Recommandations prospectives par l’opératrice

Nous avons analysé jusqu'à présent différentes phases d’appel où les participants intégraient l’objet ‘écran’ dans leurs discours : i) en ouverture d’appel : lors de la formulation du problème par le client ; ii) en cours d’appel : lors d’une résolution du problème en direct par les participants, de manière collaborative, ou encore lors du diagnostic ou de la résolution du problème par l’opérateur où il décide de partager certaines informations affichées sur son écran. En dernier lieu, nous nous sommes intéressées à la phase finale d’un appel où nous avons remarqué également des passages de références à l’objet ‘écran’ formulés par l’opératrice.

Nous proposons ici l’analyse de trois extraits présentant une activité de recommandations prospectives suggérées par l’opératrice dans le but de prévenir d’éventuels problèmes. Ici, le problème récurrent thématisé par le participant est un problème de « demande de crédit du compte » lors d’une prochaine location de vélo. En effet, ce type de problème peut émerger en cas d’une facturation inattendue. Nous allons voir que l’opératrice décide de prévenir cet éventuel problème en conseillant les démarches à suivre pour résoudre rapidement ce nouvel incident. Elle va réaliser pour cela des références à l’objet ‘écran’ avec l’utilisation des segments introductifs suivis du contenu du message affiché sur l’écran. Ici, le sujet renvoie systématiquement à l’écran de la borne d’une station LocBike.

Dans l’extrait 3-27, Mme Dinorain appelle pour un problème de vélo toujours en cours de location. Après la phase d’identification de la cliente dans la base de données, l’opératrice ratifie le fait qu’un vélo soit en location sur le compte. Afin de procéder à la résolution du problème, Samira doit vérifier l’endroit sur lequel la cliente a reposé le dernier vélo ; pour cela, nous observons une longue séquence de localisation géographique de la station par les participantes. Cependant, la cliente ne se trouve pas devant la station au moment de son appel et elle n’arrive pas à resituer la localisation géographique exacte de la station. L’opératrice lui suggère donc de rappeler le service LocBike lorsqu’elle sera devant la borne pour identifier le numéro de la bornette sur laquelle a été reposé le vélo. Mme Dinorain n’accepte pas cette proposition, ce qui a pour conséquence de ré-ouvrir une séquence de localisation géographique à l’aide de descriptions multiples – séquence qui sera non productive une seconde fois. Samira propose enfin d’envoyer un technicien sur différentes stations dans le secteur décrit par la cliente pour vérifier l’adéquation entre le numéro du vélo indiqué sur le compte client et celui réellement accroché sur la bornette. Elle s’assure également des bonnes vérifications effectuées par la cliente au moment d’avoir déposé son vélo (i.e. témoin lumineux vert et bip sonore). L’opératrice réalise une longue séquence de rappel sur les différents signaux à vérifier lorsqu’un client repose un vélo. L’extrait 3-27 commence après 4’11 minutes d’appel entre les participantes, au moment où l’opératrice propose à la cliente de réessayer sa carte d’abonnement dans un délai de 48h minimum, après que le technicien soit passé sur la station (l. 1-3).

Ext3-_L26-16_45’10 : Si jamais
1 SAM [euh:: donc] en fait j` vous invite à réessayer votre carte&
2 DIN [d'accord ]
3 SAM &dans quarante huit heure ça devrait être débloqué
4   (1.4)
5 DIN bon ben [d'accord\]
6 7 8 SAM [d'accord ] et si jamais ça vous demande de recréditer/ .h c'est que: çavous a facturé alors que ça n` devrait pas\ (0.4) dans c` [cas là] il suffira de nous repasser un p`tit&
9 DIN [ouais ]
10 SAM &coup d` fil et puis on annul`ra la facture manuellement\

Après une longue pause de 1.4 secondes, Mme Dinorain valide la directive proposée par l’opératrice « bon ben d’accord\ » (l. 5) et cette dernière poursuit son tour en chevauchement de la fin du tour de la cliente. Elle introduit une phase de recommandations prospectives où elle rend l’objet ‘écran’ pertinent « si jamais ça vous demande » (l. 6). Le pronom personnel sujet « ça » renvoie à l’écran et le contenu du message est reformulé « de recréditer » (l. 6). Elle termine son tour en donnant la raison de l’émergence du problème (l. 7) puis l’attitude à adopter « dans c` cas là » (l. 8) pour résoudre ce problème (l. 10). Ici, il s’agit d’une référence à une situation hypothétique. Durant le long tour de Samira, la cliente formule une brève ratification à valeur de continuateur (l. 9).

