3.1.4. La permanence et la profusion d’une présence statistique

Cette préoccupation révélée ponctuellement au sujet et la garantie de traitement éthique et rationnel respectée, ne suffisent pas à lui reconnaître un statut particulier. Elle doit encore prendre une dimension s’élevant bien au-delà de celle des faits qui ont retenu le regard du chercheur. Sa présence doit correspondre à une tension permanente, voire incontournable de l’espace éducatif qui nous intéresse. Portons donc notre analyse sur l’ampleur de cette présence.

‘« Nous vivons dans le monde des chiffres. La recherche de la valeur des choses est celle de leur quantum : l’évaluation se réduit à la pesée. De la ménagère qui calcule ses dépenses à l'État qui recense sa population ; de l’inflation au chômage [...], ce ne sont que compteurs, gros ou petits, simples ou complexes. L’arithmétique est devenue le mode général de la pensée. L’humanité ressemble à un "computeur" géant qui produit des données, les traite à différents niveaux, s’en sert pour prendre des décisions ; décisions dont les effets modifient les données. » (BESSON, 1992, p. 8)’

Cette présence statistique permanente relatée par Jean-Louis Besson (BESSON, 1992), permet pourtant des anticipations d’une surprenante précision ; l’exemple des projections démographiques de l’I.N.E.D. proposées par Albert Jacquard (JACQUARD, 1997, p. 43) sont là pour le montrer :

Tableau 4 : Projections démographiques
Années 1960 1970 1980 1990 2000
Projections de 1958 2 910 3 480 4 220 5 140 6 280
Effectifs atteints dans la réalité 3 014 3 683 4 453 5 201 6 130

Si cet organisme prévoit un effectif de l’ordre de 8 200 millions d’hommes sur terre en 2025 (chiffre qui dépasserait 10 milliards au cours de la seconde moitié de ce siècle !), nul ne peut plus ignorer le recours indispensable à la statistique pour anticiper de façon responsable le futur destin de l’humanité. Notre univers se mesure en tous points, s’évalue, s’anticipe etc. La naissance donc d’un fait correspond à la prise de conscience que sa croissance a gagné en expansion (en volume d’activité comme en nombre de champs couverts). C’est le cas d’évidence pour les prévisions industrielles, économiques, financières, météorologiques, épidémiologiques, etc. mais cela le devient également pour la gestion des administrations qui doivent rendre compte de l’efficience des fonds engagés pour les projets mis en place ; c’est actuellement l’obligation de respecter la loi d’orientation des lois de finance(la LOLF) pour les secteurs publics. Cette évolution a investi par étapes successives, l’Éducation nationale. Les statistiques ont d’abord contribué à la prévision des effectifs, puis l’arrivée des projets d’école a installé le recours incontournable aux données de réussite des élèves de chaque groupe scolaire. Désormais chaque année, les équipes doivent organiser les modifications d’orientation d’après un pilotage cadré sur des données statistiques précises. L’outil statistique s’est introduit parmi nous sans exception, au point qu’insensiblement, rien de ce qui est humain n’est resté étranger aux statistiques. La reconnaissance statistique ne se limite plus à l’analyse descriptive des faits de société et à l’inférence que l’on peut envisager, aidée en cela par l’arrivée massive du développement des ordinateurs. Nous exigeons d’elle qu’elle perce toujours plus loin le mystère du hasard, pour minimiser les risques humains, matériels et financiers qui enrésultent.

La statistique est devenue l’une des clés nécessaires au traitement de l’information. Elle nous permet de comprendre les analyses et décisions en cours, relatives à la conduite des projets, à l’étude des modifications à apporter aux lois en place. Aujourd’hui, son rôle est plus profond : il donne accès à la possibilité de comprendre la loi dont le fondement s’appuie sur une base statistique qui l’intègre, la structure et en valide son application. Prenons comme exemple, le cas de l’expérience russe : la loi électorale exige pour tout candidat à la Présidence du pays, de recueillir auparavant un minimum de 2 millions de signatures d’élus. Devant la tâche immense que requerrait cette exigence de contrôle total, la loi demande de procéder par tirages statistiques successifs :

La statistique est donc devenue outil de gestion économique et sociétale mais aussi, instrument de construction des règles de vie en société et du suivi de leur application. Son utilisation semble acceptée, sa présence se substituant comme une évidence au pilotage des projets. L’école de son côté, malgré la réticence des enseignants à son égard pour un usage professionnel (comme nous l’avons avancé plus haut), n’échappe pas à cette nouvelle façon d’évaluer les compétences acquises par les élèves, les performances atteintes par les établissements. La statistique se présente donc comme élément novateur, essentiel et dorénavant incontournable des organisations.