L’interface informatique a déjà été mise en place

Les extraits 4-3 ; 4-5 ; 4-6 et 4-7 font suite aux extraits dont la formulation du problème par le client a été réalisée de façon détaillée. La mise en place de l’interface informatique a été effectuée pendant la formulation du problème ou avant la prise de l’appel (extrait 4-3). Elle se caractérise par une succession d’action sur l’écran pour afficher la page correspondant à la gestion des clients (cf. images 36-37, ci-dessous). En fonction de l’activité dans laquelle est engagée l’opératrice au moment de la formulation du problème, elle peut réaliser entre une et deux actions sur l’écran. Dans les extraits 4-5 et 4-6, elle a plusieurs onglets ouverts en parallèle et elle est en train de traiter un autre dossier lorsque le client explique la raison de son appel. La mise en place de l’interface informatique se déroule en deux actions : i) cliquer sur le premier onglet (à gauche de son écran) (cf. image 36) ; ii) cliquer sur le menu « client » (cf. image 37).

Image 35 : Page en cours
Image 35 : Page en cours
Image 36 : Clic 1
Image 36 : Clic 1er onglet
Image 37 : Clic menu client
Image 37 : Clic menu client
Image 38 : Affichage page « Gestion des clients »
Image 38 : Affichage page « Gestion des clients »

Dans l’extrait 4-7, l’opératrice clique seulement sur le deuxième onglet de son écran et la page de « Gestion des clients » est déjà affichée, elle n’a donc pas à l’activer à partir du menu « Client ». À partir de la page « Gestion des clients », l’opératrice peut alors saisir le numéro d’identifiant que le client va énoncer dans la phase d’identification. Enfin, dans l’extrait 4-3, la mise en place de l’interface informatique ne s’est pas faite lors de la formulation du problème ; la page « Gestion des clients » était affichée sur l’écran de l’opératrice avant la prise de l’appel.

Ext4-3_L09-17_51’15
13 NIN [alors donnez moi votre] euh:::\&
14 SET [xxx xxx ]
15 NIN &numér[o d’identifiant s’il vous] plaît\
16 SET [d’identifiant/ oui\ ]
17   (0.4)
18 SET vingt et §un:/ (0.3) cinquante neuf\ zéro trois\
  ninG §tape num. id.-->
19   (2.0)§
  ninG -----§

Le passage entre la demande de numéro d’identifiant et la saisie dans le logiciel est bref. Nous remarquons que la demande est formulée en un tour chevauché à deux reprises par le client (l. 14-16). Cependant, ces chevauchements ne sont pas problématiques dans la compréhension de la question. En effet, le client produit un énoncé collaboratif avec le début du tour de l’opératrice : « numéro » (Ninon, l. 15) « d’identifiant » (M. Seti, l. 16). Enfin, le client énumère directement son numéro d’identifiant (l. 18). L’opératrice saisit simultanément les informations au clavier (l. 18-19).

Dans l’extrait 4-5, l’opératrice commence à demander le numéro d’identifiant (« v- » l. 22-23), en chevauchant la fin du tour de parole du client (« bon », l. 21). Cependant, nous remarquons que M. Durand complète son tour précédent (l. 24).

Ext4-5_L24-15_43’07
21 DUR à chaque fois i` m’affiche ça\ [donc e]uh: [bon]
22 MAT [oui\ ] [v- ] v- v-
23   [vous pouvez m` donnez] votre identifiant s’il vous plaît/
24 DUR [voilà ]
25   (1.1)
26 DUR mon identifiant/ [XXX ]
27 28 MAT [votre numéro cli]ent alors\ si vous avez une euh:: carte [XX ]
29 DUR [j’ai une] CArte\ (0.2) ou:ais\
30   (0.3)
31 MAT courte du[rée/ ]
32 DUR [alors c-]
33   (0.6)
34 DUR quatre vingt treize/ §quatre vingt cin:q vingt\
  matG §prise note papier-->
35   (0.6)§
  matG -----§
36 MAT d’accord vous l’avez déposé §sur quelle euh station&
  matG §tape num. id.-->
37 MAT &l` dernier vélo\
38   (0.5)§
  matG -----§

Nous observons de nouveau un chevauchement en début de tour de l’opératrice. Néanmoins, ce chevauchement n’est pas problématique dans la compréhension de la question, le mot clé de la question « votre identifiant » étant prononcé hors chevauchement.

