4.2.4. Retour sur l’idée de pensée statistique

Si derrière la pensée, nous entrevoyons comme Descartes (Deuxième méditation) : penser, douter, comprendre, vouloir, imaginer, sentir, nous en appelons aussi à Kant pour une pensée désignant les facultés qui rendent possible la connaissance élaborée au travers de concepts. Par contre, la pensée statistique ne pourrait pas être rangée comme l’auraient fait sous-entendre ces deux auteurs à leur époque, parmi les moyens permettant de porter des jugements ; elle s’impose simplement en élément de prise une décision. Elle permet d’exercer une activité réflexive, cadrée et outillée par la statistique, portant sur un objet à étudier et favorisant en cela un accès et un apport de connaissances. Elle ne se limite pas au raisonnement statistique ; elle englobe également divers éléments qui l’accompagnent et qui façonnent notre rapport au monde. La particularité essentielle que Daniel Schwartz (SCHWARTZ, 1994) lui concède, est de permettre de fonder une science du vivant. Il la caractérise ensuite par une pratique qui s’établit sur deux types de problèmes. Le premier, la description d’une population pour une caractéristique, un événement, une variable donnée, aborde entre autre, les aspects de variabilité, d’accès en général inaccessible à toute la population concernée, d’échantillons, de fourchette et de risques d’erreur consentis. La spécificité de ce premier type de problèmes parmi ceux présentés classiquement à l’école, réside d’après cet auteur, dans le constat (SCHWARTZ, 2001, pp. 4-5) « que nous avons été éduqués dans le domaine du certain, et que nous avons peur de l’incertain ». La seconde catégorie de problèmes est la description comparée, la recherche d’une liaison (éventuellement causale, entre deux populations pour la description du même caractère ou entre deux variables), qui nécessite l’utilisation de “tests statistiques” « permettant de savoir si la différence est imputable aux fluctuations d’échantillonnage, ou si elle est réelle (significative). […] Un facteur causal n’entraîne pas nécessaire­ment l’événement, il suffit qu’il entraîne une augmentation de probabilité de cet événe­ment. » D’apparence, seuls les problèmes de la première catégorie relève du champ d’apprentissage de l’école élémentaire ; quant aux seconds, à ce niveau scolaire, repérer des tendances ne pourrait conduire à aucune ambition de recherche de significativité ou d’exhaustivité. Par contre, comme le montre Nicolas Gauvrit, dans son ouvrage intitulé Statistiques, méfiez-vous ! (GAUVRIT, 2007), un approfondissement important reste à amorcer avec les élèves en liaison avec des faits quotidiens, pour montrer la confusion permanente entre causalité et corrélation.Mais la pensée statistique est plus que la simple capacité à “faire fonctionner” des protocoles de résolution de problèmes tout en restant dans un cadre fixé par la statistique. Nous parlerons en cela d’un esprit statistique, qui porte à la découverte, qui œuvre à mettre en acte une forme d’intuition statistique chaque fois qu’une situation relève du champ d’action de la statistique. Pour Jean-Claude Régnier (REGNIER, 2005, p. 15), cette posture statistique, est profondément marquée par le rapport entretenu à l’incertitude et à l’erreur pour la prise de décision. Il précise :

‘« Le développement de l’esprit statistique est lié à celui du niveau de conceptualisation du risque encouru dans une prise de décision et de celui de la compétence à produire une modélisation de son contrôle qui ne laisse plus l’exclusivité à une compréhension ou une explication fondées sur une conception spontanée du hasard et du déterminisme […] L’esprit statistique requiert un renoncement à l’usage systématique de l’idée de vérité, pour chercher à maîtriser celle de vraisemblance, de plausibilité ». ’

L’approche statistique heurte bien des idées acquises. D’ordinaire, nous oublions en général la variabilité ; nous concluons d’emblée à une liaison de causalité ou devant cette impossibilité, nous rejetons tout manque d’explication rationnelle sur la seule responsabilité du hasard. Retrouvons maintenant l’idée d’un changement de paradigme, évoquée plus avant, par le passage de l’usage de la statistique dans notre approche des connaissances et du savoir.