— Partie IV —
Notification de l’état a-problématique du compte client

Introduction

Cette troisième partie porte sur l’étude d’un type d’interaction repéré dans les échanges au centre LocBike uniquement, où des utilisateurs font appel au service client pour résoudre un problème sur leur compte. Ce problème a pour conséquence, du point de vue du client, de rendre impossible une location de vélo sur une station. Nous avons remarqué qu’après vérification69 par l’opératrice du compte client dans la base de données informatique, le compte de l’utilisateur ne présente aucun problème. Il peut donc louer un vélo sur l’une des bornes LocBike. Face à ce constat, nous avons d’une part un client en demande de résolution de problème, et d’autre part une opératrice qui répond à sa demande en rendant manifeste le caractère a-problématique de la demande après vérification sur la base de données. Ce type d’appel nous semble intéressant du point de vue de la notion d’asymétrie que nous n’avons pas encore approfondie dans notre recherche. En effet, les interactions entre opérateur et client dans un centre d’appels impliquent a priori une asymétrie au niveau de la connaissance partagée par les locuteurs (Drew, 1991), c'est-à-dire qu’un locuteur (l’opérateur) se positionne en tant qu’expert face à un autre locuteur (le client), qui est non expert ou moins expert que son interlocuteur dans l’utilisation et la compréhension du système de location de vélo mis à sa disposition. Les échanges téléphoniques s’organisent donc autour de cette asymétrie fondamentale.

La conception de l’(a) symétrie en Ethnométhodologie et en Analyse Conversationnelle a notamment été étudiée dans les travaux de Maynard (1991) lorsqu’il s’intéresse aux interactions lors de consultations entre médecin et patient. Il explique que, dans ce type d’interaction, l’asymétrie n’est pas un « produit de la puissance abstraite du médecin ». Elle n’est pas simplement imposée mais elle est accomplie de manière interactive (1991 : 449). Les médecins peuvent demander aux patients leur point de vue sur le problème ou la maladie et ne pas tenir compte nécessairement de ce qui se dit alors70.

L’asymétrie est basée sur l’accès aux connaissances et services du médecin (i.e. l’expert) alors que le patient (le non expert) est en recherche de ces informations. Maynard montre également que l'asymétrie est incarnée dans des mécanismes d'identification séquentielle et interactionnelle. Il donne l’exemple où, après qu’un médecin ait fournit une évaluation, les patients retiennent souvent toute réponse ; ils contribuent ainsi à la préservation du statut objectif et scientifique du diagnostic. (1991 : 456). Il conclut une partie de ses analyses en expliquant notamment que l’asymétrie du discours dans les établissements médicaux peut avoir un ancrage institutionnel, mais elle a aussi un fondement interactionnel, et cette dernière nécessite une appréciation sociologique autant que la première (1991 : 486).

‘« Au lieu de traiter l’asymétrie comme imposée par le cadre, le statut et le pouvoir des participants, l’Analyse Conversationnelle la considère comme un accomplissement interactionnel qui n’est pas donné d’emblée mais qui est installé – éventuellement reproduit - par la façon dont les participants formatent leur action » (Mondada, 2008b)’

Ten Have (1991) a également contribué à la réflexion autour de la notion d’asymétrie en traitant plus particulièrement les asymétries institutionnelles. Il développe notamment la notion d’asymétrie interactionnelle qui fait référence à la manifestation de rôles différents exhibant le caractère institutionnel de l’échange (1991 : 1) sur les interactions médecins-patients où il a analysé comment des asymétries sont produites durant leurs interactions. D’après l’auteur, il existe deux aspects de l’asymétrie interactionnelle dans les consultations médecins-patients (1991 : 2) : i) une asymétrie du topic – c’est la santé du patient dont il est question, et non celle du médecin ; ii) une asymétrie des tâches dans l’échange – le patient doit principalement donner ses symptômes, répondre aux questions, et accepter les décisions du médecin, alors que le médecin doit écouter des réclamations, se renseigner sur le cas, et décider du diagnostic et du traitement si nécessaire. Dans nos données, nous retrouvons cette configuration qui exhibe le caractère institutionnel de l’échange dans les interactions opérateurs-clients au service LocBike. D’une part, nous avons le problème du client, et non celui de l’opérateur (asymétrie du topic) ; d’autre part, le client donne la raison de son appel, répond aux questions de l’opérateur et suit ses instructions si nécessaire, alors que l’opérateur écoute les réclamations du client, recherche des détails sur le problème en cours, et conclut par un diagnostic et une solution possible (asymétrie des tâches).

