Faire d’un objet distant un topic pour la conversation

Faire d'un objet dans l'environnement immédiat un topic pour la conversation est une possibilité qui a été reconnue depuis longtemps64, et se réalise de manière très aisée dans la conversation en face à face en exploitant la disponibilité immédiate de l’environnement. Cependant, dans les interactions médiatisées, le problème est posé par le fait que cet environnement n'est pas également accessible et n’est pas partagé par les interlocuteurs : l’environnement n’est visible qu’au moyen de l’écran. En outre, cet environnement est en arrière-plan et donc demande un travail plus important de (re)mise au premier plan. Dans l’analyse qui suit, nous nous intéresserons donc à la manipulation de l’artefact visiophonique permettant de réaliser ce basculement.

Dans l’extrait que nous avons choisi d’analyser ici, deux participants, Vanessa (la conseillère) et M. Mappeau (le patient), sont en train d’interagir grâce au dispositif de visiophone. L’extrait se situe à la fin d’une conversation sur les soins que le patient continu à recevoir suite à son retour à domicile. Au cours de cette fin de conversation, nous avons remarqué que Vanessa pose une question sur l’environnement immédiat de son interlocuteur (cf. image 30, ci-dessous). Cette question marque le début d’un problème qui va se poser aux deux interlocuteurs, à savoir comment rendre pertinent un détail de l’environnement pour le mettre au centre de l’attention commune et en faire un topic de la parole engagée ? Nous nous demanderons également au service de quel type d’actions sociales utilise-t-ils des références à l’environnement de l’interlocuteur ?

Image 30 : Environnement immédiat du patient (à gauche) observable par la conseillère (à droite)
Image 30 : Environnement immédiat du patient (à gauche) observable par la conseillère (à droite)

Le problème qui apparaît ici permet de soulever plusieurs questions relatives à l’asymétrie des participants dans une interaction médiée par visiophone. Ces questions sont posées par rapport aux références spatiales, et notamment aux références qui relèvent l’asymétrie de la communication par visiophonie, de la sphère privée vs. publique des interlocuteurs65. Nous allons donc essayer d’étudier par quels moyens les participants en présence tentent de mettre dans la sphère commune l’objet référent dont il est question. Nous présenterons l’activité de manipuler la caméra pour faire d’un objet distant un topic pour la conversation en cinq phases en fonction de l’ordre séquentiel proposé par les participants eux-mêmes. Nous allons analyser séquence par séquence chacune de ces phases afin d’en dégager toute la complexité. Tout d’abord, la conseillère introduit une première fois un topic dans l’échange (l. 1-11, section 3.1.), action à laquelle le patient répond de manière divergente (l. 12-20, section 3.2.). Ensuite, ce dernier produit une ratification du topic préalablement introduit (l. 21-30, section 3.3.) qui ne semble pas satisfaire la conseillère puisqu’elle décide d’initier de nouveau le topic qui n’a pas reçu de seconde action (l. 31-36, section 3.4.). L’extrait se termine par la réponse négative du patient au topic introduit (l. 37-48, section 3.5.). Malgré cette dernière action réalisée par le patient, pouvons-nous parler d’échec de l’activité principale, à savoir celle de faire d’un objet distant un topic pour la conversation ? L’analyse détaillée de cet extrait nous permettra de répondre à cette interrogation.

Notes
64.

Voir notamment Mondada & Dubois (1995) ; Hindmarsh & alii (2000) ; et Bergmann (1990).

65.

Voir de Fornel (1992, 1994).