Formulation étendue

La formulation étendue est caractérisée par un enchaînement de tours de parole du client. Cette suite de tours est ponctuée par des continuateurs de l’opératrice. De plus, nous avons observé, lors d’une formulation étendue, une mise en place de l’interface informatique systématique. Nous avons trois extraits qui présentent une formulation longue de la raison de l’appel. Les clients sont : DUR – M. Durand / MAU – Mme Mauron / CAM – M. Camus.

Les trois extraits ont la même organisation séquentielle, à savoir que les clients commencent le récit de la raison de leur appel et leurs tours sont scandés par les continuateurs produits par les opératrices. Les continuateurs sont un « oui » ou un « hm » qui ponctuent les explications segmentées des clients, sans notifier une demande de prise de parole. Ils sont produits soit après une courte pause directement avant une reprise du tour du client, soit directement après la fin d’un tour du client et suivis d’une courte pause, ou soit en chevauchement total sur le début ou la fin d’un tour du client.

Ext4-5_L24-15_43’07
1 2 DUR voilà j` vous téléphone/ j’ai euh:: pris un locbi:::ke euh:: pas hier avant hier/
3   (0.3)
4 MAT-> oui:=
5 DUR =et euh:: je l’ai euh: remis sur une borne/
6   (0.2)
7 MAT-> oui:\=
8 9 10 DUR =et euh: hier j’ai voulu enfin j’ai repris un autre vélo et XXX m’a:: signalé que:: j` l’avais pas euh: (0.7) XX qu’il était pas enregistré quoi\ (0.4) comme quoi j` l’avais pas ram`né\
11   (0.3)
12 MAT-> d’accord\ .hh euh::=
13 DUR =voilà donc euh là j’ai fait mon:: §j’ai fait euh::
  matG §clic 1er onglet page existante av.
14 DUR §mon déplacement/
  matG §clic menu client
15   (0.5)#
  ecr #aff. base gestion client
16 MAT [oui\ ]
17 18 DUR [là euh:::] je l’ai j’ai ram`né un vélo et je bon apparemment ça a l’air d’être toujours euh::
19   (0.2)
20 MAT oui
21 DUR à chaque fois i` m’affiche ça\ [donc e]uh: [bon]
22 MAT [oui\ ] [v- ] v- v

Dans l’extrait 4-5, l’ensemble des continuateurs réalisés par Mathilde sont produits après une pause, soit après que M. Durand considère son tour comme complet. La ratification de l’opératrice « d’accord » (l. 12) marque un premier point de complétion possible de la formulation du problème et elle projette ensuite une éventuelle question « .hh euh:: » mais le client reprend son tour et continue l’énoncé de la raison de son appel. Dans l’extrait 4-6 (ci-dessous), le tour de Samira (l. 22) clôture l’explication du problème.

Ext4-6_L25-15_01’06’03
1 SAM dites [moi]
2 3 MAU [euh]:: j` vous appelle parce que je viens d` redéposer un vélo\
4 SAM oui
5 (0.2)
6 MAU une borne de:: §une station locbike\
  samG §clic 1er onglet page existante av.
7 SAM oui
8 MAU §hm::: et: lorsque j` l’ai remis\
  samG §clic menu client
9   (0.8)#
  ecr #aff. base gestion client
10 11 MAU je n’ai pas eu le bip euh long qui me:: disait qu’il avait bien été remis sur la borne\ .hh [or ça] m’est déjà arrivé
12 SAM [hm ]
13 SAM hm
14 (..)
15 16 17 MAU et j` voulais anticiper\ (0.4) euh:::: ce soir où j` vais devoir reprendre RApidement un locbike\ (.) sans (être) problème avec ma carte\
18 SAM oui
19 (0.2)
20 21 MAU pour savoir s’il avait bien été considéré comme étant RENDU (.) sur ma carte\
22 SAM d’accord\ (0.3)

Dans les extraits 4-5 et 4-6, la production de la raison de l’appel par une suite d’énoncés fragmentés laisse la possibilité à l’opératrice de réparer d’éventuel problème de formulation avant de progresser dans la suite de l’énonciation. Les continuateurs sont alors analysés comme des alternatives à la réparation (Schegloff, 1982). Par ailleurs, l’opératrice anticipe la phase suivante de l’activité en préparant son outil de travail durant la formulation du problème. Elle effectue deux manipulations successives (ext2-5, l. 13-14 ; ext2-6, l. 6,8) : elle active une page existante sur un autre onglet où elle peut modifier les informations présentes (ex : la page d’un dossier client déjà traité) ; puis l’opératrice sélectionne le menu « client » depuis cette page existante, ce qui permet d’effectuer une recherche à partir du numéro d’identifiant du client. Lorsque le menu du client est activé, la page s’affiche sur l’écran de l’opératrice.

Dans l’extrait 4-7 ci-après, l’opératrice a une tâche en cours qu’elle est en train de terminer lorsque le client appelle le service.