Dans l’extrait 3-28, Mme Fandimet appelle le service LocBike pour un problème de vélo toujours en cours de location. Après l’identification de la cliente dans la base de données, cette dernière formule la raison de son appel et donne des informations précises sur le numéro de la bornette où a été déposé le vélo ainsi que le numéro du vélo lui-même. Samira demande ensuite à la cliente de lui donner le numéro de la station, cependant, Mme Fandimet n’est pas physiquement devant la station car elle appelle depuis une cabine téléphonique située à quelques mètres de la station et depuis sa position, elle ne peut visualiser le numéro de la station affiché en haut de celle-ci. Elle propose donc de poser le combiné quelques instants le temps d’aller voir le numéro de la station. L’opératrice va finalement retrouver ce numéro simultanément à l’échange avec la cliente grâce à la localisation de la station sur le plan papier qu’elle a à sa disposition. Elle met ensuite Mme Fandimet en attente pendant qu’elle consulte les informations en relation avec la station concernée. Après vérification, elle confirme à la cliente l’état de son vélo toujours en location sur la bornette correspondant au numéro donné. L’extrait 3-28 commence après 2’16 minutes d’interaction au moment où Samira confirme à la cliente que sa carte va être débloquée « sans aucune facturation\ » (l. 1).

Ext3-_L26-16_07’02 : Machine recrédite
1 SAM [euh ] donc j` vous débloque la carte sans aucune facturation\
2 FAN [ouais]
3 SAM (0.5) [dans] deux minutes\ (0.5) par contre/ si dans plusieurs&
4 FAN [oui ]
5 6 SAM &jours la machine vous dit de recréditer c'est que malgré tout [ça a été] facturé alors que ça n` devrait pas\ (0.5) [donc]&
7 FAN [oui ] [oui ]
8 9 SAM &dans c` cas là\ il suffit de nous app`ler\ (.) et on annul`ra la facture\

Après une courte pause de 0.5 secondes, elle précise le délai à attendre avant de pouvoir utiliser de nouveau sa carte, soit « dans deux minutes\ » (l. 3), puis elle suggère quelques recommandations prospectives en prévention d’éventuels problèmes lors d’une prochaine location de vélo « si dans plusieurs jours » (l. 3-5). Elle réfère ensuite implicitement à l’écran « la machine vous dit » (l. 5) où par une métonymie est établie une relation de contenu « les informations affichées sur l’écran » à contenant « la machine ». L’opératrice énonce le contenu du message possiblement affiché sur l’écran « de recréditer » (l. 5) puis la raison de l’émergence de cet éventuel problème (l. 6). Elle termine son tour par l’explication de l’attitude à adopter « dans c` cas là\ » (l. 8), à savoir appeler le service LocBike qui annulera le débit engendré. Tout au long du tour de Samira, Mme Fandimet réalise des ratifications minimales « oui » qui servent de continuateurs dans l’échange.

L’extrait 3-29 fait suite à l’extrait 3-26 où Mlle Baulin appelle pour un problème de vélo non détecté dans la bornette. L’opératrice a déjà établi son diagnostic : il s’agit d’un problème technique de la bornette. Après plusieurs tentatives de réinitialisation de la bornette du côté opérateur en collaboration avec le client opérant des secousses du vélo, il apparaît finalement que la bornette détecte le vélo. Les participantes peuvent donc s’orienter vers la clôture de l’appel, une fois la recréditation du compte opérée par l’opératrice. L’appel dure depuis 4’25 minutes au moment où commence l’extrait 3-29. Mathilde va enfin formuler quelques recommandations prospectives dans le cas d’éventuels problèmes ultérieurs.

