4.1.4. La statistique, une façon d’admettre le présent et d’anticiper le futur

La statistique permet de porter un regard mesuré sur le passé. Elle offre ainsi la possibilité d’une comparaison quantifiée d’aujourd’hui, pour éclairer le présent. Mais surtout, elle oblige l’ouverture d’une exigence de transparence des critères et des mesures qui ont permis l’élaboration de ces chiffres. L’orthographe fournit un exemple anecdotique montrant que l’on doit passer de la méfiance face à une somme d’exceptions hermétiques, à une analyse raisonnée de l’écrit. Relisons en cela, les propos de Bernard Pivot, préfaçant l’ouvrage de J.P. Colignon, intitulé “L’orthographe, c’est logique !” en ces termes (COLIGNON, 2003, pp. 5-6) :

‘« L’idée s’est répandue dans le public que l’orthographe française est difficile parce qu’elle s’est constituée au petit bonheur la chance, qu’elle obéit rarement à des règles, que d’ailleurs les exceptions en sont la monnaie courante […]. Faux, parce que “l’orthographe, c’est logique !” Ça ne l’est pas toujours, mais ça l’est le plus souvent. […] Les probabilités de tomber sur l’orthographe juste sont autrement plus grandes quand on a de la jugeote et l’esprit rigoureux que lorsqu’on se fie “au flair” et à la chance ». ’

Regard sur le passé et le présent, mais aussi sur le futur ; le chemin semble plus long car il intrigue depuis longtemps les scientifiques comme l’humanité en général. Pour cela, relisons la thèse de Jean-Claude Oriol. Ce dernier montre que très tôt déjà, dans la période babylonienne du premier millénaire, où des notations liées au cadastre portaient des indications concernant le lever du soleil et de la lune « permettant ainsi l'apparition d'une vraie astronomie prévisionnelle » (GOODY, 1993, p.167). Ces faits donc montrent, toujours selon cet auteur (p. 10) :

‘« qu’en quelques pas nous sommes passés de listes d’objets et de nombres, c'est-à-dire un début des statistiques descriptives à une véritable approche de statistiques prévisionnelles. Ce double aspect de ces listes, d’une part le codage réservé à ceux qui en connaissent les clés, et d’autre part la prévision d’un futur par essence imprévisible, va installer pour longtemps respect et défiance vis-à-vis du statistique. Comment en effet ne pas être empli de respect pour celui qui sait à l’avance ce que l’on va trouver dans une jarre ou dans une tablette d’argile et ne pas craindre celui qui par la lecture des tables arrive à prévoir les phases de la lune ? ». ’

Et, en revenant à un développement de la pensée scientifique nourrie de la pensée d’Aristote, Jean-Claude Oriol fait remarquer qu’elle servit de point d’appui à la doctrine officielle de l’église, par la démarche de Thomas d’Aquin (1225-1274). Cependant, il ajoute alors (ORIOL, 2007, p. 20) :

‘« Mais ce qui a permis le développement de la pensée et de la méthode scientifique, devient un obstacle pour développer une pensée statistique, […car] lorsqu’on lit chez Aristote (Aristote, Derniers analytiques) dans le début du chapitre VIII des « Derniers analytiques » : “ Toute conclusion démontrée est éternelle : il n'y a donc pas de démonstration pour les choses périssables, de même qu'il n'y a pour elles que science d'accident. - Les définitions sont éternelles comme les démonstrations, dont elles ne sont qu'une forme. – La démonstration peut s'appliquer à certaines choses passagères, mais dont l'essence est éternelle, par exemple certains phénomènes naturels ” on retient qu’ « il n’y a pas de démonstration pour les choses périssables ». ’

Après ce rappel, il appert que la prévision du futur s’est installée comme un affront à l’ordre religieux pour qui seul Dieu peut prévoir et régenter toute destinée. L’organisation d’une pensée statistique, s’ancrant dans l’axe du temps, tirant des conclusions, sources de projection et d’orientation des actions de l’homme, ne fut jamais chose facile. La transgression ne fut possible que par le biais de la recherche permettant d’échafauder la théorie des jeux (Pascal…). Néanmoins, force est de constater que cet interdit perdure sous forme d’effets imperceptibles et inconscients : qui n’a pas entendu parler de ces chercheurs férus de respect à l’encontre des méthodes rationnelles dans leur besogne professionnelle mais qui s’en réfèrent aux prédictions d’un voyant pour répondre à leurs interrogations personnelles ? Cette protection par la statistique face au risque d’enfermement dans une lecture actuelle, et spontanée des événements, complète l’effet d’analyse objective des aspects pédagogiques de la formation de l’élève, obligé de surseoir ainsi à notre intention spontanée de résultat immédiat.