L’analyse de la suite de l’interaction révèle malgré tout un problème dans la demande d’identification. Le client reformule partiellement la question de l’opératrice en ajoutant une intonation montante « mon identifiant/ » (l. 26), ce qui révèle une hésitation concernant la référence auquel se rapporte « l’entité identifiant ». L’opératrice réalise une auto-réparation en chevauchant la fin du tour du client, et reformule différemment l’entité incomprise dans sa question précédente par « votre numéro client » (l. 27). Le client chevauche la fin du tour de l’opératrice (l. 29) ce qui rend inaudible l’information donnée par l’opératrice. Cette dernière réitère la fin de son tour (l. 31) en précisant s’il s’agit d’une carte « courte durée ». Durant cette succession de chevauchements par le client et l’opératrice, le client trouve la source de l’information demandée par l’opératrice. Il initie la phase d’énumération du numéro d’identifiant (« alors c- », l. 32) en chevauchant le tour précédent de Mathilde. Une pause de 0.6 secondes marque un réalignement temporel dans l’interaction afin d’assurer une écoute réciproque par les deux interlocuteurs qui étaient jusque là en chevauchement répété sur les fins de tours de chacun.

Cette séquence de réparation permet de souligner une asymétrie entre client plus expert vs. client moins expert dans la connaissance de ce qu’est le numéro d’identifiant. Ici, l’opératrice doit expliquer à quoi fait référence le numéro d’identifiant ce qui ralentit la temporalité de l’activité et permet éventuellement de mettre en place l’interface informatique.

À partir de la ligne 34, le client énumère son numéro de client. L’opératrice décide d’écrire le numéro simultanément par une prise de note manuelle. Pourquoi choisit-elle le mode manuscrit plutôt que le mode informatique pour saisir le numéro du client ? Nous pouvons supposer qu’elle préfère noter une première fois l’information sur un support « fixe » comme le papier en prévision d’une éventuelle réutilisation ultérieure au moment de la résolution du problème du client. Cependant, nous n’avons pas d’élément de réponse rendu observable par les participants pour expliquer ce passage de prise de note papier. La saisie informatique du numéro d’identifiant commence lors du tour suivant, lorsque l’opératrice pose une question supplémentaire sur l’identité de la station sur laquelle le client aurait reposé le vélo (l. 36-37).

Dans l’extrait 4-6, l’opératrice produit la demande d’identification aux lignes 22-23. Le client répond en chevauchant la fin du tour de son interlocuteur.

Ext4-6_L25-15_01’06’03
22 23 SAM donc pour cela j’aurais besoin de votre identifiant\ s’il vous [plaît\]
24 MAU [c’est ] le trente neuf quatre §vingt\
  samG §tape num. id.-->
25   (0.4)
26 SAM c’est à quel nom/§
  samG -----------------§

L’énumération est brève et l’opératrice commence à saisir les informations simultanément au clavier, en fin de tour du client (l. 24). Elle demande une précision sur le nom du compte client pendant qu’elle finit de saisir le numéro du client (l. 26).

Dans l’extrait 4-7, la page de gestion des clients a été mise en place lors de la formulation du problème et l’opératrice formule sa demande d’identification (l. 15-16) qui est suivie par une longue pause de 1.5 secondes. Cette pause représente un point de transition pertinent pour le tour de parole suivant du client et de son point de vue, rend manifeste également un élément perturbateur.

Ext4-7_L09-17_30’29
15 16 NIN d’accord\ (.) donc donnez moi s’il vous plaît votre numéro d’identifiant\
17   (1.5)
18 CAM euh (l’) identifiant c’est c` qu` y a au dos d` la carte/
19 NIN oui (0.3) °s’il vous plait°
20   (0.4)
21 CAM euh: c’est une carte courte durée\ ça [marche au]ssi/=
22 NIN [oui/ ]
23 NIN =oui oui\
24   (0.7)
25 CAM donc c’est tous les numéros\ c’est ça/
26   (0.4)
27 NIN euh:: les cinq premiers\ (0.2) six premiers\
28   (0.9)
29 CAM les six premi[ers ]
30 NIN [`fin] sauf le:: x sans le san::s sans les zéros\
31   (0.8)
32 CAM d’accord/ (0.8) alors ça fai:t\ dix §neuf/
  ninG §tape num. id.-->
33 NIN oui/
34   (0.7)
35 CAM quatre vingt dix sept
36   (0.4)
37 NIN oui
38   (1.1)
39 CAM et:\ cent quatre vingt (sept, dix sept) °xxx°§
  ninG ---------------------------------------------§