Ext3-_L25-15_05’20 : Vous dites juste (=> Bornette libre)
1 2 3 BAU donc là ma carte fonctionne/ et si jamais à nouveau elle elle se rebloque\ (0.3) j` vous appelle et ça veut dire que::: (.) les techniciens sont v`nus réparés et voilà\
4 MAT voilà\ tout à fait donc euh:: vous [ inquié]tez pas vou:s\&
5 BAU [d'accord]
6 7 8 9 MAT &`fin on est tous au couran:t on sait tous euh c` qui s` passe donc euh vou:s vous dites juste ben voilà j'ai eu un problème y a quelques jours/ et là ça m'a enl`vé le:: (..) ça m'a fait ça me:: ça m` demande de recréditer donc i` faudrait
10 m'[enlever l` débit]
11 BAU [d'accord ]
12   (0.3)
13 MAT ((tousse)) ((tousse)) [voilà]
14 BAU [okay ]
15   (0.4)
16 17 BAU super/ (0.5) ah/ ben du coup i::- i:- c'est bon il a vu que j'avais rendu l` vélo\ (.) génial\
18   (..)
19 MAT voilà\

Mlle Baulin initie une pré-clôture de l’appel en proposant un résumé de l’état actuel de son compte « donc là ma carte fonctionne/ » (l. 1) et elle introduit la séquence de recommandations prospectives en topicalisant l’éventuelle émergence d’un problème « si jamais à nouveau elle elle se rebloque\ » (l. 1-2). Ici, la structure hypothétique est réalisée par la cliente et non par l’opératrice (cf. exemples précédents). Elle termine son tour par une suggestion d’action à réaliser « j` vous appelle et ça veut dire que::: (.) les techniciens sont v`nus réparés et voilà\ » (l. 2-3). Mathilde rassure la cliente sur l’état de son compte et confirme le fait que l’ensemble des opérateurs à LocBike ont connaissance du problème rencontré par Mlle Baulin (l. 4,6). Elle projette ensuite l’apparition potentielle d’un problème lors d’une prochaine location de vélo, c'est-à-dire une demande recréditation suite à un débit trop important. En effet, le problème actuel qui vient d’être résolu par l’opératrice avait engendré un débit sur le compte de la cliente. Ce débit a été annulé par Mathilde mais pour une question de prévention, elle conseille à la cliente la réaction à avoir lors d’un problème de débit persistant lors de sa prochaine course LocBike. Cette séquence de recommandations prospectives est composée de références à l’objet ‘écran’ où l’opératrice se substitue à la cliente « vous vous dites juste » (l. 7), et énonce le contenu des informations à mentionner « ben voilà j’ai eu un problème y a quelques jours/ ». Mathilde hésite ensuite sur la structure introductive du discours reformulé à l’oral « et là ça m’a enl`vé le:: (..) ça m’a fait ça me :: ça m` demande de » (l. 8-9). Le pronom déterminant sujet « ça » renvoie systématiquement à l’écran tandis que, pour le verbe introductif, elle alterne entre énonciation au passé et énonciation au présent. L’opératrice est en train de parler à la place de la cliente en construisant un exemple de message à donner en cas de problème. Par conséquent, la recherche du verbe introductif adéquat marque une volonté de l’opératrice de proposer la formulation la plus pertinente en fonction du contenu du message reformulé « de recréditer » (l. 9). Les propositions successives de verbe introductif marque également une manière de se rapprocher avec le plus d’exactitude possible le contenu réel du message afficher sur l’écran qui est « créditer mon compte ». Le choix du verbe introductif est important en fonction du contenu de l’information apporté en seconde partie du tour.