Dans le domaine des Workplaces Studies, la notion d’asymétrie est principalement mise en relation avec les asymétries technologiques, c'est-à-dire à travers les interactions médiées par vidéo en co-présence ou à distance. Heath & Luff (1992) suggèrent dans leurs travaux que l’utilisation de technologie audio-visuelle introduit certaines asymétries dans la communication interpersonnelle pouvant modifier l’impact du comportement verbal et visuel qui ne se retrouve pas dans les interactions en face à face, ni dans d'autres formes de communication médiée technologiquement comme les appels téléphoniques (1992 : 20). Ils expliquent qu’en milieu institutionnel, nous rencontrons des titulaires de rôles préétablis, tels que le médecin et le patient, qui ont un accès différent et une influence sur les types d'activité au cours d'un événement. Cependant, dans la communication médiée par vidéo, la relative asymétrie tendent à comparer les catégories « locuteur » et « récepteur » et ainsi faire émerger différentes formes d'activité et de participation. De plus, la technologie peut interférer avec l'importance interactionnelle d’une action et d’une activité multimodale. D'une part, le locuteur a un accès visuel à son co-participant. Le locuteur peut surveiller la façon dont se comporte son interlocuteur, en maintenant l’interaction orale avec lui ; il reste sensible à l'état de son engagement. D'autre part, les ressources mobilisées habituellement par le locuteur pour déterminer la manière dont le co-participant écoute et suit la conversation semblent être diminuées par le média ; de simples gestes pour encourager l'autre à réaligner son regard vers le locuteur peuvent manquer de pertinence interactionnelle. Les participants tentent donc de coordonner leurs activités, telles que « parler », avec le comportement visuel de la personne à qui ils parlent, et pourtant ils sont dans l'impossibilité de déterminer leur implication au sein de l'activité elle-même (1992 : 20). Enfin, les auteurs soulignent que les ressources pour communiquer utilisées par les locuteurs pour créer et construire une co-participation au cours d'une activité peuvent être souvent rendues inefficaces par le média. La technologie semble interférer avec la réalisation locale et séquentielle d'une série d’actions visuelles, générant un déséquilibre entre le locuteur et le récepteur, et leur capacité à les réaliser mutuellement (1992 : 21).

