Conclusion

L’analyse de la collection et du single case que nous venons de mener a voulu montrer une organisation précise de l’activité d’appels de service. Nous avons mis en avant une structure séquentiellement préférée dans l’enchaînement des étapes au cours d’un appel où le client semble avoir un problème sur son compte client, et après vérification, il s’avère qu’aucun problème n’est observé. De manière générale, nous avons dégagé la structure suivante :

Schéma 3 : Organisation séquentielle lors d’un appel a-problématique d’un client
Schéma 3 : Organisation séquentielle lors d’un appel a-problématique d’un client

Nous retrouvons les cinq étapes principales d’un appel a-problématique du client (hors ouverture et clôture de l’appel). Ce schéma permet de résumer l’organisation séquentielle de ce type d’appel, et notamment de rendre compte de l’ajustement temporel complexe et variable dans le passage d’une phase à une autre. Nous considérons dans notre analyse que le moment central est celui de l’affichage du compte client sur l’écran de l’ordinateur. Nous avons établi qu’il existait une forme d’anticipation par l’opératrice de la durée de chargement du résultat en rapport avec les actions dans lesquelles sont engagés les participants dans les phases précédentes et suivantes celle de l’affichage du résultat. L’opératrice peut construire un diagnostic plus ou moins exact en fonction des informations fournies par le client. Ces informations sont généralement données en ouverture d’appel lors de la formulation du problème. Selon les indications apportées, l’opératrice peut initier des séquences de questions/réponses supplémentaires à la fin de la phase d’identification, en attendant le chargement du compte client sur l’écran. La durée de ce chargement est plus ou moins anticipée par l’opératrice à partir des indicateurs disponibles sur son écran, à savoir la barre de progression et/ou le message écrit affiché vers la fin du chargement. Si l’opératrice parvient à anticiper correctement le moment de l’affichage du résultat, et par conséquent sa lecture, en clôturant la séquence de questions/réponses, il peut y avoir une synchronisation entre la formulation de la première notification et l’affichage du compte client. À l’inverse, si la séquence de questions/réponses se prolonge au-delà de l’affichage du résultat, ou si l’opératrice décide d’insérer une nouvelle séquence de questions/réponses après l’affichage du résultat, il peut alors y avoir un temps de latence entre la formulation de la première notification et l’affichage du compte client.

Nous avons relevé quelques marques d’asymétrie du point de vue des statuts des participants. Les clients montrent par exemple leur statut novice ou initié dans l’utilisation du système au cours de la phase d’identification lorsqu’ils rendent compte de leur connaissance ou non de ce qu’est le numéro d’identifiant. Cette différence des clients peut modifier la temporalité de l’interaction par le fait que l’opératrice s’ajuste par exemple aux demandes de précision formulées par le client pour caractériser l’entité « identifiant ».

Par ailleurs, nous avons distingué trois activités possibles dans lesquelles s’inscrivent les notifications et les explications apportées par l’opératrice pour justifier de l’état a-problématique du compte client. Le choix de l’activité réalisée dépend de l’origine du problème décrit par le client ; nous avons relevé : i) l’activité de diagnostic, plus ou moins étendue en fonction de l’alignement du client suite à la première notification de non problème ; ii) l’activité de pédagogie, pour rendre le client autonome lors d’une prochaine utilisation du système ; iii) l’activité de relation sociale, qui émerge plutôt en fin d’appel, pour rassurer le client sur le bon état de fonctionnement de son compte. Certaines notifications et explications peuvent s’inscrire de manière complémentaire dans deux activités.

Schéma 4 : Activités dans lesquelles s’inscrivent les notifications
Schéma 4 : Activités dans lesquelles s’inscrivent les notifications

Les trois activités mise en avant ne se retrouvent pas dans les organisations séquentielles proposées par Schegloff et Zimmerman. Nous pensons que cela est spécifique à ce type d’appel de service, en comparaison avec les appels ordinaires ou les appels d’urgence.

D’un point de vue plus général, l’analyse de l’activité de notifier l’état a-problématique du compte client a permis de souligner l’intérêt de cette situation particulière en comparaison aux appels où il y un réel problème comme c’est le cas dans la majorité des appels de service assistance. En termes d’organisation préférentielle, nous avons pu observer que les clients s’orientaient majoritairement vers une acceptation de la notification de non problème annoncée par les opératrices, réalisée de manière contigüe dans l’organisation des tours de parole (Sacks, 1987). En effet, l’activité de notifier l’état a-problématique du compte client peut comprendre plusieurs séquences de vérification pour expliquer la raison d’une mauvaise compréhension de la part des clients lors d’une tentative de location de vélo. Ces vérifications sont différentes lors de la résolution d’un problème réel sur le compte client. À partir du moment où l’opératrice a notifié l’état a-problématique du compte, le client s’oriente vers une acceptation du diagnostic de son interlocutrice. Les séquences de négociation ou de justification semblent moins fréquentes dans ce type d’appel que lors d’appels problématiques ; et lors de l’émergence de ce type de séquences, les participants se dirigent vers une conclusion assez rapide en s’alignant sur les explications données par les opératrices.

Enfin, nous avons pu observer quelques retombées plus générales du point de vue de l’usage de la technologie par les clients, notamment en termes de design. En effet, dans l’activité de notifier l’état a-problématique du compte client, nous avons relevé que la source d’une mauvais compréhension du client provenait souvent d’une mauvaise lecture d’un message affiché sur l’écran des bornes. Il semble qu’une réflexion devrait être menée sur la manière de présenter les informations sur les écrans lors d’une location de vélo et qu’il faudrait insister par exemple sur le caractère « nouveau » et « préventif » du message, soit de manière visuelle et graphique, soit de manière organisationnelle dans l’enchaînement des différents écrans lors de la location du vélo.