Nous observons une séquence d’auto-réparation à la fin du tour de l’opératrice lorsqu’elle dit « donc i` faudrait m’enlever l` débit » (l. 9-10). Elle reprend ici le verbe « enlever » inséré une première fois ligne 5 au cours de la recherche du verbe introductif adéquat. Après avoir formulé le contenu du message affiché sur l’écran, Mathilde donne une proposition de requête à faire suite au problème de crédit, à savoir enlever le débit sur le compte de la cliente. Cette dernière valide la recommandation donnée par l’opératrice en chevauchant la fin du tour « d’accord » (l. 11). Les participantes clôturent simultanément la séquence de recommandation par une ratification minimale en chevauchement (l. 13-14) puis après une courte pause de 0.4 secondes, Mlle Baulin formule une évaluation positive sur le fait que le vélo a été reconnu informatiquement par le système. Elle rend l’objet ‘écran’ pertinent lors de son évaluation – référence à l’écran de l’opératrice et non celui de la station – avec l’emploi du pronom personnel sujet « il » dans « i::- i:- c’est bon il a vu ». L’utilisation du verbe « voir » dans le segment introductif marque un double emploi de figure de style : i) la personnification de l’écran ; ii) la métonymie où est établie une relation de contenant à contenu entre l’écran et les informations affichées via le système informatique qui gère la base de données des stations vélos. L’extrait se termine sur la validation de l’opératrice après une micro pause « voilà » (l. 19).

L’analyse de ces trois extraits, présentant à la fois une activité de recommandations prospectives par l’opératrice ainsi que la description d’un problème hypothétique introduite par « si », a permis de montrer certains systématicité dans l’organisation des tours de parole. En effet, nous retrouvons une séquence de discours écrits retransmis à l’oral comprenant une référence à l’objet ‘écran’ qui est toujours précédée par « si » dans une construction syntaxique de type {si X c’est/ça veut dire + que Y}. Cette construction permet d’établir une relation de dépendance de cause à effet en posant une condition préalable et elle détermine le caractère prospectif des énoncés suivants. Dans les deux premiers extraits, la première partie d’énoncé {si X} est formulé par l’opératrice, où ‘X’ correspond au segment de discours écrit retransmis à l’oral. La première partie d’énoncé {si X} dans le troisième extrait est formulé par la cliente et aucune référence à l’écran n’est relevée ; la cliente thématise explicitement l’objet ‘carte’ avec l’utilisation du pronom personnel « elle » dans « si elle se rebloque ». Nous remarquons également que le passage de discours écrit reformulé à l’oral est grammaticalement construit de la même façon que dans la phase de formulation du problème par le client, à savoir avec le segment introductif {sujet + verbe} suivi du contenu de l’information reformulé à l’infinitif « recréditer ».

La seconde partie de l’énoncé {c’est/ça veut dire + que Y} renvoie à la cause du problème (généralement une facturation indésirable), alors que la première partie incarne sa conséquence. De manière générale, le format énonciatif de la construction syntaxique {si X c’est/ça veut dire + que Y} est exprimé au présent. L’activité de recommandations prospectives n’implique donc pas un format d’énonciation temporellement marqué au futur. L’utilisation de la préposition « si » en début d’énoncé permet de formuler un discours passé ou futur au temps présent afin de renforcer la légitimité du conseil donné en prévention. Pour les participantes, il ne s’agit pas ici d’émettre une liste des éventuels problèmes pouvant émerger, mais d’exprimer des conseils avisés sur un problème donné, en apportant à la fois sa cause et sa conséquence ; et la façon de le résoudre de manière efficace. Les participantes ne laissent pas de choix possible quant à l’attitude à adopter pour résoudre le problème donné : une solution est préférée pour palier au problème rapidement. L’intégration de l’objet ‘écran’ marque ici une volonté de précision et a valeur de référence attestant l’information donnée.

Nous venons d’analyser les vingt-huit extraits de la collection tirés du corpus LocBike présentant des séquences de discours écrits retransmis à l’oral au cours de quatre phases d’activité. Nous avons pu observer la complexité et la diversité des formats d’énonciation de ces discours rapportés ou reformulés en fonction de leur position séquentielle dans l’échange. Dans le tableau ci-dessous, nous avons essayé de synthétiser les résultats obtenus grâce à nos analyses afin de mieux rendre compte de la répartition des différents éléments grammaticaux et syntaxiques observés en fonction des phases d’activités. Ces résultats présentent la tendance générale des critères, c'est-à-dire que les termes inscrits dans chaque colonne correspondent à la majorité des occurrences recensées parmi l’ensemble des exemples des vingt-huit extraits. Nous n’excluons pas cependant les autres éléments grammaticaux et syntaxiques de nos résultats, et en tenons compte dans chacune des conclusions intermédiaires de nos sections.

