lequel les participantes échangent des explications sur la solution apportée par l’opératrice. Cette dernière justifie la pertinence de sa solution par le fait que la cliente n’arrivant pas à réaliser la procédure de réabonnement sur le site de LocBike, elle a décidé de la rediriger sur un autre site. La fin de cet extrait 3-21 reprend par un tour de Mme Temorin qui continue l’activité de guidage en direct. Nous relevons l’adverbe « alors » (l. 61) qui marque la transition d’une phase à une autre dans le processus de réabonnement. La cliente formule un énoncé hésitant « alors le\ par contre là:/ euh::\ (0.4) euh » (l. 61) avant d’introduire le contenu de l’information affichée sur son écran « formulaire de réabonn`ment locbike/ cébéèn\ » (l. 62).

61 62 TEM vous êtes gentille\ alors le\ par contre là:/ euh::\ (0.4)
#euh formulaire de réabonn`ment locbike/ cébéèn\
  ecr #aff. page site laville
63   c'est [ça\ d'accord\]
64
65
MAT [voilà ] vous l'imprimez\ et puis vous l` remplirez à §la main/ et puis vous nous l` renvoyez\ ça s`ra
  matG §clic lien réabonn.
66   plus [simple\ ]
67 68 69 TEM [parce que] i`s disent pas c` qu` i` faut/ donc j` pense qu'i` faut que je redonne un chèque de de
[cent cinquante euros/]
70 MAT [si/ ça vous dit\ ] #si ça vous dit c` qu’i` faut sur le
ecr #aff. page réabonn.
71   sur le formulaire hein/

Ici, aucun segment introductif de type {sujet+ verbe} ne permet de référer à l’objet ‘écran’ mais nous avons de nouveau le déictique « là » qui établit le lien entre le contenu de l’information et la source d’où elle provient (i.e. l’écran), à un instant précis de l’interaction. En l’absence de segment introductif, le contenu de l’information écrite rapporté à l’oral est comparable à de la lecture simultanée à l’écran où la cliente partage directement les informations disponibles sur son écran dans l’attente d’une validation par l’opératrice. Mme Temorin formule une première validation auto-adressée « c’est ça\ d’accord\ » (l. 63) qui rend reconnaissable l’activité en train de se faire et projette au même moment l’action à réaliser, soit télécharger le formulaire. Enfin, il est important de souligner que durant le tour de la cliente, le chargement de la page demandée se termine et le site internet de Laville s’affiche sur l’écran de l’opératrice (l. 62). Elle n’avait donc temporairement pas accès aux informations.

Mathilde valide à son tour l’énoncé produit par la cliente en chevauchant la fin de son tour « voilà » (l. 64) et donne des explications supplémentaires sur la fin de la procédure de réabonnement, à savoir imprimer le formulaire et le remplir manuellement avant de le renvoyer au service clientèle LocBike (l. 64-65). De manière concomitante à son tour, l’opératrice poursuit la mise en place de son interface informatique pour obtenir le même écran que la cliente, et clique sur le lien des formules de réabonnement (l. 65). Mme Temorin s’auto-sélectionne une nouvelle fois et saisit son tour de parole en chevauchement sur la fin du tour de l’opératrice pour obtenir des informations complémentaires sur les pièces à fournir lors du réabonnement. Le début de son tour « i`s disent pas c` qu` i` faut/ » (l. 67) marque une référence à l’objet ‘écran’ dont le segment introductif « ils disent » s’appuie sur une figure de style de personnification où l’objet ‘écran’ est substitué par les acteurs professionnels (les webmasters, les responsables de LocBike) à l’origine des messages et des informations écrits sur le site internet. Ici, le contenu de l’information écrite rapporté à l’oral est absent puisque justement, la cliente utilise la forme négative dans le segment introductif pour spécifier que rien n’est indiqué sur le site internet concernant les pièces à fournir. En l’absence d’informations sur le site internet, elle suggère de redonner un chèque de caution. La fin de son tour est chevauchée par une auto-sélection de l’opératrice qui réfute le début d’énoncé de la cliente « si/ ça vous dit\ si ça vous dit c` qui faut sur le sur le formulaire hein/ » (l. 70-71). Cependant, Mathilde n’invalide pas la suggestion de redonner le chèque de caution.

