L’interface informatique est mise en place simultanément

Les extraits 4-1 ; 4-2 et 4-4 ci-après font suite à des formulations brèves du problème par le client (cf. formulation brève). À cet instant de l’interaction, l’opératrice n’a pas procédé à la mise en place de l’interface informatique lui permettant de saisir le numéro d’identifiant du client. Nous avons vu dans la section précédente que la phase d’identification est étroitement liée à la gestion du système informatique et que la mise en place de l’interface logicielle nécessite la réalisation de quelques actions successives en fonction de l’activité dans laquelle est engagée l’opératrice. Nous allons étudier en détail la mise en place du système informatique simultanée à l’activité d’identification du client au cours de l’analyse des trois extraits suivants.

Dans l’extrait 4-1, l’opératrice formule la demande du numéro d’identifiant (l. 4-5) tout en mettant en place la page de « Gestion des clients ». La cliente initie son identification « euh zéro » (l. 7) mais s’interrompt pour donner une information supplémentaire à l’opératrice, à savoir qu’elle possède un abonnement sur sa carte CBN (abonnement lié avec la carte des transports en commun de Laville).

Ext4-1_L26-16_29’42
4 SAM d’accord\ (0.5) on va regarder\ §vous m` donnez votre
  samG §clic 1er onglet base gestion client
5 SAM identifiant/
6   (0.6)
7 TIC euh zéro\ c’est la carte cébéèn\

Cette précision nous permet de supposer qu’il s’agit d’une cliente initiée ; elle a la connaissance partagée avec l’opératrice que le mode de recherche est différent selon le type d’abonnement du client. Cette information supplémentaire oriente l’opératrice vers une modification du mode de recherche en affichant l’écran correspondant à la saisie du numéro d’identifiant pour les clients abonnés CBN (cf. im1, l. 8).

À la ligne 9, la cliente reprend son énumération en chevauchant la fin du tour de l’opératrice. Cette dernière l’interrompt et lui demande d’attendre (l. 10). La mise en place de l’interface informatique n’est pas encore terminée. Une longue pause de 3.1 secondes (l. 11) suspend l’interaction en cours afin de permettre au système de charger la page. Ici, l’opératrice s’ajuste à la fois à la cliente, en tenant compte de l’information apportée par cette dernière, et également au système informatique en tenant compte du délai de chargement de la page activée. Ce double ajustement est rendu public par les formulations de l’opératrice.

Lorsque la page demandée est chargée, Samira active ensuite l’option nécessaire qui correspond au moteur de recherche des abonnés (cf. im2, l. 12). Au même instant, elle indique à la cliente la possibilité de reprendre l’activité en cours, à savoir l’énumération de son identifiant. Pour cela, elle utilise une répétition partielle des chiffres précédemment énoncés par la cliente lors de son précédent tour de parole « zéro trois/ ». Mme Tichmievki reprend l’énumération de son identifiant inscrit sur sa carte CBN (cf. im3, l. 14) et l’opératrice saisit simultanément les informations au clavier. La fin de la saisie a lieu sur la fin du tour de parole de la cliente (l. 24). Il s’ensuit une longue pause de 2.0 secondes où l’opératrice n’agit plus sur le clavier ni ne lance de recherche dans la base de données. Cette pause suspend une nouvelle fois le déroulement de l’activité en cours et met en évidence un élément perturbateur pour l’opératrice : à la ligne 27, elle demande une nouvelle fois à la cliente de patienter, « alors attendez », marquant un ajustement des temporalités, et elle effectue une répétition partielle du début du numéro d’identifiant « vous m` dites zéro trois cent/ ensuite ». Il s’agit donc ici d’une demande d’hétéro-réparation, suite à une perturbation rendue manifeste. La réparation est réalisée par la cliente aux tours suivants lors de la répétition totale du numéro d’identifiant. L’opératrice modifie sa saisie (l 32) simultanément à l’énumération de la cliente. La modification a lieu jusqu’à la fin de son propre tour de parole (l. 35) où elle valide également la réparation en répétant le dernier chiffre du numéro d’identifiant « neuf », chiffre qui n’avait pas été mentionné lors de la première identification.

