5.1.2. La statistique, lien unificateur des Sciences de l’Éducation

La statistique apporte donc son soutien - et ceci est important si on ramène notre propos à l’âge des élèves retenus par notre recherche - dans le dépassement des explications premières que pourrait représenter une parole originelle, voire sectaire, ou l’aspect animiste du monde. Nous constatons donc, et ceci en prenant appui sur les propos avancés par Michel Develay (DEVELAY, 2001, p. 64), que la statistique est au cœur des Sciences de l’Éducation car elle met un lien entre : « les sciences de l’explication (sciences nomothétiques), les sciences de l’interprétation (sciences herméneutiques) et les sciences d’une action à visée émancipatrice (sciences pragmatico-praxiques) ». Au passage, notre attention est retenue autour de l’appellation “science exacte”, qui englobe parfois à tord la véracité du fond (les résultats, les données de départ) avec celle de la forme (la structure du raisonnement), en un mot les statistiques avec la statistique. L’usage de la statistique oblige à consulter la véracité des faits lus ou émis par le filtre de la démarche qui a conduit aux résultats. Elle rappelle l’utilisateur au doute à porter sur les données, à la distinction entre un résultat approximatif (dû par exemple à l’imprécision d’une mesure) et celle d’un choix arbitraire des données. La statistique apparaît comme un tremplin conceptuel, pour côtoyer au quotidien l’incertain, la non évidence de la permanence d’une réponse précise et obligatoire à un problème posé. Elle permet l’appréhension d’un univers qui n’est pas sectorisé entre les sciences dures d’un côté et les sciences “humaines” de l’autre ; la description scientifique apportant une explication, garantie et totale, pour les premières alors que pour les autres, elle ne fournirait qu’approches approximatives etc. Elle rétablit la jonction entre la sphère des objets “inanimés”, et l’aspect évolutif du monde du vivant qui englobe l’univers de l’homme, de ses différences d’appréciation des faits et des décisions. Plutôt que de faire obstruction à l’aléatoire, elle le laisse entrer pour plus l’analyser. La statistique installe par ce biais une première étape, utile, pour intérioriser plus tard dans la scolarité, l’émergence de l’“indécidable” qui est également présent au cœur du raisonnement ! La statistique sert donc l’allégorie de la “caverne” de Platon par où la lumière de la vérité connaît bien des difficultés à atteindre le fond sans se laisser tromper par les informations de nos sens ou de nos habitudes, en l’occurrence ici scolaires. Dans un espace en manque d’interface, elle se présente en lien nouveau entre tous les aspects évoqués plus avant. Désormais, face à la gestion souple de l’avenir, elle est garantie nouvelle et incontournable d’une dérive risquée de l’élève en auto-maths, selon l’expression de Stella Baruk (BARUK, 1985).

Ainsi, pourquoi installer l’apprentissage et l’enseignement de la statistique, parmi l’ensemble des Sciences de l’Éducation ? Ce peut être par l’aspect pluridisciplinaire qu’elle représente, à rassembler diverses disciplines en un seul point commun : comprendre de manière systémique une situation pour qu’en retour, elle argumente nos pratiques et nos finalités éducatives. Le statisticien doit alors s’obliger, à s’immiscer dans l’organisation du domaine examiné, à en garantir les données par les apports disciplinaires différents qui l’éclairent, et à en apprécier ensuite l’ampleur et la portée du travail final. La statistique, vue sous cet angle-là, permet à chaque discipline de conduire son projet individuel. Ce peut également être selon l’aspect interdisciplinaire par lequel la statistique se place comme un intermédiaire intéressant dans la représentation dialectique des événements au travers de la complémentarité des disciplines mises côte à côte (comme la production industrielle à la jonction de l’économie d’un pays et de sa structure géographique). Ce peut enfin être, et c’est là notre parti pris, par l’aspect transdisciplinaire. La statistique nous paraît représenter une aide méthodologique intéressante, une initiation à un savoir-être, à une posture d’analyse face à la complexité des faits éducatifs à observer. Elle ne se limite pas à l’apparence qui voudrait qu’elle fournisse les clés pour lire, analyser, produire et exploiter des données statistiques. Sa spécificité se situe bien au-delà du choix de l’algorithme adéquat de résolution du problème posé. Le positionnement éducatif du formateur, de l’enseignant, ne se résout pas à retrouver une situation similaire déjà traitée pour en récupérer les solutions. La statistique oblige et permet à sa manière, la formation méthodologique indispensable pour faire face à chaque situation particulière, et ceci en adoptant une démarche raisonnée pour recueillir les données, les traiter, interpréter les résultats. Là réside l’intérêt heuristique singulier de la statistique au profit de toutes les disciplines qui structurent à leur niveau, les Sciences de l’Éducation.