Tableau 5 : Synthèse des analyses sur les références à l’objet ‘écran’
Formulation du problème
(18 extraits)
Guidage en direct
(3 extraits)
Informations écrites partagées
(4 extraits)
Recommandations prospectives
(3 extraits)
Client
Temps Présent
Déictique
Opérateur
Temps Présent
Déictique
Connecteur
Opérateur
Temps Présent

Connecteur
Opérateur
Temps Présent
Déictique
Dire
Demander
Mettre
Dire

Mettre
Dire

Mettre
Dire
Demander
Il
Ça
Il (DR)
Ça (DR)
Vous (Instructions)
Je (Instructions)
Il
J’ai
C’est
Ça
- Reconstruction des phases antérieures
« Quand je … alors »
- Discours reformulé
- Instructions + Discours rapporté
- Mise en attente
- Références spatiales
- Description contenu + Discours reformulé - Rappel préventif
« Si … alors » +
- Discours rapporté

À partir de ces données, nous pouvons constater que la plupart des références à l’objet ‘écran’ sont réalisées par le client. Cependant, si nous comparons les indications en fonction des activités dans lesquelles sont engagés les participants, nous avons effectivement trois activités sur quatre où c’est l’opérateur qui formule le plus de références à l’écran. Mais si nous regardons les chiffres en fonction du nombre d’exemples dans la totalité des extraits, c’est majoritairement le client qui produit le plus de discours écrits retransmis à l’oral (dix-huit extraits contre dix). La phase de formulation du problème est plutôt occupée par le client alors que les phases de guidage en direct, de partage d’informations écrites ou de recommandations prospectives sont initiés et menées par l’opérateur. Les références à l’écran peuvent donc émerger tout au long d’une interaction de service, mais il existe une distribution entre le client et l’opérateur pour produire ces références en fonction de la phase d’activité dans laquelle ils sont engagés. Ce constat vient renforcer les observations montrant que, dans les interactions en centre d’appels, le temps de parole du client est beaucoup plus important dans les premières minutes de l’échange correspondant à la formulation du problème tandis que le temps de parole de l’opérateur est plus conséquent dans la suite de l’interaction, puisqu’après avoir les données nécessaires, il s’occupe de traiter la demande.

D’autre part, nous avons remarqué un point commun entre les quatre phases d’activités au niveau du temps de l’énonciation des discours retransmis à l’oral. Dans la majorité des occurrences, que ce soit à l’intérieur des segments introductifs ou même du message retransmis, les locuteurs utilisaient de préférence le présent. L’utilisation du présent lors d’un discours écrit reformulé ou rapporté à l’oral n’implique pas nécessairement une simultanéité de l’action en train de se faire, ou bien la présence en temps réel du locuteur devant l’écran. Nous l’avons souligné par exemple lors de la phase de recommandations prospectives où l’opérateur donne des conseils préventifs en rendant pertinent le contenu informationnel écrit sur l’écran d’une borne. L’opérateur ne se trouve pas physiquement devant l’écran de cette borne, mais il situe temporellement son énoncé au présent. L’utilisation du présent de manière générale dans les énoncés de discours retransmis à l’oral marque ainsi un ancrage temporel dans l’instant de l’interaction. Les informations auxquelles ils réfèrent correspondent à des informations textuelles, figées sur un support à un instant donné, parfois récurrentes si le participant reproduit une même action. Dans la phase de guidage en direct, il est logique d’avoir des formats d’énonciation au présent puisque les participants sont en train de réaliser les actions qu’ils disent ou qu’ils reçoivent au fur et à mesure.

Nous avons relevé la présence de nombreux déictiques spatiaux et temporels, ainsi que des connecteurs dans l’environnement immédiat des séquences de discours écrit retransmis à l’oral. Ils permettent de segmenter les tours de paroles des locuteurs en marquant le positionnement temporel de chacun au fur et à mesure de l’activité. Ils favorisent les réajustements mutuels des participants notamment dans l’activité de guidage en direct. Ils structurent enfin l’organisation des énoncés pour rendre accountable la fin d’une action et le début de la suivante.

