Première partie : des objets de la statistique à l’esprit statistique

1. Introduction de la première partie

Le parcours d’élaboration de cette thèse s’est construit au fil d’une formation universitaire en Sciences de l’Éducation. Ici pour le retracer rapidement, nous dirons que lors de la constitution d’un mémoire de licence (COUTANSON, 1995), portant sur les Nature et dynamique des représentations de la statistique chez les étudiants en Sciences de l’Éducation, nous avions pu avancer comme réponse au trouble des étudiants à l’approche de l’épreuve de statistique que « le parcours scolaire de chacun semblait prendre une part importante dans cet état de fait » et, qu’ « être “matheux” prédisposait souvent négativement à l’appréhension statistique ! ». Le mémoire de maîtrise (COUTANSON, 1999) traita de La statistique, ses représentations et ses usages didactiques et pédagogiques à l’école élémentaire. Au travers de cette étude, trois hypothèses étaient avancées : H1, « Les professeurs ont une représentation significativement négative de la statistique » ; elle fut invalidée. H2, « leur parcours scolaire, nuit aux éventuelles initiatives statistiques lancées en classe » ; elle fut validée et H3, « Introduire la statistique en classe génère très souvent, des obstacles didactiques et pédagogiques spécifiques, non résolus » qui fut également validée. Continuant toujours dans la même voie de recherche, le mémoire de DEA (COUTANSON, 2004) nous interrogea sur comment Introduire un enseignement de la statistique au cycle III de l’école élémentaire, en France, analyse de quelques obstacles auxquels se confrontent les enseignants. Il en ressortait que notre première hypothèse se confirmait : les enseignants du cycle III de l’école élémentaire rencontraient des difficultés à conduire en parallèle les deux logiques suivantes rencontrées dans l’approche mathématique et scientifique : la recherche d’« un résultat unique, précis, irréfutable » et de l’autre « la part d’incertitude à admettre, dans la considération d’un résultat ».  Par contre, notre deuxième hypothèse ne se vérifiait pas : les textes traduisaient certes un appel implicite à l’apprentissage de la statistique et des probabilités comme objet d’enseignement (vers une confrontation à l’incertitude, à l’aléatoire, à l’intérieur des programmes, la proximité de la posture et des outils de la statistique à l’école élémentaire n’avait jamais été aussi manifeste), sans que toutefois ne soit explicitée clairement la notification d’un apprentissage de la statistique ! De plus, les professeurs des écoles semblaient avoir une connaissance suffisante de ces programmes mais par principe de précaution (d’ordre éthique, d’efficacité ou tout simplement lié au risque de surcharger d’année en année les programmes), ils apparaissaient souvent comme étant encore plus réticents qu’eux, à une modification ou à un ajout de disciplines scolaires. Par la suite, nous montrions que ces mêmes professeurs n’avaient pas conscience des insuffisances et des limites des propositions des manuels scolaires en matière de statistique et qu’enfin, l’introduction d’un enseignement de la statistique à l’école soulevait des difficultés conceptuelles et didactiques nouvelles pour une mise en projet pédagogique au sein des classes.

Le cheminement fut souvent âpre non seulement pour trouver appui sur des travaux préexistants, en référence avec cette étude mais aussi pour affronter une somme d’obstacles liés au regard que portaient les acteurs concernés par l’objet de notre étude. Surprise des réactions des étudiants (objet du mémoire de licence) et incompréhension vive exprimée par tous ceux qui ne pouvaient concevoir un élargissement sans fin des programmes scolaires de l’école primaire. A leurs yeux, ces derniers étaient déjà suffisamment copieux pour penser introduire de nouvelles connaissances. Les questionnaires remplis par les professeurs des écoles révélaient par ailleurs l’aspect inconcevable d’aborder la statistique, qu’eux-mêmes ne maîtrisaient pas suffisamment. Pour d’autres encore, comment pouvait-on faire valoir et enseigner un objet d’étude basé avant tout sur le hasard, envisageant alors le risque d’un télescopage avec l’apprentissage des mathématiques qui n’est encore en rien installé durablement dans l’esprit des élèves de cet âge.

Il nous a donc paru évident et indispensable dans la structuration de cette recherche, de se poser la question de sa pertinence : la pertinence répond au dessein de participer à des recherches en cours avec la volonté de réduire les espaces de connaissances laissés en friches. Donnons comme exemple l’apprentissage de la statistique au cycle III. Mais la pertinence de cet objet de recherche ne peut se suffire de la seule raison d’apporter des éléments explicatifs au paradoxe de la quasi inexistence d’un enseignement / apprentissage explicite de la statistique, dans un cycle du primaire qui fera pourtant la jonction avec le secondaire, alors que la référence à un usage permanent de la statistique se généralise comme indiqué en introduction et que les concepteurs des programmes appellent de toutes parts à son introduction dans le curriculum scolaire (KAHANE, 2000). La pertinence passe également par le canal des acteurs majeurs qui dans notre cas, sont incontournables pour l’essor de cet enseignement : les professeurs des écoles. Cette première partie s’attachera donc à ce projet. Il ne s’agit pas de démontrer une quelconque obligation d’enseignement de la statistique mais simplement de répondre au préalable à leur questionnement premier, rencontré lors de nos précédentes enquêtes. Comment pouvons-nous dire que nous sommes désormais en présence d’un fait statistique ? Là, réside la première marche d’efficience d’une réponse au problème posé.

Après un retour sur la notion de statistique, parler de pertinence de son enseignement au cycle III de l’école élémentaire revient d’une part à l’ancrer dans un usage quasi-incontournable de chacun au sein des relations économiques, sociales et professionnelles, et d’autre part à apporter une réponse aux multiples recommandations institutionnelles de l’Éducation nationale. Ainsi selon ce cadre, il nous faudra définir deux notions que nous emploierons par la suite : la statistique reconnue comme fait statistique, pilier du questionnement de la première partie de notre étude et comme fait scolaire, traduisant son installation à l’école. Ce qui constituera la base de la deuxième partie de ce mémoire. Dans cette logique, faire usage des objets de la statistique génère en contre coup l’appréhension d’une pensée statistique par son utilisateur que nous pourrions déjà rapprocher d’un mode de raisonnement statistique, et d’un esprit statistique qui agrègera en cohérence avec la pensée statistique, les dimensions professionnelles de l’enseignant et donc les aspects pédagogiques et didactiques qui en découlent. Revenons pour l’instant, sur la définition du terme statistique.