Recherche du dossier par la déléguée régionale

Les participantes s’orientent ensuite vers recherche du dossier patient où la déléguée régionale initie le changement d’activité en produisant un account, après une longue pause de 1.8 secondes (l. 7), qui rend reconnaissable son action de « prendre » le dossier de M. Otiponie (l. 8). Emilie occupe le temps nécessaire pour réaliser cette action en maintenant l’interaction avec la conseillère et elle demande des informations supplémentaires sur le patient, à savoir s’il s’agit d’un « locataire récent/ » (l. 8-9). Elle effectue une auto-réparation de son propre tour en reformulant sa requête différemment « j` veux dire c’est un nouveau : locataire/ » (l. 9-10)

7   (1.8)
8 9 10 EMI alors j` suis en train d` prendre son dossier c'est un locataire récent/ j` veux dire c'est un nouveau:
[locataire/ ]
11 MAR [ah euh (.) oui oui] c'est un nouveau [oui\]
12 13 EMI [d'ac]cord\ j` vais prendre son dossier hein/ quittez [pas]
14 MAR [hm ] hm d'accord\
15   (0.8)
16 evt ((bruit du combiné qui se pose))
17   §(13.8) §
  marG §navigue avec souris sur ecrG§
18 evt ((sonnerie téléphone))
19   (2.7)
20 evt ((sonnerie téléphone))
21   +(6.0) + (24.6)
  marR +vers OTI et lui sourit+
22 EMI o (.) tiponie::
23   (1.3)
24 MAR otiponie ouais
25   +(3.0) + (4.4) §(6.0)
  marR +vers OTI et lui sourit+

La fin du tour d’Emilie est chevauchée par l’intervention de Marianne qui a considéré la première partie de tour de son interlocutrice comme intelligible et complète. Elle n’a donc pas attendu le point de complétude pour commencer à donner des éléments de réponse. Dans un premier temps, elle produit une ratification minimale « ah euh (.) oui oui » (l. 11) énoncée en chevauchement de la fin du tour de la déléguée régionale. La conseillère complète ensuite sa réponse en formulant une répétition partielle du tour d’Emilie « c’est un nouveau », hors chevauchement, puis conclut son tour par une seconde validation.

La déléguée régionale valide la réponse de son interlocutrice en chevauchant brièvement la fin de son tour et annonce un second account rendant manifeste l’action de rechercher le dossier du patient (l. 12-13). Ici, le format d’énonciation est différent par rapport à la première notification. Emilie ne se positionne pas comme « en train de faire » l’action mais comme « allant faire » l’action, ce qui projette une temporalité ralentie de l’interaction. En effet, elle conclut son tour en produisant une mise en attente « quittez pas » (l. 13) et l’interaction va être suspendue momentanément entre les participantes. Marianne valide l’annonce de mise en attente (l. 14).

Un très long silence de 49.7 secondes se produit avant une nouvelle intervention d’Emilie. Cependant, si nous analysons ce passage d’un point de vue multimodal, nous pouvons observer un certain nombre d’actions où Marianne utilise des ressources multimodales pour maintenir le contact avec le patient à distance. L’écran devient alors un objet interactionnel pertinent pour les participants dans une situation de communication multimodale grâce au dispositif de visiophonie. Après une pause de 0.8 secondes (l. 15), nous percevons le bruit du combiné d’Emilie qui se pose sur un support (l. 16). Cela marque la suspension de la communication audio entre elle et Marianne. Cette dernière initie immédiatement après une activité de navigation sur son écran gauche avec la souris d’ordinateur (cf. image 5 ci-dessous), simultanément au début d’une longue pause de 13.8 secondes. La conseillère occupe alors le temps d’attente pour traiter de nouveau le dossier informatique du patient. Elle peut ainsi mettre à jour certaines informations qu’elle a obtenues lors de son interaction précédente avec M. Otiponie.

Image 5 : Navigation sur l’écran gauche avec la souris
Image 5 : Navigation sur l’écran gauche avec la souris

Marianne a arrêté sa navigation sur l’écran gauche de l’ordinateur au moment où nous percevons deux occurrences d’une sonnerie de téléphone extérieure (l. 18,20). Elle est donc revenu en position d’attente, où elle se rend disponible à la fois pour le patient, de manière multimodale, et pour la déléguée régionale, dans l’éventualité que cette dernière ait terminé la recherche du dossier et reprenne l’interaction orale. De nouveau, une longue pause de 30.6 secondes (l. 21) s’écoule où, pendant les six premières secondes, la conseillère essaie d’établir une communication multimodale entre elle et le patient. Elle oriente son regard vers le participant à distance et lui adresse un sourire (cf. image 6).