Nous souhaitons présenter une dernière référence concernant la notion d’asymétrie en évoquant une recherche menée par Velkovska & Zouinar (2007 : 232) qui se sont inspirés de l’Analyse Conversationnelle et de l’Ethnométhodologie pour étudier les interactions institutionnelles à l’ANPE. Ils ont montré l’existence d’un lien entre trois formes d’asymétrie dans les entretiens visiophoniques entre le demandeur d’emploi et le conseiller. Ils parlent d’asymétrie relationnelle, interactionnelle et contextuelle. L’asymétrie de la relation est fondée sur les différences de perspective des participants71. L’ asymétrie interactionnellerenvoie aux travaux de ten Have (1991). Elle est supposée exhiber également des types de relations sociales entre les participants (Velkovska & Zouinar, 2007 : 233) comme par exemple celles d’autorité ou de domination entre les experts et les non experts. Enfin, l’asymétrie contextuelle fait référence à un accès non partagé entre les participants à certains éléments contextuels (objets, événements) qui sont (potentiellement) localement pertinents pour l’interaction (Velkovska & Zouinar, 2007 : 234). Pour les auteurs, la notion d’asymétrie contextuelle tient compte notamment de l’introduction d’une médiation technologique de type « visiophonie » et de la manière dont celle-ci est mobilisée au cours des interactions institutionnelles à l’ANPE. L’utilisation d’une telle médiation technologique peut affecter le déroulement pratique de ces interactions au sens où elle modifie le cadre interactionnel et les ressources mutuellement disponibles dans les activités des participants (voir également de Fornel, 1994). Dans le corpus LocBike, nous n’avons pas l’utilisation d’un système de visiophonie, cependant, nous avons l’introduction d’artefacts technologiques du côté opérateur tels que l’écran d’ordinateur, la souris, le clavier, le téléphone, le micro-casque qui sont constamment utilisés durant les interactions de service entre les participants. Du côté client, nous verrons dans nos analyses qu’il peut également avoir recours à des artefacts technologiques tels que l’écran d’une station LocBike ou encore sa carte d’abonné. Nous analyserons en quoi l’utilisation de ces différents éléments contextuels et non partagés par les participants est localement pertinent pour l’interaction.

Nous avons évoqué jusque là les asymétries existant entre les participants (médecins-patients ; conseillers-demandeurs ; opérateurs-clients) en situation d’interaction en face à face ou bien à distance, médiée par vidéo ou par téléphone. Nous verrons dans nos analyses que la notion d’asymétrie peut également s’établir entre un humain et un non-humain (ex : ordinateur, interface informatique) et que ces asymétries sont rendues localement pertinentes dans l’interaction entre les participants. Dans le domaine des HCCLS, Human-Computer Collaborative Learning Systems (Système d’apprentissage collaboratif entre humain et ordinateur), Dillenbourg & Baker (1996 : 3) ont très bien décrit la relation asymétrique entre l'utilisateur et un système (agent artificiel) en expliquant que les deux agents ne remplissent pas les mêmes actions, qu’ils n'ont pas le même rôle dans la prise de décision. Ils ont cherché à comparer les formes de négociation utilisées dans différents environnements d'apprentissage, au sein desquels soit l’apprenant collabore avec un agent artificiel, soit deux apprenants collaborent via un collecticiel. Dans un contexte éducatif, ils défendent l’idée d’une symétrie entre agents sur le plan de leur conception et d’une asymétrie variable sur le plan de l’exécution. Ils ont analysé la collaboration dans ces systèmes en termes d’espaces de négociation définis au moyen de sept dimensions : le mode, l'objet, la symétrie, la complexité, la flexibilité, le caractère plus ou moins systématique des agents et la possibilité de communication indirecte. Ils ont observé que lorsque deux utilisateurs négocient, ils passent fréquemment d'un espace de négociation à un autre, alors que la négociation avec un agent artificiel reste souvent bloquée au sein d'un même espace. Au lieu d’imposer une distribution unique et fixe des différents rôles entre l’utilisateur et le système, la symétrie implique de donner à l'utilisateur et au système le même niveau d’actions possibles et de droits symétriques pour négocier les décisions. Ils précisent qu’en mode asymétrique, les agents ont toujours le dernier mot, aucun espace n’est possible pour une réelle négociation. En mode symétrique, aucun « gagnant » n’est prédéfini, les conflits doivent être résolus par la négociation.