Dans l’extrait 4-4, nous retrouvons le même ajustement de l’opératrice que pour l’extrait 4-1, à savoir la modification du mode de recherche préféré. Ici, il est important de préciser que pendant la phase de salutation en ouverture de l’appel, l’opératrice avait mis en place l’interface informatique en affichant la page de « Gestion des clients ». Par conséquent, au moment de la formulation du problème par le client, elle n’a pas eu recours à l’outil informatique.

Ext4-4_L09-19_01’00’12
7 8 NIN d’accord\ alors euh::\ (.) vous pouvez m` donner votre numéro d’identifiant/
9   (0.9)
10 TAL x/ (0.7) plus simple avec mon nom/
11   (0.9)
12 NIN comme vous voulez
13   (1.0)
14 TAL §alors (..) talecot té a èl e cé o §té\
  ninG §clic option client abonné---------§clic option moteur recherche abonné
15   (0.2)
16 NIN °°d’accord°° §(1.8) § la personne vous a dit sur
  ninG §tape nom client§
17   quelle bornette il l’avait raccroché/§
  ninG §clic bouton lancer recherche
18   (1.0)
19 TAL euh:: non je sais pas xx xxx le numéro du §vélo s` termine par
  ninG §clic bouton lancer recherche
20   soixante douze
21   (0.9)
22 JUS °c’est un èl j` crois° (1.0) c’est §ta[LÉcot ]
23 TAL [et c’est la] station
  ninG §modifie nom client
24   qui est juste à côté du pont (mazarik)
25   (.)
26 NIN d’acc[ord]
27 TAL [ cô]té: euh xx\
28   (0.8)
29 30 NIN donc il s’assu- (.) vous avez réess- retenté de::: (.) d’utiliser votre carte/§
  ninG §clic bouton lancer recherche

L’opératrice formule sa demande d’identification (l. 7-8). Dans l’ensemble du corpus LocBike, l’opératrice demande généralement l’identifiant. Cette requête projette une réponse alignée de l’appelant, à savoir son identifiant. Cependant, ici, nous observons une réponse alternative : la cliente propose de donner son nom pour l’identifier « plus simple avec mon nom/ » (l. 10). L’opératrice s’ajuste au choix de la cliente et modifie alors les options sur l’interface logicielle. Elle met en place l’écran de saisie en mode de recherche par nom de famille par deux actions successives (l. 14) pendant que la cliente épelle son nom au lieu de donner son numéro d’identifiant.

La séquence de saisie du nom par l’opératrice est réalisée pendant un long silence (l. 16). Ninon ne lance pas directement la recherche et formule une question supplémentaire adressée à la cliente avant de valider la recherche (l. 16-17). Lors d’une saisie correcte, la phase d’identification aurait dû se conclure à cet instant de l’interaction, cependant la suite de l’échange montre que l’identification n’a pas abouti convenablement. L’opératrice lance une première fois la recherche du compte client (l. 17), puis une seconde fois (l. 19), simultanément au tour de parole de la cliente en train de répondre à la question posée par Ninon. Cette dernière n’obtient pas de résultat pour sa recherche. Nous observons alors une modification du cadre participatif : Justine, la collègue de l’opératrice qui se trouve à ses côtés, lui vient en aide à deux reprises en lui précisant l’endroit où elle s’est semble-t-il trompée dans la saisie du nom «°c’est un èl j` crois (1.0) c’est taLÉcot » (l. 22). L’opératrice modifie le nom de la cliente lors de la deuxième intervention de sa collègue. Avant de valider la recherche, elle laisse Mme Talécot finir son explication puis formule une nouvelle question (l. 29-30). Ce n’est qu’à la fin de sa requête qu’elle valide la recherche à partir du nom de la cliente (l. 30).