Image 6 : Sourire de Marianne, Regard détourné de Mr. Otiponie
Image 6 : Sourire de Marianne, Regard détourné de Mr. Otiponie

Nous pouvons remarquer que simultanément à cette action, le visage de M. Otiponie, qui est le destinataire désigné de l’action produite, n’est pas orienté face à l’image caméra en visio. L’asymétrie liée au contexte interactionnel fait émerger un désalignement entre les participants où le patient n’est pas synchrone par rapport à son interlocutrice du point de vue de la posture. De ce fait, il ne peut prendre connaissance de la mimique faciale en cours de production. L’échange multimodal entre les participants en visio n’a donc pas abouti.

Après la longue pause (l. 21), Emilie s’auto-sélectionne et elle énonce le nom du patient « o (.) tiponie:: » (l. 22). Marianne traite son tour comme une demande de confirmation et après une pause de 1.3 secondes, elle produit une répétition totale suivit d’une ratification minimale « otiponie ouais » (l. 24). L’intervention d’Emilie peut être considérée comme une redéfinition du cadre participatif où en rétablissant la communication orale, elle s’oriente vers une pré-clôture de l’activité de recherche du dossier patient, et elle projette une reprise de l’interaction principale entre elle et la conseillère pour la suite de l’activité. Une longue pause de 13.4 secondes suit le bref échange entre les participantes pendant laquelle Marianne va une seconde fois essayer d’établir un échange multimodal avec le patient à travers le dispositif de visiophonie. Pendant une pause de trois secondes, elle oriente son regard en direction de M. Otiponie et lui adresse un sourire (cf. image 7).

Image 7 : Sourire de Marianne, Regard de face de Mr. Otiponie
Image 7 : Sourire de Marianne, Regard de face de Mr. Otiponie

À la différence de la première occurrence de cette action, ici le visage du patient est orienté face à l’écran d’ordinateur et il peut voir le sourire que lui adresse son interlocutrice. Un alignement des participants est observé au moment de la mise en place d’une communication multimodale. Il intéressant de souligner la situation contextuelle entre les trois participants à cet instant de l’interaction. En effet, d’une part, nous avons Marianne et Emilie en communication audio qui sont en attente dans leur conversation ; d’autre part, nous avons Marianne et M. Otiponie en communication vidéo (sans audio) qui sont également en attente dans leur échange. Malgré les attentes de part et d’autre dans leurs différents cadres participatifs respectifs, le dispositif de visiophone a permis d’établir une nouvelle forme de communication minimale – un regard suivi d’un sourire – entre les deux participants à distance par vidéo. Rétrospectivement, nous pouvons analyser la deuxième occurrence de l’action du « regard + sourire » comme une forme d’auto-réparation auto-initiée par la conseillère de la première occurrence puisque la première action n’avait pas été perçue par le patient qui avait son visage détourné de l’image visio.

‘Just as there are ‘trouble sources’ in conversation, so there can be trouble sources in embodied conduct in general, and human-computer interaction in particular. It is tempting to extend SJS’s analysis of repair from troubles sources in talk to trouble sources with the computer, i.e., to what participants can seeon the screen. However, this is a definite departure in its terms of reference from the intentions of the original and subsequent articles, where the examples were drawn exclusively (and selfavowedly) from oral-aural interaction, i.e., they exhibited participants’ troubles with “understanding what someone has just said” (Schegloff, 2000, p.207; our emphasis). That is to say, SJS are concerned exclusively with oral-aural interaction, whereas in our case repair work has to do with participants’ troubles in understanding what someone has just witnessably and visibly doneon the screen. However, we took encouragement from SJS’s observation that “nothing is, in principle, excludable from the class ‘repairable’” (p.363), though they only had in mind troubles in ordinary conversation. (Greiffenhaguen & Watson, 2007 : 9)’

Enfin, une asymétrie est intéressante à prendre en compte du côté patient, à savoir que lui n’a pas connaissance, à l’instant de l’échange multimodal avec la conseillère, de la situation contextuelle dans laquelle elle se trouve, c'est-à-dire également « en attente ». Ici, l’alignement du regard (l. 25) est exploité par la conseillère pour sourire au patient. Nous allons voir que dans la suite de l’échange, la première action de Marianne, sourire au patient, est en fait une pré-ouverture d’une seconde action qui sera l’activité pertinente de l’extrait où elle utilise des ressources multimodales (le texte écrit) pour communiquer avec M. Otiponie.