5.1.1. La statistique outil d’investigation privilégié en Sciences de l’Éducation

La statistique, n’apporte pas de réponses brutes, immédiates. Elle est science construite sur une démarche d’investigation. En reprenant une expression de Dan Sperber (SPERBER, 1996, p. 131), elle donne accès à un dépassement de la lecture immédiate des faits courants constatés, en permettant de « donner à tous un plaisir intellectuel particulier, celui de voir le monde sous un éclairage d’abord déconcertant qui force la réflexion et qui, à la fois, relativise et approfondit les connaissances ». La référence au fait statistique, en retour, questionne le sujet qui devra alors fixer son observation sur des faits statistiques. Nous devrons les lire suivant des indicateurs qui seront à choisir parmi l’ensemble des éléments identifiables de la situation observée. Ces indicateurs ouvrant la voie vers l’évaluation d’une situation, d’un processus, d’un produit etc., devront être significatifs, c'est-à-dire choisis pour leur pertinence, relevés selon une procédure précise et mesurés en fonction d’une échelle “critériée”. Dans cette logique, les Sciences de l’Éducation, passent de l’analyse des faits de société aux faits scientifiques relevés, par l’intermédiaire de leurs disciplines scientifiques constitutives, qui font appel à la critique de faits scientifiques (historiques, sociologiques, économiques, ethnologiques etc.). Notons au passage l’extrait des propos de P. Erny. (ERNY, 1961, p. 54) que nous pourrions accepter comme charte de bon usage de la statistique : « C’est dans ce sens que nous parlerons d’ethnologie de l’éducation. Son but est d’étudier les faits, tels qu’ils apparaissent pour eux-mêmes, en cherchant à les décrire, à les comprendre, à les comparer, à les expliquer, sans porter sur eux de jugements normatifs, et sans nécessairement penser à l’application ». Le relevé des “faits” statistiques, est plus qu’une lecture spontanée, la plus rationnelle possible de la réalité. Comme le précise René Thom (THOM, 1983), « les faits doivent plutôt être vus en relation avec une problématique ; ce sont des réponses à un certain type de questions ». Il est évident que la recherche des faits statistiques se construit en dialectique avec la prise de conscience de l’événement observé et de la particularité de l’outil statistique. Dans leur contexte, les faits ne sont pas inscrits en caractères gras, directement lisibles ! Il faut les fonder. A la première lecture, le tout n’est qu’une dimension impénétrable au regard. Installer une observation, c’est parcelliser cette perception globale, après avoir choisi les objets d’observation et la manière de les observer ; ce choix dépendant lui-même de l’intention finale à atteindre. Notre tendance à extraire spontanément des réponses aux faits observés, contrarie la démarche inverse qui conduit d’abord à pointer les variables avant d’en observer les faits. Le découpage du réel en faits observables est un aboutissement comme le rappel S. Johsua et J.J. Dupin (JOHSUA &, DUPIN, 1993, p. 47) : « Seuls des esprits préparés, c'est-à-dire plongés dans un contexte théorique particulier, peuvent être à même de « découvrir » un fait inattendu, justement parce qu’eux peuvent distinguer ce qui, dans la théorie admise, est un fait attendu. ». L’apprentissage de la statistique concentre donc les savoirs et savoirs faire, nécessaires au bon usage de l’outil statistique. La statistique recentre aussi le sujet parmi les liens sociologiques, psychologiques, philosophiques etc. qu’il entretient avec le contexte observé. Plus qu’un ajout supplémentaire à l’ensemble des curricula scolaires, c’est l’éducation d’un regard nouveau à porter à notre environnement.