Explication complémentaire

L’extrait se termine par des explications supplémentaires pendant lesquelles la conseillère prend note de certaines informations sur un support papier. Immédiatement après le tour d’Emilie, Marianne produit une répétition partielle de son tour et simultanément, elle écrit sur un papier (l. 32).

32 MAR §du sept novembre/§
  marG §écrit sur papier-§
33 EMI ou:i
34   (.)
35 MAR .h [alors ]
36 EMI +[y a le loy]er d'octobre et novem:bre (1.0) on lui réclamait
  marR +vers ecrG-->
37   (0.7)+
  marR -----+

Ce tour peut être analysé comme doublement adressé : i) il peut être à la fois adressé à Emilie – analyse qui est confirmée au tour suivant par la ratification de la déléguée régionale (l. 33) ; ii) il peut être également auto-adressé à Marianne si nous tenons compte de l’action simultanée qu’elle est en train de réaliser, ce qui signifierait implicitement qu’elle est en train d’écrire l’information « sept novembre » sur son papier. Cette seconde analyse ne peut être confirmée en l’absence des notes papier de la conseillère.

Après une micro pause, nous relevons un départ quasi simultané entre les participantes (l. 35-36) et finalement, c’est Emilie qui garde le tour pour apporter une information complémentaire sur le fait que la somme réclamée correspond à deux mois de loyer « octobre et novembre (l. 36). En parallèle du tour d’Emilie, Marianne oriente son regard en direction de l’écran gauche où est affiché le dossier du patient. L’extrait se termine après une pause de 0.7 secondes (l. 37) correspondant à la fin de l’orientation du regard de la conseillère vers l’écran.

L’analyse de cet extrait a permis de montrer l’existence d’autres manières d’intégrer l’objet ‘écran’ comme artefact interactionnel pertinent du point de vue des participants. Il est nécessaire de tenir compte de la spécificité du contexte interactionnel de cet extrait. En effet, nous sommes ici dans un cas d’interaction tripartite reposant sur deux modes de communication différents où deux conversations peuvent se dérouler en parallèle. Nous avons pu remarquer que la situation de mise en attente initiée par la déléguée régionale fait émerger une activité multimodale de la part de la conseillère dont le but est de maintenir un contact avec le patient qui lui-même est en attente d’un retour à une interaction orale avec la conseillère.

L’activité de maintenir une relation avec le participant en attente peut s’effectuer par deux procédés : i) soit par des mimiques faciales ; ii) soit par l’envoi de messages écrits à l’aide de la zone de texte disponible dans l’interface de visiophone. Il faut souligner que la première méthode est disponible pour les deux participants, le patient pourrait en effet également produire des regards et des sourires en réponse aux mimiques initiées par la conseillère, mais il s’abstient ici de toute réaction. À la différence de la deuxième méthode qui est uniquement réalisable par la conseillère, le patient n’a pas la possibilité de répondre par écrit aux messages transmis textuellement. Cette activité devient pertinente dans l’interaction à partir du moment où la conseillère se retrouve également en position d’attente suite à une demande de la déléguée régionale.

L’écran a donc ici une place très importante dans la seconde interaction bipartite entre la déléguée régionale et la conseillère puisque nous avons pu observer l’usage récurrent de l’écran gauche de l’environnement informatique de la conseillère dans le but de transmettre des informations les plus exactes possible lors de la reformulation du problème à la déléguée régionale. Nous retrouvons ici une action observée dans certains extraits du corpus LocBike où le client et/ou l’opérateur transmettaient des discours écrits reformulés ou rapportés à l’oral référant au contenu informationnel affiché sur un écran. Nous avions montré que la fonction principale de cette action était de formuler la raison de l’appel en s’appuyant sur l’authenticité des informations données issues d’une source reconnue, à savoir l’écran. L’artefact a également une place essentielle dans l’interaction bipartite entre le patient et la conseillère, puisque la communication entre les participants est médiée à travers l’écran, grâce à l’image caméra pour les mimiques faciales, et grâce à la zone de texte (et au clavier) pour l’envoi d’un message écrit. Il contribue pleinement à la circulation de l’information et de la communication entre les participants. Ainsi, mobiliser les ressources qu’offre l’artefact dans l’activité des participants permet à la conseillère de résoudre le problème pratique « d’être en attente », à la fois son attente et celle du patient, en reconsidérant la position de son interlocuteur à distance, non comme un simple spectateur de son interaction téléphonique, mais en le tenant informé du traitement de son dossier en cours.