L’analyse de cet extrait nous a permis d’étudier un autre cas de guidage en direct sur internet où les participantes intègrent l’objet ‘écran’ en utilisant des procédés de discours écrit retransmis à l’oral (ex : « i` refuse de continuer ») et des instructions locatives (ex : « vous allez sur… ») qui indiquent les opérations que la cliente doit suivre pour résoudre son problème. Dans les discours rapportés ou reformulés, nous avons recensé l’emploi des verbes « dire » (x4), « refuser » (x2), « être », « mettre », et « donner » (x1) associés aux pronoms « il » (x5), « ils » (x2), « on » et «  ça » (x1). Contrairement à l’extrait précédent, les références à l’écran sont produites aussi bien par les deux participantes (vingt et une occurrences par la cliente contre dix huit par l’opératrice). Ici, l’activité de guidage en direct est donc co-construite par les deux interlocutrices et un ajustement temporel est constant tout au long de l’interaction. L’objet ‘écran’ est à la fois thématisé et mobilisé par les participantes. En plus des références à l’écran, la mobilisation de l’artefact est également rendue manifeste par la cliente lorsqu’elle formule des demandes de mise en attente. L’utilisation de références à l’objet ‘écran’ permet aux participantes de maintenir une connaissance partagée sur la position de chacune dans l’activité de guidage, notamment grâce à l’expression de déictiques et des connecteurs spatio-temporels qui indiquent la fin de la réalisation d’une instruction donnée (énoncés produits par la cliente), ou le début d’une nouvelle instruction à suivre (énoncés produits par la cliente ou l’opératrice). Ainsi, les participantes gèrent le déroulement du guidage pas à pas, en se laissant la possibilité de revenir à une instruction précédente, ou de prolonger une instruction en cours en fonction de la vitesse de réaction du système sur lequel est en train d’agir la cliente.

Nous venons d’analyser deux extraits qui rendent compte de l’organisation fine des tours de parole et des ressources utilisées par les participantes pour collaborer dans l’activité de guidage en direct sur internet. Cette activité est pertinente dans l’analyse du phénomène de discours rapporté ou reformulé à l’oral du fait que les participantes ont recours à de nombreuses ressources pour partager leur lecture des informations affichées sur l’écran. Afin d’être la plus précise et efficace possible, elles thématisent l’objet dans leur discours pour incarner le statut institutionnel et formel de leurs énoncés.

Nous avons relevé des éléments caractéristiques de ce type d’activité notamment au niveau de certaines catégories grammaticales récurrentes comme l’utilisation : i) de déictiques spatiaux « là, tout en bas, sur la droite, sur, dans, dessus » ; ii) de connecteurs « et, alors, voilà, en fait, par contre » ; iii) d’adverbes de temps « après, alors » ; et parfois iv) l’association entre deux de ces catégories « et là, là après, alors là, par contre là » ou l’association entre deux termes à l’intérieur d’une même catégorie « alors voilà, voilà alors, voilà en fait ». La position syntaxique de ces éléments grammaticaux est toujours dans l’environnement proche d’un énoncé descriptif, d’un discours rapporté ou reformulé ou d’une consigne, et ce en relation avec le contenu d’informations affichées sur l’écran. Nous les trouvons en position antérieure ou postérieure par rapport au segment rendant l’écran pertinent, bien qu’une majorité d’occurrences en position antérieure est observée (vingt-quatre cas en position antérieure contre huit en position postérieure.). Les participants valorisent ainsi une alternance des tours de parole par une introduction, en début de leur tour, d’éléments grammaticaux structurant les énoncés descriptif relatifs à de l’information affichée sur l’écran. Les éléments grammaticaux positionnés en début de tour favorisent le découpage par phase, au fur et à mesure du guidage, que ce soit pour la cliente ou pour l’opératrice. Ils contribuent également à l’ajustement réciproque des participants en fonction de l’avancée de chacun durant l’activité. Ils marquent enfin le passage d’une phase à une autre ; les participants peuvent à tout moment revenir à une phase précédente ou bien suspendre l’avancement d’une phase actuelle si l’un d’entre eux n’est pas synchrone. Du point de vue de la répartition des éléments grammaticaux selon les participantes, nous avons observé un nombre d’occurrences plus fréquent de la part des clientes que des opératrices (vingt-deux exemples côté clientes contre dix côté opératrices).

Nous avons expliqué que les éléments grammaticaux (adverbe, préposition, etc.) se rencontraient dans l’environnement proche d’énoncés rendant l’écran pertinent. Il faut préciser que ces énoncés référentiels sont également introduits par une première forme de segment de type {sujet + verbe}, où le sujet est directement une marque d’adresse orientée vers un locuteur désigné. Le champ lexical des différents verbes employés dans ce type d’énoncé est caractéristique de l’activité de guidage accomplie en référence à des informations affichées sur l’écran. D’une part, nous avons les instructions données par l’opératrice où la désignation du locuteur, la cliente de manière récurrente, peut être réalisée de deux façons : i) elle peut être explicitement marquée par l’utilisation du pronom personnel « vous » (vingt et une occurrences) ; ii) elle peut être absente syntaxiquement, et dans ce cas elle sera implicitement marquée par l’utilisation d’un verbe à l’impératif (deux occurrences, ex : « cliquez sur »). Ensuite, l’opératrice formule ses instructions en utilisant des verbes associés ou non à des déictiques spatiaux au format d’énonciation négatif (ex : « vous allez pas ») ou positif (ex : « vous allez aller ») :

Verbes simples Verbes + déictiques Occurrences
Aller Aller + sur/dans 10
Aller aller/voir Aller aller/voir + sur/dans 4
Avoir Etre + sur/dessus 4
Valider, Enlever Cliquer + sur 5

Nous avons relevé une seule occurrence où l’opératrice produit un commentaire à la première personne du singulier « j’ai essayé de vous guider » qui n’introduit pas un énoncé descriptif référentiel à un contenu affiché sur l’écran. Ici, elle exhibe explicitement un account de l’activité en train de se faire et elle se positionne en tant que participante « compétente » vs. « novice » par rapport à la cliente dans cette activité de guidage. Le commentaire est cependant toujours adressé à la cliente.

