3.3. La statistique : un fait sociétal

3.3.1. Le rapport de la statistique aux pratiques quotidiennes, et aux représentations collectives

Jusqu’à présent, nous avons relevé les caractéristiques qui établissaient qu’un fait prenait place en un temps et un lieu donné pour devenir fait de société. Le fait statistique dépasse cet état ; dorénavant, nul ne peut plus l’ignorer et chacun doit en tenir compte pour gérer sa propre destinée. Il est devenu fait sociétal. Expliquons-nous en cela en relisant les propos d’Émile Durkheim (1937), caractérisant les faits sociaux selon les règles de sa méthode sociologique (DURKHEIM, 1988, p. 97) :

‘« Voilà donc un ordre de faits qui présentent des caractères très spéciaux : ils consistent en des manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu, et qui sont douées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui. Par suite, ils ne sauraient se confondre avec les phénomènes organiques, puisqu’ils consistent en représentations et en actions ; ni avec les phénomènes psychiques lesquels n’ont d’existence que dans la conscience individuelle et par elle. Ils constituent donc une espèce nouvelle, et c’est à eux que doit être donnée et réservée la qualification de sociaux. ». ’

Il concentre plus loin, dans son ouvrage intitulé Les règles de la méthode sociologique, la définition qu’il donne du fait social (DURKHEIM, 1988, p. 107) : « Est fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure ; ou bien encore, qui est générale dans l’étendue d’une société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses manifestations individuelles. » L'étude du fait social à laquelle se livre l’auteur, ne doit pas être confondue avec l'étude du fait de société. Un fait de société ne devient fait sociétal que si une causalité peut être établie entre ce fait et son contexte et si l'on peut décrire par la suite cette causalité. Dans notre cas, l’étude du fait statistique lui-même, montre désormais une causalité entre sa maîtrise, son utilisation et l’avantage économique et culturel à en tirer. La statistique est devenue un outil indispensable pour accéder à un apport supplémentaire d’information, de synthèse et d’anticipation, et donc de pouvoir de décision. Notons que pour Durkheim, c’est l’utilisation des statistiques qui permet de traduire et d’évaluer scientifiquement l’influence de la société sur le comportement individuel des individus (Durkheim. Le suicide, 1897). Que l’on pense alors comme Durkheim, que l'individu “subit” les effets de la société qui l’entoure, indépendamment de sa consistance physique et psychique de son être, ou comme Weber que les faits sociaux découlent des actions que les individus accomplissent selon leurs valeurs, dans les deux cas, le fait sociétal statistique traduit un passage indispensable pour accéder à une analyse scientifique des effets associant la société et les individus. Le fait traduit donc ce lien systémique qui joint les individus à l’ensemble. Il fait concourir le tout et les parties au sein de la statistique ; il est ce qui permet au tout d’être plus que la somme des parties. Il requiert donc la nécessité d’un regard critique à son encontre pour en mesurer le bien fondé et son usage régulé. Tout enseignement de la statistique, ne peut se suffire d’un usage efficace des outils en place ; il est aussi là pour accompagner l’élève dans la formation de son sens critique. La statistique permet à chacun de mettre en lien la gestion de lui-même avec celle du groupe société ; c’est en cela qu’elle participe d’un fait sociétal.