La situation d’interaction au centre d’appels de LocBike est clairement différente d’une situation d’apprentissage telle qu’elle est présentée ci-dessus, et nous sommes ici précisément dans un mode de relation asymétrique puisque c’est l’opérateur qui mobilise le plus souvent le système. Ce dernier a toujours « le dernier mot » sur le système. Aucune négociation collaborative n’est possible entre l’opérateur et le système. Cependant, les programmes et les logiciels contraignent les actions de l’opérateur qui exécute des options possibles dans le système dans le but de résoudre le problème d’un client. Ceci est le résultat d’une modélisation de son activité. Il renseigne des informations à la machine pour qu’ensuite celle-ci affiche un résultat en relation avec les informations fournies. L’opérateur se base sur les données rapportées par le système pour confirmer et argumenter son diagnostic au client. Il peut alors émerger des asymétries dans la relation entre l’opérateur et le système lorsque par exemple son diagnostic n’est pas validé par le client, ou encore lorsque le système n’affiche pas le résultat de la recherche demandée. Dans le premier cas, il peut s’agir d’un problème technique/informatique où les informations ne sont pas synchronisées dans la base du système, et dans ce cas, l’opérateur ne peut pas agir administrativement sur le système, cela ne relevant pas de ses missions. Dans le deuxième cas, il peut s’agir d’une erreur de saisie des informations par l’opérateur, et dans ce cas, après négociation avec le client ou un collègue, il effectue une modification des informations initialement saisies.

Il nous semble important de mener une dernière réflexion sur le rapport entre technologie et action dans les interactions outillées par des objets techniques. En effet, si nous admettons l’existence d’une relation de dépendance étroite entre le système et l’opérateur, il est intéressant de s’interroger sur les usages de la technologie au cours d’une action et leurs effets dans le déroulement de l’activité en interaction. Christian Heath et ses collaborateurs ont menés de nombreuses recherches associant l’action à la technologie et notamment en examinant les détails de l’utilisation d'un système informatique in situ (Luff & Heath, 2000). Ils ont adopté une orientation analytique qui se distingue de beaucoup de travaux actuels sur les interactions homme-machine et sur l'ingénierie cognitive. Au lieu de se concentrer sur une activité localisée d'un individu face à un système, ils ont regardé la manière dont la production des activités informatiques est sensible à l’action en cours et à l'interaction des participants dans le contexte ; et comment une technologie spécifique est utilisée et immergée dans l’action et l’interaction des participants. La technologie en question correspond à un système de commande automatique des trains sur un réseau de transport urbain. Ils se sont particulièrement intéressés à la coordination entre l’action d’entrer des commandes dans le système par un contrôleur par rapport au comportement de ses collègues ; et de fait, comment leur comportement est clairement ancré dans la manière d’utiliser le système par le contrôleur. Ils ont montré, d’une part, que les problèmes, et par conséquent les demandes de solutions qui émergent dans l’activité de gestion du réseau de transport urbain, sont sensibles aux circonstances dans lesquelles surviennent les difficultés – les difficultés elles-mêmes aidant à définir qu’elles pourraient être ces circonstances. D’autre part, pour les contrôleurs, la relation organisée entre des actions spécifiques et des activités fait partie intégrante de la façon dont ils produisent et coordonnent leur comportement les uns avec les autres (ex : l’opération d’équilibrer un véhicule nécessite des actions spécifiques par les participants dans un ordre routinier et reconnaissable).

Leur analyse révèle que les participants s'orientent vers un ensemble complexe de relations séquentielles et de trajectoires de conduite émergeantes, dans lequel ils développent et maintiennent une production et une coordination des différentes actions et activités. Les actions elles-mêmes peuvent consister à entrer des commandes dans un système informatique, en donnant des instructions par téléphone, ou en recherchant des informations sur un écran. D’autres actions spécifiques peuvent servir à rendre pertinent ou à projeter un comportement à venir – comportement qui, s’il ne se produit pas, est perceptible et reconnaissable du point de vue organisationnel (Luff & Heath, 2000 : 694). Par ailleurs, ils soulignent le fait que les ressources technologiques à proximité des participants ont une certaine incidence sur la façon dont nous comprenons les interactions entre les hommes et les ordinateurs. Dans leur étude, le système à portée de main du participant est conçu pour être exploité par un seul individu, le contrôleur, qui entre les commandes dans l'ordinateur. L'entrée de ces commandes est cependant sensible à l'action de ses collègues, et tient compte de la façon dont le personnel fait sens au comportement de chacun et aux activités dans lesquelles ils sont engagés (ex : le contrôleur pointant vers l’écran incite son collègue à saisir la commande concernée et à regarder de quoi se compose cette commande). Selon les auteurs, le système serait donc pertinent en vertu des actions d’un certain nombre de participants, non seulement de la personne qui entre les commandes ou de celui qui regarde l'écran, mais aussi les actions de tous ceux qui seront concernés par les changements et dont le travail consiste à la fois à informer et à être informé sur l'utilisation du système (2000 : 695).