D’autre part, nous avons observé des requêtes d’instruction et des énoncés contextualisants du côté client où la désignation du locuteur est auto-adressée dans la majorité des cas. À la différence des segments introductifs produits par l’opératrice, les énoncés des clientes sont toujours marqués par la présence d’un pronom personnel à la première personne « je » (onze occurrences). Le champ lexical des verbes proposés dans les exemples d’énoncés contextualisants peut être également associé à des déictiques spatiaux, comme expliqué pour les énoncés produits par les opératrices :

Verbes simples Verbes + déictiques Occurrences
Etre Etre + sur 3
Accepter, Recommencer, Enlever   3
Devoir cliquer   1

Nous avons constaté un nombre plus important de segments introductifs sans déictiques spatiaux, ce qui est cohérent avec le type de verbe utilisé par les clientes. Il s’agit plutôt de verbes d’action où la participante notifie oralement l’action qu’elle est en train de réaliser (ex : « j’accepte »), et non un état dans lequel elle se trouve (ex : « je suis »). Concernant les requêtes d’instruction, nous avons relevé quatre occurrences dans un des deux extraits : « je fais comment », « je fais quoi » et « je vais où » (à deux reprises). Il s’agit de requêtes adressées à l’opératrice initiant la phase suivante dans l’activité de guidage. Les verbes « faire » et « aller » sont associés à des adverbes de lieu et de manière marquant une focalisation implicite sur l’écran. Enfin, nous avons noté deux occurrences d’énoncés rendant pertinent le contenu affiché sur l’écran, dont le choix de la locutrice étant alors explicitement adressé à l’opératrice avec l’utilisation du pronom personnel à la deuxième personne du pluriel « vous » dans « v` voyez ». Cette construction renvoie à une connaissance potentiellement partagée par les deux participantes des informations affichées sur l’écran au fur et à mesure.

De manière générale, la première forme de segments de type {sujet + verbe} qui introduit un énoncé référentiel à l’écran est plus fréquente chez l’opératrice (vingt-quatre occurrences contre treize chez la cliente). Cela montre donc que la répartition des rôles est clairement exhibée par les participantes elles-mêmes : l’une se positionne dans l’activité de « guider », l’autre dans l’activité « d’être guidée ». L’opératrice s’inscrit parfaitement en tant que « guideur » en enchaînant les instructions adressées à la cliente, tandis que la cliente se positionne également comme la personne « guidée » en exhibant sa compréhension des instructions et en régulant l’interaction par de nombreux déictiques spatiaux-temporels, ce qui permet au « guideur » de s’ajuster à la vitesse d’exécution de son interlocutrice.

L’activité de guidage en direct sur internet peut donc être une activité gérée soit par l’opératrice seule, soit par les deux participantes de manière collaborative. Lorsque l’activité est menée par l’opératrice, cela n’exclut pas une collaboration de la part de la cliente. Nous observons effectivement une co-construction de l’activité par les interlocutrices rendue manifeste par des ajustements mutuels, cependant, l’opératrice décide, à un moment donné de l’interaction, de guider la cliente sans que celle-ci agisse simultanément sur l’écran. L’activité de guidage en direct est donc transformé : la modalité de l’activité « en direct » est minimisée pour laisser place à l’expression d’instructions successives que la cliente doit mémoriser pour réaliser ultérieurement les actions sur son écran. Les références à l’écran sont alors enrichies par des références spatiales permettant à l’opératrice de décrire de manière plus précise la disposition des éléments sur la page internet, éléments sur lesquels devra agir la cliente. Enfin, lorsque l’activité de guidage en direct est co-construite de manière constante sur l’ensemble de l’interaction, les participantes s’ajustent au fur et à mesure des échanges de chacune et marquent syntaxiquement le passage d’une instruction à une autre avec l’utilisation de connecteurs temporels. Ainsi, elles peuvent à tout moment accélérer ou ralentir la temporalité de l’interaction pour revenir à une instruction passée, laisser le temps au système de charger les pages activées, ou notifier la fin de la réalisation d’une instruction donnée et par conséquent, passer à l’instruction suivante. Les références à l’écran permettent ainsi aux participantes de maintenir cet ajustement mutuel en s’appuyant formellement sur les indications affichées sur l’écran. L’objet ‘écran’ devient alors une ressource particulière pour les participantes déterminant l’activité de guidage. L’opératrice s’oriente alors vers l’activité reconfigurée, de manière dynamique et située par l’écran et la demande spécifique de la cliente. Elle revêt ainsi une position d’experte dans la manipulation de l’écran (par opposition à la position de non experte de la cliente) en rendant donc intelligible la procédure de réabonnement, qui était problématique pour la cliente.