Dans l’extrait 4-2, l’opératrice met en place l’interface de saisie lors de sa demande d’identification (l. 3-4). L’interface est affichée rapidement, en un clic sur le menu concerné.

Ext4-2_L26-16_49’26
3 SAM d’accord\ (.) vous m` donnez votre §identifiant s’il vous
  samG §clic menu client
4 SAM plaît/ au dos d` la carte/
5   (1.2)
6 7 DUP ah mon identifiant au dos d` la carte\ euh: attendez voir:/ (0.6) XXX prendre ma carte/ (1.3) tilali::/ quarante et un/
8   (.)
9 SAM §oui
  samG §tape num. id.-->
10 DUP zéro neuf cinquante trois\
11   (1.1)§
  samG -----§

Nous remarquons dans cet exemple que l’opératrice précise dans sa question la zone de référence où se situe le numéro d’identifiant. Cet ajout d’information, qui n’est pas systématique de la part des opératrices, permet de situer plus précisément ce qu’est l’entité « numéro d’identifiant » que nous avons thématisée dans la section précédente. Ensuite, l’activité en cours est suspendue par le client qui cherche sa carte (l. 7) afin d’avoir les informations sous les yeux. Il rend intelligible son environnement à l’opératrice grâce à une description verbale. Il commence à dire son numéro d’identifiant après une pause de 1.3 secondes (l. 7) et l’opératrice saisit les informations (l. 9) en parallèle de l’énumération du client.

L’analyse séquentielle de ces trois extraits a permis de décrire la mise en place simultanée de l’interface informatique au moment de la demande d’identification. Cette phase nécessite parfois plusieurs actions multimodales successives de l’opératrice dues aux informations non prévisibles données par le client et auxquelles l’opératrice doit s’ajuster pour le bon déroulement de l’activité de saisie du numéro d’identifiant ou du nom du client. Dans nos extraits, nous avons observé deux modes d’identification qui obligent l’opératrice à modifier son interface informatique pré-établie : i) le mode de recherche pour les clients abonnés CBN ; ii) le mode de recherche par le nom du client. Dans les deux cas, le réajustement de l’interface informatique a été initié par une information nouvelle et non prévisible du client :

Ce réajustement induit un ralentissement de la temporalité dans l’activité d’identification. Manifestement, lors d’un problème de temporalité dans l’interaction, les participants rendent public un détail de leur environnement ou de leur activité (ex : chercher la carte, ou afficher la page correspondante). Ils rendent ainsi accountable une action et un format temporel de leur action. Nous avons observé deux formats de demande d’identification et de saisie du numéro d’identifiant :

  1. Le format court : dû à une anticipation du développement de la séquence par le client d’une part, qui exhibe alors son statut d’expert ; par l’opératrice d’autre part, qui a déjà installé la page correspondante à la saisie du numéro d’identifiant.
  2. Le format long : dû à la fois à un problème de reconnaissance de ce qu’est un identifiant – problème exhibé par le client qui rend ainsi manifeste son statut de novice ; ou dû à un problème de mise en place du système informatique par l’opératrice. Ces deux facteurs produisent des retards et un allongement de la phase d’identification.

Enfin, nous avons souligné l’émergence d’éléments perturbateurs qui nécessitent des séquences de réparation pendant la phase d’identification. Dans les extraits 4-1 et 4-4, l’opératrice a une mauvaise compréhension du numéro d’identifiant ou du nom du client qu’elle manifeste dans l’extrait 4-1 uniquement. Dans l’extrait 4-4, l’incompréhension est rendue publique grâce à la recherche non aboutie du nom du client. Dans les deux cas, nous relevons une hétéro-réparation : par le client qui reformule son numéro d’identifiant (extrait 4-1) ; par la collègue de l’opératrice qui répète le nom du client (extrait 4-4). Ces séquences de réparations contribuent également à un allongement de la phase d’identification.