Nous allons à présent nous focaliser sur la première partie d’un discours écrit retransmis à l’oral, soit le segment introductif {sujet + verbe}. Nous avons noté que le champ lexical des verbes introductifs était assez varié, cependant, trois verbes sont utilisés plus couramment par les participants : les verbes  « dire », « demander » et « mettre ». Le verbe « dire » est le seul verbe utilisé dans toutes les phases d’activité analysées. Cette observation vient confirmer notre constat de départ, selon lequel nous avions établi un lien étroit entre les segments introductifs d’un discours écrit retransmis à l’oral et ceux rencontrés dans les travaux sur les discours de l’oral rapporté. Qu’il s’agisse d’une information écrite sur un écran, ou d’une parole prononcée par un participant, le locuteur utilise de préférence le verbe « dire » pour introduire l’énoncé rapporté ou reformulé. Le caractère humain ou non humain du sujet référent ne semble pas perturber le choix du verbe chez les locuteurs.

Nous avons étudié également la répartition des pronoms personnels rendant l’objet ‘écran’ pertinent. Le pronom personnel « il » et le pronom démonstratif sujet « ça » sont majoritairement employés par les participants pour référer à l’écran. Nous avons aussi noté des occurrences des pronoms personnels « vous » et « je » qui sont uniquement utilisés dans des séquences d’instructions ou de descriptions relatif à du contenu informationnel affiché sur un écran. Ils sont alors associés à des verbes d’actions (ex : « vous allez sur » ; « je clique sur », etc.) et la référence à l’écran est alors marquée de manière implicite à travers l’action instruite et le contenu de l’information correspondant à un élément inscrit sur l’écran. Par ailleurs, nous avons relevé des cas rares d’explicitation de l’objet référant avec l’utilisation d’expressions locatives « sur l’écran », « sur les bornes » ou avec une nominalisation de l’objet en sujet du verbe introductif « la machine », « les p`tits nouveaux écrans », « les messages sur l’écran ». Ce double emploi nominal ou pronominal révèle à la fois un taken-for-granted de la technologie, c'est-à-dire un savoir partagé sur l’existence d’une borne, d’un écran, etc.) et une expression très parcellaire et fragmentée (i.e. plus implicite avec l’utilisation des pronoms).

Nous avons remarqué différentes constructions syntaxiques dans l’environnement immédiat des énoncés rapportés ou reformulés. Ces constructions forment une pré-séquence de discours retransmis à l’oral non systématique mais préférentiellement introduites par les participants. Nous avons, d’une part, des pré-séquences de reconstruction des phases antérieures lors de la formulation du problème où le client explique les dernières actions réalisées sur la borne avant de voir apparaître un message problématique. D’autre part, nous avons des séquences de rappel préventif lors des recommandations prospectives, où l’opérateur introduit la séquence de discours reformulé ou rapporté à l’intérieur d’une construction figée de type « si…alors ». Ces constructions syntaxiques dépendent fortement de l’activité dans laquelle elle est produite. Nous avons également détaillé les positions séquentielles de ces discours écrit retransmis à l’oral :

Tableau 6 : Position séquentielle des discours retransmis à l’oral
En ouverture d’appel
(formulation du problème)
En cours d’appel
(après identification du client dans la base de données)
En fin d’appel
(après diagnostic et explication/résolution du problème)
Client - Après les tours de salutations (x2)
- Après reconstruction des phases d’utilisation de la borne (x7)
- Après question OPE (x1)
- Informations supplémentaires (x1)
- Après question/commentaire OPE (x6)
  17
Opérateur - Question (x2) - Questions supplémentaires (x1)
- Explications supplémentaires (x2)
- Après affirmation/question CLI (x2)
- Explications préventives (x3) 10
12 12 3  