Après cette introduction sur les différentes formes d’asymétries et sur les relations entre les actions des participants et l’usage de technologie au cours de ces actions, nous allons approfondir ces réflexions à travers nos données, à savoir les interactions au centre d’appels de LocBike où nous avons repéré un type d’appel spécifique où des utilisateurs font appel au service client pour résoudre un problème sur leur compte, cependant, après vérification du compte client dans la base de données par l’opérateur, ce dernier lui notifie l’état a-problématique de son compte. Comme nous l’avons expliqué brièvement dans l’introduction, cela est intéressant du point de vue de l’asymétrie observée au niveau des connaissances non partagées entre les participants, où l’un est plus expert que l’autre au cours de l’échange ; au niveau également de l’asymétrie contextuelle où l’opérateur rend pertinent son diagnostic grâce aux vérifications établies sur le compte informatique du client.

Depuis plusieurs années, les recherches en linguistique interactionnelle sur les appels téléphoniques dans différents environnements ont permis de décrire un certain nombre de phases d’activité récurrentes au cours d’un appel. Notre analyse ici s’appuie sur les études menées d’une part sur les appels en situation ordinaire par Emanuel A. Schegloff (1979, 1986, 1993), d’autre part sur les appels d’urgence par Don H. Zimmerman. Dans ses travaux sur les appels d’urgence (1984, 1992a, 1992b), Zimmerman a dégagé cinq phases lors d’un appel : 1/ l’ouverture et l’identification ; 2/ la demande d’intervention ; 3/ une série d’interrogations par l’opérateur afin d’obtenir les informations nécessaires à l’intervention ; 4/ la réponse par l’opérateur à la demande d’aide ; 5/ la clôture de l’appel. Schegloff s’est intéressé quant à lui à l’organisation des séquences dans les appels ordinaires ; et plus particulièrement dans les ouvertures des appels. Il a défini quatre phases dans les séquences d’ouverture : 1/ « Sonnerie » & « Réponse » (summons/answers) ; 2/Identification ; 3/ Salutations ; 4/ Échanges de « comment ça va ? ». En comparaison des recherches menées par Schegloff et Zimmerman, nous nous intéresserons également au déroulement séquentiel en phase d’activités dans ce type d’appel particulier où le client appelle pour résoudre un problème sur son compte, et finalement, l’opératrice n’en constate aucun. Nous tenterons ainsi de contribuer à la réflexion sur les études portant sur les interactions en centre d’appels. Nous étudierons les différences et points communs entre le déroulement séquentiel dans nos appels à LocBike et ceux décrits par Schegloff et Zimmerman et nous enrichirons nos analyses en tenant compte des aspects multimodaux présents dans nos données – aspects nouveaux et importants par rapport aux études déjà menées sur les interactions en centre d’appels qui étaient principalement sur support audio (voir les travaux de Fele, 2006a, 2008 ; Greco, 2002, 2003 ; Paolleti, 2006 ; Schegloff, 1979, 1993, 2002 ; Schmale, 1995, 2002, 2004 ; Shiino, 1996 ; Wakin & Zimmerman, 1999 ; Whalen & Zimmerman, 1987, 1990, 2005 ; Zimmerman, 1984, 1992a, 1992b).