Ext4-7_L09-17_30’29
1 2 CAM oui:/ bonjour j` vous appelle parc:e que j’ai eu un problème en rendant mon locbike/
3 NIN oui:\
4   (1.1)
5 CAM donc en fait/ euh:\ j` l’ai mis dans la §bo:rne/ (.)mais là
  ninG §clic 2e onglet base gestion client
6 7   j’ai pas entendu d` bip sono:re/ ni de clignotemen:t euh du p`ti:t bouton\
8   (0.2)
9 NIN d’accord\ (.) alors vous êtes=
10 CAM =donc\ (0.6) ça s’est allumé en vert/
11   (0.2)
12 NIN oui\
13 (0.4)
14 CAM mais (.) impossible de l` retirer\
15 NIN d’accord\

Elle produit une ratification « d’accord\ » (l. 9) et considère comme complet la formulation du problème par le client. Elle passe ensuite à la phase d’identification « alors vous êtes » mais M. Camus poursuit la présentation de la raison de son appel au tour suivant. Simultanément, elle réalise une manipulation (l. 5) où elle active une des fenêtres ouvertes, qui mène directement sur la page de gestion des clients. À cet instant, l’opératrice n’ayant pas accès au dossier informatique du client, elle ne peut établir un diagnostic concret par rapport à la description du problème par le client.

Nous terminerons l’analyse de cette phase en confrontant le format des formulations de problème que nous avons dans nos extraits par rapport aux catégories proposées par Zimmerman80. Ainsi, nous retrouvons dans nos sept extraits les quatre types de formulation du problème :

Nous avons situé l’extrait 4-6 comme faisant partie à la fois du format de la requête et de celui du récit – le récit préparant la requête – car la formulation du problème est assez longue par rapport aux autres formulations et le tour du client « j` voulais anticiper » (l. 15) marque clairement une demande d’aide. L’annonce caractérisée entre autres par la description de l’état d’un objet est présente dans les extraits 4-1 et 4-2 ; la manière dont les clients décrivent la situation « un vélo en cours de location » correspond à the reason of calling. Enfin nous situons les extraits 4-3 et 4-4 comme des comptes rendus car leur formulation est moins concise que celle des deux autres extraits de format bref, sans pour autant être des formulations longues et détaillées, et elles apportent toutefois des informations contextuelles sur la situation. Nous pouvons également rapprocher nos observations des catégories décrites par Zimmerman qui distingue le format concis (i.e. en un tour généralement : l’annonce) et le format sériel (i.e. en plusieurs tours fragmentés : le récit, la requête, le compte-rendu) de la formulation du problème.

Nous avons relevé par ailleurs une analogie avec les récits ou les raisons de la visite formulés par les patients dans les interactions chez les médecins. En effet, le patient ne formule pas seulement une requête mais produit également des accounts qui rendent légitime sa demande. Heritage & Robinson (2006) ont montré comment les descriptions des problèmes de santé des patients sont construites pour gérer la légitimité sociale de leur choix de venir consulter les médecins et, en particulier, pour justifier la décision de demander des soins médicaux (2006 : 48). Ils ont distingué trois principaux types de présentation du problème médical : i) présenter les conditions routinières d’urgence médicale (i.e. problèmes de santé mineurs) souvent en association avec une énumération des symptômes actuels ; ii) présenter les conditions de « réapparitions » (recurrences) où les patients énoncent des symptômes similaires aux symptômes diagnostiqués précédemment (i.e. correspondant souvent à un auto-diagnostic) ; iii) présenter les conditions nouvelles et inconnues où les patients décrivent les symptômes et leur évolution pour souligner leur doute et leur incertitude au sujet de leurs problèmes médicaux (2006 : 57). Ils en ont conclu que les descriptions de la raison de la visite des patients sont souvent incarnées par des accounts d'un processus préalable de prise de décision et d'action. Il peut s'agir d’accounts sur le raisonnement qui a mené à la conclusion d’un problème probablement nécessitant l’intervention d’un médecin (doctorable), et sur le processus de décision dans lequel le patient a pris un rendez-vous pour venir consulter. En décrivant ce processus, les patients présentent très souvent leurs conclusions et/ou leurs prises de décisions partagées avec des tiers (2006 : 71).

Enfin, si nous comparons la phase d’ouverture décrite par Schegloff81, dans les conversations téléphoniques ordinaires, à celle que nous avons dans les appels de services LocBike, nous constatons clairement que la position préférée pour introduire la première formulation de la raison de l’appel apparaît rapidement en ouverture d’appel. Nous pourrions développer l’organisation de la phase d’ouverture dans les appels de service à LocBike de la façon suivante : 1) « Sonnerie » & « Réponses » (summons/answers) ; 2) Salutations ; 3) Formulation de la raison de l’appel. À ce stade de l’interaction, aucune phase d’identification comme décrite par Schegloff n’a été relevée (cf. introduction de la section 2.1. Formulation du problème) dans les interactions téléphoniques ordinaires. L’identité catégorielle pré-établie dans ce type d’appel, à savoir client vs. opérateur suffirait aux participants engagés pour réaliser la phase d’ouverture de l’interaction comprenant la formulation du problème.

Nous allons analyser à présent la phase portant sur la demande du numéro d’identifiant du client qui permet l’accès à son dossier, puis la saisie de cette information dans le logiciel. Nous verrons que cette phase d’identification se distingue de celle décrite par Schegloff dans sa macro-organisation de la phase d’ouverture des conversations téléphoniques ordinaires puisque les finalités de cette étape n’ont pas les mêmes enjeux entre les conversations informelles et les conversations de service institutionnelles. En effet, l’activité de résolution du problème du client peut progresser après l’accomplissement de vérifications sur son compte informatique par l’opératrice.

Notes
80.

Voir Zimmerman (1992a).

81.

Voir Schegloff (1986).