4.2.2. La statistique, une prise en compte de notre rapport incertain au savoir

Revenons sur la réflexion soutenue par Edgar Morin. A la demande de l’UNESCO (MORIN, 2000), ce dernier a apporté sa contribution, pour essayer d’analyser l’évolution du monde au travers des concepts qui selon lui, semblent indispensables à appréhender, pour pouvoir comprendre les enjeux du futur. Il avance de ce fait, plusieurs chantiers de questionnements sur le contenu et la manière d’apprendre qui interpellent en toute logique l’école. En premier lieu, il interroge notre démarche de pensée en invitant entre autres (p. 9) à « armer chaque esprit dans le combat vital de la lucidité ». Il encourage à sortir de la tendance à occulter dans notre rapport au savoir, tout effet d’erreur ou d’illusion. Il rappelle au passage que la pertinence de la connaissance d’une situation, ne peut se chercher qu’à partir de son appréhension globale, systémique. Les sciences nous ont jusqu’ici fait côtoyer beaucoup de certitudes mais nous confrontent dorénavant à l’appréciation et au dosage de l’incertitude. « Il faut apprendre à naviguer dans un océan d’incertitudes, à travers des archipels de certitude » (p. 14). Nous avons pris conscience, qu’il fallait maintenant tenir compte de l’inattendu ; l’enjeu demande à ce que nous puissions “faire avec lui”, de la manière la plus lucide et constructive.

En second lieu, Edgar Morin sur le plan éthique, évoque la complexité de l’être humain (physique, biologique, psychique, culturel, social et historique). Il insiste sur l’obligation d’inclure l’identité particulière de soi comme de l’autre dans l’échafaudage des savoirs. Il convoque également la conscience de l’“identité terrienne”, de cette obligation de survie qui presse l'être humain à se considérer non plus comme unité isolée mais comme partie prenante de l’avenir terrestre. L’éthique du genre humain doit honorer le triptyque de l’être : individu, membre d’une espèce, membre d’une société d’où les liens forts qui relient ces trois facettes : le respect individuel, la recherche permanente de la démocratie et la prise en charge de la responsabilité planétaire. Cette éthique de vie convie également la compréhension de l’autre qui passe par l’accompagnement du message, de la communication de celui-ci. Par ses positions, Edgar Morin complète la nécessité du regard statistique à porter à notre environnement. Il ne la limite pas à l’aspect technologique, et lui assigne aussi la participation à une prise de responsabilité éthique, philosophique et éducative. L’école doit entendre le message afin d’installer les bases de son enseignement futur. Pour préciser ses considérations sur l’homme face à l’incertitude, Edgar Morin explique (p. 87), que le XXème siècle :

‘« a découvert la perte du futur, c'est-à-dire son imprédictibilité  […] Une grande conquête de l’intelligence serait de pouvoir enfin se débarrasser de l’illusion de prédire le destin humain. L’avenir reste ouvert et imprédictible. Certes, il existe des déterminations économiques, sociologiques et autres dans le cours de l’histoire, mais celles-ci sont en relation instable et incertaine avec des accidents et aléas innombrables qui font bifurquer ou détourner son cours». ’

L’incertitude se découvre à la relecture historique du déclenchement des guerres, des idées et actes déviants qui concourent à la catastrophe ou au mieux être. L’acte vital de création passe inévitablement par la loterie de “l’oser” innover qui fait prendre des risques en retour à soi et aux autres. L’évolution passe par l’aspect ambivalent de la création, indispensable, non sans avantage ni risque, qui pousse en avant dans une “dialogique” entre :

Figure 8 : La dialogique ordre – désordre
Figure 8 : La dialogique ordre – désordre

Notre approche du monde, passe par le même glissement : les faits sont traduits puis reconstruits intérieurement, et subissent les aléas de notre inconscient (cheminement non totalement logique, confusion entre démarche rationnelle et rationalisation, impossibilité d’auto-analyser notre propre sincérité). D’un autre côté, tout essai d’anéantissement de l’incertitude, course éperdue vers la “grande certitude”, dériverait facilement vers le péril de l’explication doctrinaire. Ce qui fait dire à Edgar Morin (p. 94) : « La conscience du caractère incertain de l’acte cognitif constitue une chance d’arriver à une connaissance pertinente, laquelle nécessite examens, vérifications et convergence des indices ». Le réel n’est pas ce qui paraît évident ; en lui réside encore une part de possibles non encore avérée. Toute action à engager, va s’inscrire dans un ensemble d’interactions qui lui répondront. Pour en décider, il faudra tenir compte en amont, comme pendant son déroulement des effets aléatoires qu’elle va rencontrer. L’outil statistique accompagnateur de projets, devra se concevoir en évaluation évolutive. A notre habitude d’agir selon des programmes d’actions, devra se substituer celle de stratégies, prenant en compte les modifications permanentes du système.