Ce recensement nous permet de dégager des systématicités dans les pratiques des participants dans l’activité d’intégrer l’objet ‘écran’ dans leur discours. Ainsi, nous observons que le client produit plus de discours rapporté ou reformulé que l’opérateur. En ouverture d’appel, les discours retransmis à l’oral font généralement suite à une reconstruction des phases d’utilisation de la borne par le client. En rendant manifeste ses actions passées, la référence à l’écran revêt alors son caractère interactionnel et institutionnel où le système possède une responsabilité dans la raison d’appel du client. Lorsque c’est l’opérateur réfère à l’écran en ouverture d’appel en posant une question, le client s’oriente vers l’objet mentionné et peut également énoncer une réponse contenant une référence à l’écran. Ici, l’activité de thématiser l’artefact dans l’interaction est initiée par l’opérateur, puis repris (ou non) par le client dans sa réponse. Dans ces cas là, la première référence à l’écran produite par l’opérateur est souvent nominalisée explicitement.

Après l’identification du client dans la base de données, nous avons observé autant de références à l’écran que lors de la formulation du problème. Lorsqu’elles sont réalisées par le client, elles font généralement suite à une question ou un commentaire de l’opérateur. Dans certains cas, ce dernier a déjà introduit une référence à l’écran à l’intérieur de son énoncé précédant une réponse du client. À l’inverse, nous avons également relevé des cas où c’est le client qui rend une première fois l’écran pertinent, puis l’opérateur répond en référant aussi à l’objet. Enfin, nous avons quelques discours écrit retransmis à l’oral en fin d’appel, au moment d’une pré-clôture réalisée par l’opérateur qui insère des explications préventives. L’objet ‘écran’ n’a pas été nécessairement introduit avant dans l’interaction. De cette manière, l’opérateur désengage à son tour toutes responsabilités du client dans l’utilisation prochaine de sa carte de location et désigne l’artefact (i.e. implicitement le système) comme source d’un blocage potentiel.

Pour conclure, nous rappellerons qu’à travers ces analyses, nous avons donc déterminé cinq fonctions justifiant l’usage de discours écrit retransmis à l’oral lors de l’activité de formulation du problème : 1) attester de l’authenticité des informations données, 2) désengager le client de toute responsabilité par rapport au vélo toujours en location, 3) faire dire une information en orientant vers le choix de la source à citer, 4) ouvrir ou clôturer un passage de discours retransmis à l’oral, et 5) donner la bonne lecture du message en tant qu’instruction pédagogique, de résolution du problème et de prévention lors d’une prochaine utilisation du système. Certaines de ces fonctions sont également pertinentes dans les autres phases d’activité étudiées, comme la fonction d’attester de l’authenticité des informations est pertinente dans l’activité de guidage en direct. La fonction de désengager le client de toute responsabilité quant au vélo toujours en location est valable également dans les énoncés de discours retransmis à l’oral lors de recommandations prospectives, où dans ce cas, c’est l’opérateur qui désengage la responsabilité du client et non le client lui-même.

Afin d’enrichir notre réflexion autour de l’intégration de l’objet ‘écran comme artefact interactionnel, nous allons analyser deux extraits tirés du corpus HumPrior, où les participants interagissent par visiophone. Nous avons étudié principalement la thématisation de l’objet ‘écran’ dans le corpus LocBike à travers l’usage du procédé de discours rapporté. Nous avons étudié également quelques cas de mobilisation de l’artefact par les participants, notamment lors des activités de guidage en direct. L’étude de ces deux situations d’interaction à distance médiée par visiophone va nous permettre d’analyser des activités supplémentaires pendant lesquelles les participants mobilisent l’écran. Il n’est alors plus un objet du discours mais il est manipulé à des fins interactionnelles. Ici, nous ne nous focalisons plus sur l’activité de rapporter des informations écrites dans l’interaction orale ; il est question à présent d’étudier deux activités mobilisant l’objet ‘écran’ et menées par deux conseillères d’HumPrior lors d’interactions avec des patients : la première activité consiste à manipuler la caméra pour faire d’un objet, observable par visiophone dans l’environnement du patient, un topic pour la conversation (chapitre 3.) ; la seconde activité montre comment la conseillère maintient le contact avec le patient grâce à des ressources écrites (chapitre 4.).