Dans notre corpus, huit extraits relèvent de la situation où le client appelle le service LocBike pour résoudre un problème dans l’utilisation de sa carte, et l’opératrice lui confirme l’état a-problématique de son compte. Grâce à un premier découpage de chaque appel, nous avons pu dégager une organisation structurée en sept phases consécutives dans ce type d’appel de service :

  1. L’ouverture de l’appel (salutations réciproques)
  2. La formulation du problème par le client
  3. La demande d’identification et sa saisie par l’opératrice
  4. Une série d’échanges de questions/réponses entre le client et l’opératrice
  5. L’affichage du compte client puis l’identification de non problème par l’opératrice
  6. La (les) verbalisation(s) du non problème par l’opératrice
  7. La clôture de l’appel (remerciements et salutations réciproques)

Nous remarquons des points communs et des différences entre notre structuration et celle établie par Zimmerman. Nous retrouvons la majorité des phases décrites par Zimmerman excepté l’affichage du compte client et l’identification de non problème par l’opératrice qui sont propres à notre type d’appel de service. Cependant, si les phases sont communes, leur ordre d’enchaînement diverge : par exemple, l’identification de l’appelant apparaît en troisième point dans les appels de service, alors qu’elle est immédiate après l’ouverture dans les appels d’urgence. Que conclure de ce constat ? Quelle est la raison de cette différence ? Une première réponse possible est fortement liée à la situation d’interaction elle-même ; les exigences sont différentes entre appels d’urgence vs. appels de service.

Notre objectif est de décrire et d’analyser finement l’organisation interne de ces appels72 afin de déterminer les formes d’asymétrie émergeant au fur et à mesure de l’enchaînement des phases de ce type d’appel spécifique. Grâce à un découpage séquentiel précis de l’interaction, nous souhaitons décrire les différentes phases qui composent ces appels de service pour en établir leur spécificité par rapport aux appels déjà étudiés dans le domaine des interactions (i.e. appels d’urgence et appels en situation ordinaire) ; tout en dégageant les marques d’asymétrie rendues observables par les participants eux-mêmes. À travers une analyse séquentielle et multimodale des extraits choisis, nous allons essayer de montrer que cette organisation structurée des appels de service à LocBike est plus complexe que la simple catégorisation formelle que nous avons listée ci-dessus. Les interactions au centre d’appels de LocBike impliquent à la fois le canal verbal grâce au téléphone, mais également multimodal avec l’utilisation de l’ordinateur par les opératrices qui, grâce à cet artefact technologique, peuvent avoir accès aux informations des comptes clients. C’est un objet essentiel pour le fonctionnement et le suivi des clients dans le système de location des vélos. Il héberge d’une part une base de données des trajets des clients à laquelle seules les opératrices ont accès, d’autre part une base de données plus technique que les techniciens gèrent après leurs interventions sur le terrain. Nous décrirons donc les pratiques accomplies par les opératrices afin de rendre manifeste le caractère a-problématique du compte client à la fois sur le plan verbal et multimodal. Nous prendrons en compte également les informations contextuelles fournies par le client ainsi que les informations techniques données par le système informatique et explicitées verbalement par l’opératrice à l’attention du client.

Notes
69.

Pour approfondir la réflexion sur l’organisation de vérifications dans les interactions médiées par les technologies, voir Mondada (2007d)

70.

Les différences entre les perspectives des patients et celles des cliniciens et des praticiens sont documentées à travers la sociologie médicale, voir Maynard (1991 : 454).

71.

Voir également Drew (1991) pour un développement sur la différence entre « expert » vs. « non expert ».

72.

Notre analyse se focalisera précisément sur les phases centrales dans la résolution du problème, c’est pourquoi nous ne détaillerons pas dans notre étude les phases d’ouverture et de clôture d’un appel dégagées dans la structure des appels.