Cette perturbation est confirmée au tour suivant (l. 18) avec l’hésitation du client « euh » en début de tour et une demande de précision concernant la référence de l’entité « identifiant », qui correspondrait à ce qui se trouve « au dos d` la carte ». L’opératrice répond par une affirmation. Cependant, l’élément perturbateur initial qui est « votre numéro d’identifiant » (l. 15-16) reste abstrait pour le client qui va alors produire des demandes de confirmations successives de ce qu’est l’entité « identifiant » lors des tours suivants : i) ligne 21, il s’assure que « l’identifiant » se trouve également sur une carte courte durée (l’opératrice confirme cela) ; ii) ligne 25, il s’assure que « l’identifiant » concerne la totalité des numéros (l’opératrice précise qu’il s’agit des six premiers chiffres « sans les zéros », l. 30). Lorsque l’entité « identifiant » est rendue intelligible par l’opératrice, le client énumère alors son numéro (l. 32-39) et l’opératrice saisit simultanément les chiffres au clavier sur la page de gestion des clients.

Suite à une description séquentiellement détaillée de l’interaction, nous pouvons dire que, dans ces extraits où l’interface informatique était en place, le délai qui s’écoule entre la demande d’identification et la fin de la saisie dans le logiciel est relativement long dans les extraits 4-5 et 4-7, alors que dans les extraits 4-3 et 4-6, cette même phase est plus brève. Cela s’explique par le passage de clarification de ce qu’est « le numéro d’identifiant ». Cette entité ne semble pas être une référence évidente pour certains clients ce qui provoque une succession de demande de précisions afin de d’identifier clairement les numéros à donner. Ici, les clients exhibent leurs statuts novices vs. initiés dans l’utilisation du système de location de vélos. Ces deux statuts sont directement liés à l’opposition entre la phase d’identification longue vs. brève :

  • Si le client est novice, alors la phase d’identification est longue
  • Si le client est initié, alors la phase d’identification est brève

À ce stade là de l’interaction, la détermination du problème potentiel sur la carte du client ne fait pas encore partie de l’objet du discours. Nous sommes à la phase d’identification qui permet ensuite de savoir si un problème est noté ou non sur le compte client. Nous soulignons malgré tout une asymétrie entre les participants au niveau de la connaissance présupposée de ce qu’est « le numéro d’identifiant ». Cette asymétrie s’établit en opposant le statut des deux participants engagés dans l’interaction, à savoir le client qui n’a pas cette connaissance et l’opératrice qui présuppose l’inverse. D’un côté, nous avons le client novice qui fait appel au service LocBike pour résoudre un problème potentiel. Il appelle le centre d’appels où il est confronté, sans doute pour la première fois, à décliner son numéro d’identifiant. Par ailleurs, l’opératrice comprend qu’il s’agit d’un client novice à partir du moment où il formule des demandes de précisions sur la référence exacte de ce qu’est le numéro d’identifiant. D’un autre côté, nous avons le client initié qui est au courant de la procédure lors d’un appel au centre LocBike, ayant déjà eu recours à ce service. Ainsi, le client initié est capable de référer à cet objet « numéro d’identifiant » au moment de la demande d’identification.

Dans tous les cas, le statut novice ou initié du client est exhibé de différentes façons. Si nous tenons compte, par exemple, des syntagmes verbaux présents dans les tours des clients précédant la demande d’identification, les clients rendent reconnaissable leur statut d’initié :

  • Extrait 4-6 (cf. formulation étendue) : « ça m’est déjà arrivée » (l. 13).
  • Extrait 4-3 (cf. formulation courte) : « carte d’abonné » (l. 2).

La phase suivante d’identification est alors produite de façon brève, sans question intermédiaire par le client.